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            *

            21 h 05

            Kate avança dans les travées du parking en plein air pour rejoindre sa voiture. En arrivant devant l’emplacement 66, elle découvrit avec stupéfaction qu’il était vide. On lui avait volé son coupé !

            C’est pas vrai !

            Elle avait garé la voiture à sa place habituelle, lorsqu’elle était arrivée en début d’après-midi, elle en était certaine !

            Elle sentit la colère la gagner et hésita sur la marche à suivre. Il fallait qu’elle appelle le tueur à gages pour lui donner son feu vert avant que Matt quitte la maison. Mais la réussite de son plan tenait aussi au fait qu’elle soit la première sur les lieux de l’« accident ».

            Elle voulait à tout prix superviser l’arrivée des secours et profiter habilement des sous-effectifs de Noël. Dans un premier temps, elle comptait jouer sur son double statut de médecin et d’épouse de la victime. Elle exigerait de garder le corps de Matthew « sous surveillance » jusqu’à l’hôpital, précipiterait l’angiographie qui devrait attester de sa mort cérébrale, s’assurerait elle-même que son cœur soit maintenu artificiellement en état de fonctionner, et réglerait rapidement les problèmes de consentement de dons d’organes. Ce matin, elle n’avait pas oublié de vérifier que le portefeuille de son mari contenait bien la carte de donneur d’organes qu’elle l’avait convaincu d’obtenir trois ans plus tôt. Elle savait que ce serait à elle que le corps médical poserait la question et demanderait de prendre une décision : son mari entretenait des relations lointaines avec ses parents qui vivaient en Floride et n’avait pas d’autre famille à Boston.

            Son plan réussirait à condition que les choses aillent très vite. Une fois que le principe du prélèvement serait acté, le laboratoire procéderait à un bilan sérologique et établirait un état des organes grâce à l’imagerie médicale. Autant d’examens qui les orienteraient vers des receveurs potentiels et compatibles. Nick figurait sur la liste prioritaire, la « liste écarlate » et serait identifié immédiatement. Depuis deux mois, elle guettait les plannings des équipes et, comme elle ne pourrait opérer Nick elle-même, elle s’était assurée que le chirurgien cardiaque de garde cette nuit était un des cadors de l’hôpital.

            Depuis des jours, des mois, des années, elle avait toutplanifié.

            Sauf qu’on lui volerait sa voiture sur ce putain de parking…

            Ne pas perdre son calme.

            Kate n’avait pas envisagé ce genre de difficulté, mais elle devait garder son sang-froid. Comme aux échecs. Elle repensa à cette phrase de Tartacover, un maître de la discipline : Latactique consiste à savoir ce qu’il faut faire quand il y a quelque chose à faire. Lastratégie consiste à savoir ce qu’il faut faire quand il n’y a rien à faire.

            Elle rejoignit au pas de course la guérite qui abritait le vigile chargé de garder le parking et signala le vol de son véhicule.

            – C’est impossible, m’dame. J’suis de service depuis midi. Je connais par cœur votre cabriolet et je peux vous assurer qu’il est pas sorti de l’enceinte de l’hôpital.

            – Vous voyez bien pourtant qu’il n’est plus là !

            – Alors, c’est qu’vous l’avez garé ailleurs ! Ça arrive tous les jours. La semaine dernière, le docteur Stern croyait aussi qu’on lui avait volé sa Porsche alors qu’il était venu travailler en taxi !

            – Mais je ne suis pas folle, enfin !

            – J’ai pas dit ça, docteur ! J’vais jeter un œil aux niveaux inférieurs, affirma-t-il en désignant les moniteurs des caméras de surveillance.

            C’est ça…

            Kate avait déjà tourné les talons lorsque la voix du gardien l’interpella.

            – Il est ici, vot’ coupé, m’dame. Au niveau – 3, place 125 ! annonça-t-il en désignant son écran, le visage barré d’un sourire victorieux, l’air de dire : Ces médecins, tous des cons…

            Kate délaissa les ascenseurs et se rua dans les escaliers qui menaient aux parkings souterrains.

            Cet imbécile de gardien avait raison. Le coupé Mazda était garé au dernier niveau.

            Comment était-ce possible ? Elle avait une place à son nom en surface. Elle n’était même jamaisvenue ici. Quelqu’un avait déplacé sa voiture, c’était certain. Mais pourquoi ? Cela avait-il un rapport avec le trousseau de clés qu’elle avait perdu en début de semaine ? Les questions se bousculèrent dans sa tête, mais elle choisit de les ignorer.

            Elle regarda son téléphone : « réseau indisponible ». Normal, elle était au sous-sol.

            Elle déverrouilla sa voiture, mit le contact et quitta le parking souterrain. Une fois en surface, elle fonça jusqu’à la sortie. Avant de se lancer sur la route, elle passa un bref appel à Oleg Tarassov pour lui donner enfin son feu vert.

            Lorsqu’elle se fondit dans la circulation, elle aperçut dans son rétroviseur un gros camion-citerne qui tournait au coin de l’avenue dans le sens inverse au sien.

            *

            Ancienne zone industrielle de Windham

            21 h 08

            Le local frigorifique était plongé dans le noir.

            Romuald craqua une nouvelle allumette sortie de la boîte qu’il était parvenu à voler au tueur lorsque celui-ci l’avait passé à tabac. Naïvement, il avait cru qu’elle pourrait lui être utile, mais il n’y avait rien à brûler dans l’entrepôt glacial. Les palettes en bois entreposées étaient bien trop humides pour prendre feu.

            La petite tige de bois s’enflamma, produisant une faible lueur qui ne brilla que quelques secondes.

            Puis la pièce retomba dans le noir complet.

            Un froid mortel enveloppait l’adolescent, le prenant à la gorge, figeant son visage, paralysant son nez et ses oreilles. Un souffle glacé brûlait ses mains, s’infiltrant partout dans son corps et pénétrant ses os jusqu’à la moelle. Un ennemi invisible contre lequel il ne pouvait pas lutter.

            Après s’être d’abord accéléré, son rythme cardiaque était maintenant devenu beaucoup plus faible. Les tremblements et la peur se couplaient à une terrible fatigue. Progressivement, il sentait ses forces le quitter. Il s’épuisait. Pour ne pas tomber dans un état léthargique, il s’était fixé comme but de craquer une allumette toutes les dix minutes environ et il se raccrochait à ce cérémonial.

            Ses pieds et ses jambes étaient raides, comme tétanisés. En cours de biologie, il avait appris que, pour combattre l’hypothermie, le sang quittait les extrémités de son corps pour préserver les deux sanctuaires qu’étaient le cœur et le cerveau.

            Son esprit était embrouillé, proche de la perte de connaissance. Il aurait été incapable d’ouvrir la bouche ou de parler, et il pensait au ralenti. Il avait les bronches encombrées, mais n’avait même plus la force de tousser. À peine celle de continuer à respirer.

            Dans aucun de ses cauchemars, il n’avait pensé que le froid puisse être si intense. Et le cascadeur avait vu juste : le plus terrifiant était bien d’avoir conscience que personne ne viendrait vous secourir. Savoir que vous alliez crever seul, dans le noir, emporté par une souffrance atroce.

            *

            Boston, Beacon Hill

            21 h 09

            Moins d’une minute après avoir raccroché, Oleg Tarassov aperçut Matthew Shapiro en train de descendre la volée de marches du perron. Le Russe enfila son casque et ses gants sans quitter des yeux le jeune professeur. Il le regarda enfourcher sa moto et son œil d’expert fut sensible au modèle : une Triumph Tiger Cub de la fin des années 1950, magnifiquement restaurée avec son phare rond, sa selle basse et ses chromes rutilants.

            Il laissa Shapiro prendre un peu d’avance, mit les gaz de sa Harley et partit dans son sillage.

            *

            21 h 11