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            Ça sera difficile : ma femme est morte.

            1 minute plus tard.

            Je suis vraiment confuse.

            Toutes mes excuses.

            1 minute plus tard.

            Vous ne pouviez pas savoir, Emma.

            Bonne soirée.

            *

            D’un bond, Matthew se leva de sa chaise et s’éloigna de l’ordinateur. Voilà ce à quoi on s’exposait en discutant avec des inconnus sur Internet ! Quelle idée avait-il eue d’engager ce dialogue surréaliste ? Il effaça sans regret les photos et décapsula une nouvelle bouteille de Corona.

            Si cette conversation l’avait contrarié, elle lui avait aussi aiguisé l’appétit ! Dans l’espace cuisine, il ouvrit le frigo pour constater qu’il était vide.

            Logique, il ne va pas se remplir tout seul…lui murmura une petite voix.

            En fouillant dans le congélateur, il dénicha tout de même une pizza qu’il enfourna dans le four à micro-ondes. Il régla le minuteur et retourna devant son écran. Il avait un nouveau message d’Emma Lovenstein…

            *

            Mince, quelle gaffeuse ! Mais comment aurais-je pu me douter que sa femme était morte ?se reprocha Emma.

            Cet échange avait piqué sa curiosité. À tout hasard, elle tapa « Matthew Shapiro + Boston » sur Google. Les premiers résultats qui s’affichèrent renvoyaient au site officiel de l’université de Harvard. Intriguée, elle cliqua sur le premier lien et atterrit sur une courte biographie d’un des enseignants du département de philosophie. Apparemment, son mystérieux correspondant donnait des cours dans la prestigieuse faculté. Le CV du professeur était accompagné d’une photo. Si on en croyait le cliché, Shapiro était un beau brun, affichant une petite quarantaine et le charme racé d’un John Cassavetes. Elle hésita quelques secondes, puis laissa ses doigts courir sur le clavier :

            De :Emma Lovenstein

            À :Matthew Shapiro

            Vous avez dîné, Matthew ?

            *

            Matthew fronça les sourcils. Il n’aimait pas cette intrusion dans sa vie. Pourtant, il répondit du tac au tac :

            De :Matthew Shapiro

            À :Emma Lovenstein

            Si vous voulez tout savoir, une pizza est en train de décongeler dans mon micro-ondes.

            30 secondes plus tard.

            Bon, laissez tomber la pizza congelée, Matthew.

            Voici ce que je vous propose à la place.

            Vous connaissez Zellig Food, la grande épicerie fine de Charles Street ? Leurs stands de fromage et de charcuterie sont fabuleux.

            Si vous voulez passer une soirée gourmande, allez donc leur rendre visite.

            Faites votre marché parmi leurs savoureux fromages de chèvre. Choisissez par exemple une de leurs spécialités aux figues ou au wasabi. Oui, je sais, le mélange peut surprendre, mais accompagné d’un sauvignon blanc de la Loire – mettons un sancerre ou un pouilly-fumé – l’accord sera parfait.

            Je vous conseille aussi de goûter à leur pâté en croûte au foie gras et à la pistache qui se mariera parfaitement avec les tanins veloutés d’un bourgogne de la côte de Nuits. Si vous trouvez un gevrey-chambertin de 2006, jetez-vous dessus !

            Voilà mes suggestions. Vous verrez, c’est meilleur que la pizza surgelée…

            Emma

            P-S : Je viens de vérifier sur Internet : de Beacon Hill, vous pouvez même aller à Zellig Food à pied, mais dépêchez-vous, le magasin ferme à 22 heures…

            Matthew secoua la tête devant son écran. Personne ne s’était préoccupé de son bien-être depuis si longtemps… Puis il se reprit et s’insurgea aussitôt. De quel droit cette Emma Lovenstein se permettait-elle de lui dicter son emploi du temps de la soirée ?

            Agacé, il quitta sa messagerie électronique pour lancer son navigateur. Cédant à la curiosité, il tapa « Emma Lovenstein + sommelière » et lança la recherche. Il cliqua sur la première occurrence : un article en ligne de la revue Wine Spectator. Le papier datait de l’année dernière. Intitulé « Dix jeunes talents à suivre », il brossait le portrait de la nouvelle génération de sommeliers. Étonnamment, la majorité de ces « jeunes talents » étaient des femmes. L’avant-dernier portrait était celui d’Emma. Il était illustré d’un cliché tout en profondeur, pris dans la cave high-tech du restaurant Imperator. Matthew zooma sur la photo pour l’agrandir. Aucun doute possible : la jeune sommelière de l’article était bien la même personne que la femme qu’il avait aperçue sur les clichés de vacances trouvés sur le disque dur de l’ordinateur. Une jolie brune aux yeux rieurs et au sourire malicieux.

            Étrange…Pourquoi avait-elle prétendu que cet ordinateur ne lui appartenait pas ? Gêne ? Pudeur ? C’était probable, mais, dans ce cas, pourquoi avait-elle poursuivi leur conversation ?

            Le bruit du minuteur annonça la fin de la cuisson de la pizza.

            Au lieu de se lever, Matthew décrocha son téléphone pour appeler ses voisins. Il demanda si leur fille Elizabeth était disponible pour veiller sur Emily pendant une petite demi-heure. Il avait une course à faire chez Zellig Food et il devait partir tout de suite : le magasin fermait ses portes à 22 heures…

            *

            Boston

            Quartier de Back Bay

            1 heure du matin

            Le pub vibrait au rythme des basses d’un tube electro-dance. April joua des coudes pour s’extraire de la foule du Gun Shot et fumer une cigarette.

            Oups, je suis un peu pompette, moi…songea-t-elle en trébuchant sur la bordure du trottoir. L’air frais de la nuit lui fit du bien. Elle avait trop bu, trop dansé, trop dragué. Elle rajusta la bretelle de son soutien-gorge en regardant sa montre. Il était déjà tard. Avec son portable, elle commanda une voiture auprès d’une compagnie de taxis puis porta une cigarette à ses lèvres tout en cherchant du feu dans son sac.

            Où est passé ce fichu briquet ?

            – C’est ça que tu cherches ? demanda une voix derrière elle.

            April se retourna et découvrit une jeune femme blonde au sourire lumineux. Julia, la fille qu’elle n’avait cessé de dévorer des yeux pendant toute la soirée et qui n’avait répondu à aucune de ses avances. Cheveux courts californiens, regard pétillant, silhouette gracieuse de sylphide juchée sur des escarpins stratosphériques : tout à fait le genre d’April.

            – Tu l’as oublié sur le comptoir, expliqua la jeune femme en faisant jaillir une flamme d’un briquet en nacre et en laque rose.

            April se rapprocha pour allumer sa cigarette. Hypnotisée par la peau diaphane, la bouche sensuelle et les traits délicats de celle qui lui faisait face, elle sentit un désir fébrile éclore au creux de son ventre.

            – On ne s’entend plus parler à l’intérieur, remarqua Julia.

            – C’est vrai. Cette musique, ce n’est plus de mon âge, plaisanta April.

            Un appel de phares attira l’attention des deux fêtardes.

            – C’est mon taxi, expliqua April en désignant la voiture qui s’arrêtait devant le pub. Si tu veux en profiter…

            Pendant quelques secondes, Julia fit mine d’hésiter. C’était elle qui menait le jeu et elle le savait.