Robert J. Sawyer
Dernière chance pour l’humanité
Cela faisait presque dix ans que la Terre recevait des messages de l’espace. Mais depuis quelque temps, une nouvelle page de données arrivait toutes les trente heures et cinquante et une minutes, intervalle supposé correspondre à la durée d’une journée dans le monde des Expéditeurs. À ce jour, 2841 transmissions avaient été reçues. La Terre n’y avait jamais répondu. La Déclaration de Principe Concernant les Activités Liées à la Découverte d’une Intelligence Extraterrestre, adoptée en 1989 par le Syndicat Astronomique International, spécifiait : « Aucune réponse à un signe ou à une preuve d’intelligence extraterrestre ne doit être envoyée avant que les entretiens internationaux relatifs à cette question n’aient eu lieu. » Cette décision était toujours en vigueur dans les cent cinquante-sept pays, dont les Nations unies, censés participer à ces entretiens.
Il n’y avait aucun doute quant à la provenance des signaux : ascension droite 14 degrés, 39 minutes, 36 secondes ; déclinaison négative 60 degrés, 50,0 minutes. Et des études parallactiques avaient révélé la distance : 1,34 parsec de la Terre. Apparemment, les extraterrestres qui envoyaient ces messages vivaient sur une planète gravitant autour de l’étoile Alpha du Centaure, l’étoile brillante la plus proche de notre soleil.
Les quinze premières pages de données avaient été déchiffrées sans difficulté : il s’agissait de simples représentations graphiques de principes mathématiques et physiques, ainsi que de la formule chimique de deux substances qui semblaient inoffensives.
Mais bien que tous les messages fussent connus du public, personne, nulle part, n’avait réussi à comprendre le sens des images décodées parvenues ultérieurement…
Chapitre 1
Heather Davis avala une gorgée de café et jeta un coup d’œil inquiet à l’horloge de cuivre posée sur la cheminée. Sa fille Rebecca, âgée de dix-neuf ans, lui avait promis de venir à vingt heures. Il était déjà vingt heures trente et elle n’était toujours pas arrivée.
Heather soupira silencieusement. Que se passait-il ? Rebecca avait voulu voir son père et sa mère en même temps, sans tenir compte le moins du monde du fait qu’ils étaient maintenant séparés depuis près d’un an. La situation était assez gênante. Évidemment, ils auraient pu se rencontrer au restaurant, mais Heather avait proposé la maison – la maison dans laquelle Kyle et elle avaient élevé Rebecca et Mary, leur fille aînée, et que Kyle avait quittée au mois d’août précédent.
Cependant, tandis que le silence entre Kyle et elle devenait oppressant, Heather commençait à regretter d’avoir eu cette idée.
Elle n’avait pas vu Rebecca depuis quatre mois. À sa joie de la revoir se mêlait la curiosité de connaître le motif de sa visite. Au téléphone, sa fille lui avait souvent parlé de son petit ami Zack. Allait-elle leur annoncer son mariage ? Bien sûr, Heather aurait préféré qu’elle attende encore quelques années. Mais au fond, quelle importance, puisque Rebecca n’allait plus à l’Université ? Heather n’avait pas caché sa déception le jour où sa fille lui avait annoncé qu’elle travaillait dans un magasin de vêtements à Spadina. Kyle et elle enseignaient tous les deux à l’université de Toronto – Heather était professeur de psychologie, Kyle, d’informatique. C’était d’autant plus dommage que Rebecca eût abandonné ses études que, grâce à l’agrément de l’Association de la Faculté, leurs enfants pouvaient y étudier gratuitement. Du moins Mary avait-elle profité de cette opportunité pendant un an, avant qu’elle…
Heather chassa cette pensée. Ce n’était vraiment pas le moment ! Non, elle devait se réjouir, au contraire, du mariage de Rebecca. Cela seul comptait aujourd’hui.
Heather se demanda comment Zack avait formulé sa demande en mariage, à moins que Rebecca n’eût pris elle-même cette initiative. Elle avait gardé intact le souvenir des paroles de Kyle le jour où il lui avait fait sa déclaration, vingt et un ans auparavant. C’était en 1996. En lui prenant tendrement la main, il avait murmuré :
— Je t’aime, et je veux passer le reste de ma vie à apprendre à te connaître.
Assise dans un fauteuil, Heather observait Kyle. Installé en face d’elle sur le canapé, il était plongé dans la lecture de son e-book. Heather pensa qu’il s’agissait probablement d’un roman d’espionnage. Il adorait ça.
Derrière Kyle, une photogravure encadrée appartenant à Heather était accrochée au mur. Elle représentait un réseau de minuscules carrés noirs et blancs apparemment assemblés au hasard : un des messages radio envoyés par les extraterrestres.
Rebecca avait déménagé neuf mois plus tôt, peu de temps après avoir terminé ses études secondaires. Heather avait espéré qu’elle resterait quelque temps avec elle, dans cette grande maison de la banlieue de Toronto qui lui paraissait bien vide, maintenant que Mary et Kyle n’étaient plus là.
Au début, Rebecca allait souvent voir ses parents, chacun de leur côté. Mais, très vite, ses visites étaient devenues de plus en plus rares, jusqu’à ce qu’elles cessent complètement.
Kyle devait avoir senti le regard de Heather posé sur lui car il leva les yeux de son ordinateur. Il haussa les sourcils et esquissa un pâle sourire.
— Ne t’inquiète pas, chérie, elle va arriver.
Chérie. Ils étaient séparés depuis onze mois mais Kyle continuait à l’appeler ainsi. Simple habitude ?
Il était vingt heures quarante-cinq quand la sonnette de la porte d’entrée retentit. Heather et Kyle échangèrent un coup d’œil étonné. À cette heure tardive, ce ne pouvait être que Rebecca. Pourtant, elle aurait pu entrer sans sonner, comme elle avait autrefois l’habitude de le faire, en ouvrant la porte directement à l’aide de ses empreintes digitales. Heather ressentit une vague inquiétude. Sa fille ne considérait vraiment plus cette maison comme la sienne.
Heather se leva et traversa le salon. Elle avait mis une robe, chose rare lorsqu’elle était chez elle, pour montrer à Rebecca à quel point elle était heureuse de sa visite. Cependant, en s’apercevant dans le miroir de l’entrée, elle réalisa qu’elle se comportait aussi étrangement que sa fille, en s’habillant comme si elle recevait une étrangère.
Heather gagna la porte d’entrée, passa une main dans ses cheveux noirs et, d’un geste nerveux, appuya sur le bouton qui commandait l’ouverture de la porte.
Rebecca se tenait sur le seuil, l’air sombre. Son visage étroit aux pommettes saillantes était encadré de cheveux châtain foncé qui lui arrivaient à la hauteur des épaules. Ses yeux très noirs trahissaient une immense tristesse. À côté d’elle se tenait un garçon dégingandé aux cheveux blonds en bataille.
— Bonjour, ma chérie, dit Heather avec un sourire radieux. Bonjour…
Elle attendit que Rebecca lui présente Zack. Mais sa fille entra en marmonnant un vague bonjour et, au lieu de s’arrêter pour l’embrasser, elle marcha directement vers l’escalier qui menait au salon. Zack la suivit. Ils trouvèrent Kyle assis sur le canapé.
— Salut, Becky ! dit-il en se levant. Salut… Zack, je présume ? Sans lui répondre ni lui jeter le moindre coup d’œil, Rebecca se tourna vers son ami et lui prit la main.
Heather et Kyle se regardèrent, interloqués.
Envahie d’un sombre pressentiment, Heather retourna s’installer dans son fauteuil et les invita à s’asseoir. Les sourcils froncés, Kyle se rassit sur le canapé. Bien qu’il y eût suffisamment de place à côté de lui, Rebecca choisit une chaise et Zack resta debout derrière elle, une main posée sur ses épaules.
— C’est si bon de te voir, ma chérie, dit doucement Heather. Il y a si…