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Cependant, ils n’avaient jamais manqué ce rendez-vous hebdomadaire, et bien que leurs rapports fussent tendus depuis la visite de Becky, la semaine précédente, Kyle ne doutait pas que Heather viendrait à leur restaurant habituel, un chalet suisse situé à quelques rues de l’appartement qu’elle habitait.

Kyle profitait de la chaude brise nocturne pour attendre Heather dehors. N’ayant pas vu sa voiture sur le parking, il n’avait aucune envie d’entrer seul au restaurant.

À environ 18 h 40, avec dix minutes de retard, le skimmer bleu pastel de Heather vint glisser au milieu de la circulation. Pendant une année entière, ils s’étaient contentés d’un rapide baiser pour se dire bonjour, mais ce soir-là, ils hésitèrent tous les deux. Kyle ouvrit la porte du restaurant et s’effaça pour laisser entrer Heather.

Le garçon voulut les placer à côté d’un autre couple, bien qu’il n’y eût personne d’autre dans la salle. Kyle avait toujours détesté cela, et il ne se priva pas de protester.

— Nous allons nous asseoir là-bas ! déclara-t-il en montrant une table située dans un coin, au fond de la salle.

Le garçon les accompagna sans faire de commentaire. Kyle commanda du vin rouge, Heather un verre de vin blanc de la cuvée du patron.

— Je commençais à croire que tu ne viendrais pas, dit Kyle.

— Je suis désolée d’être en retard.

Heather hocha la tête mais elle resta impassible. La lumière de la lampe qui pendait au-dessus de leur table donnait à ses traits réguliers une touche de dureté. Aucun des deux n’osait briser le silence. Au bout d’un long moment, Kyle se décida.

— Je ne sais pas ce que nous allons faire à ce sujet.

— Moi non plus, répondit Heather en détournant le regard.

— Je te jure…

— S’il te plaît, l’interrompit Heather, s’il te plaît.

Kyle secoua lentement la tête et se plongea dans ses réflexions. Puis il se décida.

— Je suis allé voir Zack samedi.

— Comment ça s’est passé ?

La voix de Heather trahissait son appréhension.

— Mal. Non, rassure-toi, je ne me suis pas battu avec lui. Nous avons parlé un peu. Je voulais qu’il accepte de me suivre à l’Université. Je voulais passer au détecteur de mensonges, pour lui prouver que je n’avais pas fait ce dont je suis accusé.

— Et alors ?

— Il a refusé.

Kyle fixait du regard la nappe en papier sans voir la promotion du jour, un poulet rôti aux pommes rissolées. Il finit par lever les yeux, cherchant ceux de Heather.

— Je veux le faire pour toi, dit-il. Je peux te prouver mon innocence.

Heather ouvrit la bouche pour parler, mais elle préféra s’abstenir.

C’était un moment décisif. Kyle savait que Heather en était aussi convaincue que lui. Leur avenir dépendait de sa réaction.

Si ces accusations étaient sans fondement…

S’il était innocent, elle savait qu’il ne pourrait jamais lui pardonner d’en avoir exigé la preuve, d’avoir manqué de confiance en lui.

Leur mariage résisterait-il à cette crise ? Ils avaient toujours pensé que tôt ou tard ils recommenceraient à vivre ensemble. Sinon au début de l’année universitaire, du moins à la fin.

S’il était innocent, leur mariage résisterait, oui, mais si Heather avait des doutes, et l’admettait ; si elle admettait qu’il pouvait être coupable, pourrait-il l’aimer et la soutenir à nouveau alors qu’elle n’aurait pas cru en lui au moment où il avait le plus grand besoin d’elle ?

— Non, répondit-elle en fermant les yeux. Non, ce n’est pas nécessaire.

Puis elle le regarda bien en face.

— Je sais que tu n’as rien fait à Becky.

Kyle garda une expression neutre. Il sentait qu’elle cherchait sur son visage le moindre signe trahissant son incrédulité.

— Merci, murmura-t-il.

Le serveur revint avec leurs boissons. Ils commandèrent du poulet rôti, accompagné de pommes de terre au four pour Kyle et de frites pour Heather.

— S’est-il produit autre chose avec Zack ? demanda Heather.

Kyle but une gorgée de vin.

— Il m’a dit que Becky suivait une thérapie.

Heather hocha la tête.

— Tu le savais ? s’étonna Kyle.

— Oui. Elle a commencé après la mort de Mary.

— Elle voit le même thérapeute que Mary, dit Kyle. C’est Zack qui me l’a dit.

— Mary faisait une thérapie, elle aussi ? Mon Dieu, je l’ignorais !

— J’ai eu un choc, moi aussi, soupira Kyle.

— Pourquoi ne m’en a-t-elle pas parlé ?

— Ou à moi, dit Kyle.

— Bien sûr… bien sûr.

Elle hésita un instant puis déclara :

— Je me demande si cela a un rapport avec Rachel.

— Qui ça ?

— Rachel Cohen. Tu te souviens ? L’amie de Mary. Elle est morte de leucémie quand Mary avait dix-huit ans.

— Oh, oui la pauvre petite.

— Mary avait été bouleversée. C’est peut-être à cause de cela qu’elle avait commencé une thérapie.

— Mais pourquoi n’est-elle pas allée vers toi ? s’étonna Kyle.

— Eh bien, je ne suis pas vraiment une clinicienne. En outre, aucune fille n’a envie d’avoir sa propre mère pour thérapeute. Et je suppose qu’elle n’aurait pas accepté davantage d’aller voir quelqu’un que je lui aurais recommandé.

— Mais alors, comment a-t-elle trouvé le psy ?

— Je n’en sais rien, répondit Heather. Peut-être que le Dr Redmond lui a donné une adresse.

Lloyd Redmond avait été le médecin de Kyle avant de devenir celui de toute la famille depuis près de trente ans.

— Je vais l’appeler demain matin pour lui en parler.

Quand leur repas fut servi, ils mangèrent en silence. Puis ils rentrèrent chez eux, chacun de leur côté.

Mardi matin, à 10 h 30, le téléphone sonna dans le laboratoire de Kyle. Quelques étudiants travaillaient sur la console de Cheetah. Ils avaient enlevé l’écran, ainsi que les yeux de Cheetah, et l’avaient posé contre le mur incurvé.

L’identifiant d’appel fit apparaître Heather. Elle téléphonait de son bureau de Sidney Smith Hall, situé à quelques rues de celui de Kyle, à l’ouest de St. George Street.

— J’avais raison, annonça-t-elle. Le Dr Redmond a bien recommandé une thérapeute à Mary plusieurs mois avant son décès.

— Comment s’appelle-t-elle ?

— Lydia Gurdjieff.

Elle épela le nom.

— Tu en as entendu parler ? demanda Kyle.

— Non. J’ai vérifié si elle était inscrite dans le registre en ligne des praticiens agréés, mais je ne l’ai pas trouvée.

— Je vais aller la voir, décida Kyle.

— Non, je crois qu’il vaudrait mieux que ce soit moi… et que j’y aille seule.

Kyle voulut protester, mais il reconnut que Heather avait raison. Non seulement la thérapeute devait le considérer comme un sale type, l’ennemi de ses filles, mais en outre c’était Heather, et non lui, qui était diplômée de psychologie.

— Quand penses-tu y aller ? demanda-t-il.

— Aujourd’hui.

— Merci.

Heather lui avait-elle fait un petit signe d’encouragement, hochement de tête ou haussement d’épaule, ou lui avait-elle souri ? Kyle aurait été incapable de le dire. Il souhaitait parfois que les vidéotéléphones disparaissent.

— Bonjour, madame Gurdjieff, dit Heather en entrant dans la salle de consultation.

Elle jeta un coup d’œil aux murs recouverts d’un papier bleu qui se décollait légèrement aux angles, révélant la surface peinte.