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Elle s’interrompit. Le moment était certainement mal choisi pour faire un commentaire sur le nombre de jours écoulés depuis sa dernière visite.

Muette, le visage crispé, Rebecca s’était tournée vers Zack. Il lui pressa la main tout en lui faisant un petit signe de tête.

— Qu’y a-t-il, ma chérie ? demanda Heather en se penchant vers sa fille.

Il était clair maintenant que Rebecca n’allait pas leur annoncer son mariage. Mais alors, de quoi s’agissait-il ? Un problème de santé, des ennuis avec la police ? Intrigué et inquiet, Kyle se pencha en avant, les yeux rivés sur Rebecca.

— Tu n’es pas malade ? demanda Heather. Rebecca fit un petit signe de tête négatif.

— Vas-y ! dit Zack.

Il avait murmuré, mais dans le silence étouffant du salon, Kyle et Heather l’avaient parfaitement entendu.

Incapable d’articuler un mot, Rebecca, bouleversée, regardait fixement son ami. Elle semblait s’accrocher à lui comme à une bouée de sauvetage.

— Pourquoi ? finit-elle par demander d’une voix tremblante.

— Pourquoi quoi ? s’étonna Heather.

— Il ne s’agit pas de toi…, pas de toi, de lui ! dit-elle en jetant un bref regard à son père.

— Pourquoi quoi ? demanda Kyle à son tour, aussi surpris que Heather.

Rebecca ne répondit pas. Le son grêle de l’horloge vint rompre le lourd silence qui s’était réinstallé.

— Pourquoi, reprit enfin Becky en s’adressant à son père, pourquoi as-tu…

— Vas-y, dis-le ! murmura Zack d’un ton ferme.

— Pourquoi as-tu abusé de moi ?

— Pardon ?

Abasourdi, Kyle se souleva légèrement et se rassit aussitôt au bord du canapé. Son ordinateur de poche tomba sur le plancher avec un claquement sec. Heather sursauta. Elle prit une longue inspiration pour retrouver son calme.

— Becky, je n’ai jamais… dit Kyle.

— Tu ne vas pas le nier, en plus ! s’écria sa fille, tremblante de fureur. Maintenant qu’elle avait trouvé le courage d’accuser son père, une digue semblait avoir cédé en elle, laissant libre cours à son indignation.

— Mais, Becky…

— Et ne m’appelle pas comme ça ! Mon nom est Rebecca !

Kyle ouvrit les bras avec un léger haussement d’épaules.

— Je suis désolé, Rebecca. J’ignorais que tu n’aimais pas ton diminutif !

— Comment as-tu pu me faire ça ? reprit-elle.

— Mais je n’ai jamais…

— Arrête de mentir ! Aie au moins le courage de reconnaître la vérité !

— Mais, Rebecca, c’est faux ! Tu es ma fille ! Je ne t’ai jamais fait de mal.

— Si, tu m’as fait du mal. Tu nous as démolies, Mary et moi.

Heather se leva d’un bond.

— Becky !

— Et toi ! s’écria-t-elle. Tu savais très bien comment il agissait et tu n’as jamais rien fait pour l’en empêcher.

— Ne crie pas après ta mère ! dit sèchement Kyle. Becky, tu délires complètement ! Je ne vous ai jamais touchées, ni toi ni Mary, tu le sais très bien !

Pour la première fois, Zack s’exprima à voix haute. Son ton était dur, méprisant.

— Je l’aurais parié qu’il allait réagir comme ça.

— Et vous, ne vous en mêlez pas ! dit Kyle d’un ton tranchant.

— Ne lui parle pas sur ce ton ! hurla Rebecca.

Kyle luttait pour retrouver son calme.

— C’est un sujet qui ne concerne que la famille, reprit-il, nous n’avons pas besoin de lui.

Secouant sa torpeur, Heather jeta un regard incrédule à son mari, puis à sa fille.

— Becky, dit-elle d’une voix étranglée, je te jure…

— Ne le nie pas toi aussi !

Heather soupira.

— Alors dis-moi, dis-moi ce qui s’est passé, d’après toi.

Il y eut un long silence. Visiblement, Rebecca essayait de mettre de l’ordre dans ses pensées.

— Tu le sais très bien, finit-elle par déclarer sur le même ton accusateur. Chaque nuit, après minuit, il sortait de ta chambre pour venir dans la mienne ou dans celle de Mary.

— Ce n’est pas vrai, Becky ! s’écria Kyle, révulsé.

Il se leva d’un bond et vint se planter devant Rebecca. Voyant qu’elle l’ignorait, il se mit à arpenter le salon, hors de lui.

— Il venait dans ma chambre, reprit Rebecca en s’adressant à sa mère. Il me faisait enlever le haut de mon pyjama, il me ca…

Elle s’interrompit, au bord des larmes.

— Il me caressait les seins, et puis…

Sa voix se brisa. Elle resta quelques instants les yeux fermés, avant de poser un regard douloureux sur Heather.

— Et toi, tu le savais certainement. Tu devais l’entendre sortir de ta chambre et revenir une demi-heure après.

Sa respiration était saccadée. Elle ne cherchait même plus à retenir ses larmes.

— Tu devais sentir sa sueur, sentir mon odeur sur lui, reprit-elle tout bas.

Accablée, Heather secoua la tête.

— Becky, je t’en prie.

— Il ne s’est jamais rien produit de tel ! affirma Kyle.

— Ce n’est pas la peine de rester s’il s’obstine à nier, lança Zack d’un ton cinglant.

Rebecca fouilla dans son sac en reniflant. Elle en sortit un mouchoir, essuya ses larmes avant de se moucher, puis elle se leva et se dirigea vers l’escalier intérieur. Zack la suivit, puis Heather. Lorsque Kyle se décida à descendre, ils étaient déjà arrivés près de la porte d’entrée.

— Becky, s’il te plaît, écoute-moi, dit-il doucement. Je ne t’ai jamais rien fait.

Sa fille se retourna. Elle avait les yeux rouges, le visage empourpré.

— Je te hais, souffla-t-elle avant de franchir la porte et de disparaître dans la nuit, Zack sur ses talons.

Le visage défait, Kyle se tourna vers Heather.

— Heather, je te jure que je ne l’ai jamais touchée !

Hagarde, les épaules voûtées, Heather remonta lentement vers le salon en se tenant à la rampe de l’escalier. Elle s’affala sur une chaise. Kyle se versa un scotch qu’il avala d’un trait en s’appuyant contre le mur.

— Je ne comprends pas ce qui lui arrive ! Où est-elle allée chercher ça ?

Il se mit à faire les cent pas, son verre à la main.

— C’est sûrement un coup monté par son petit copain ! reprit-il, furieux. C’est lui qui a inventé cette histoire. Il a dû lui suggérer de ne pas attendre l’héritage. Elle va sûrement m’intenter un procès !

— Kyle, je t’en prie, dit Heather. C’est de ta fille que tu parles.

— Et elle, elle parle de son père ! explosa Kyle. Je n’ai jamais fait une chose pareille, Heather, tu le sais très bien !

Heather ne broncha pas. Elle était très pâle.

— Heather, reprit Kyle d’un ton presque suppliant, tu ne vas pas la croire, c’est monstrueux !

Il paraissait sincère. Pourtant, pour une raison quelconque, Rebecca était restée éloignée de la maison pendant plusieurs mois. Et avant cela…

Heather détestait cette pensée mais elle lui venait à l’esprit chaque jour, chaque heure… Pour quelle raison Mary s’était-elle suicidée ?

— Heather !

— Je suis désolée, murmura-t-elle, la gorge sèche. Je suis désolée, je sais que tu es incapable d’un acte aussi monstrueux…

Mais la conviction lui manquait.

— Bien sûr que non…

— C’est juste que…

— Quoi donc ? aboya Kyle.

— C’est… non, rien.

— Que voulais-tu dire ?

— Eh bien, tu avais l’habitude de te lever, de quitter notre chambre en plein milieu de la nuit.

— Je n’arrive pas à croire que tu dises cela ! s’écria Kyle, hors de lui. Je n’arrive vraiment pas à le croire !