Malgré cela, elle ne parvenait toujours pas à trouver un sens à l’ensemble.
Elle est intelligente, mais inexpérimentée. Son dessin suggère une pensée tridimensionnelle.
Spock avait dit « il », pas « elle », bien sûr !
Et puis… Mon Dieu ! Dans le film, il avait dit bidimensionnelle, pas tridimensionnelle. Pourquoi n’avait-elle pas remarqué cela plus tôt ?
Khan était coupable d’avoir une pensée bidimensionnelle, et il avait été vaincu par une attaque à travers trois dimensions.
Et si le défaut de Heather était d’avoir une pensée tridimensionnelle ? Une approche quadridimensionnelle l’aiderait-elle ?
Mais pourquoi les extraterrestres utiliseraient-ils un dessin en quatre dimensions ?
Et pourquoi pas ?
Non. Non, il y avait certainement une meilleure explication.
Elle décida de surfer sur le Net pour chercher des informations sur la quatrième dimension.
Et quand elle les eut toutes digérées, elle se renversa sur sa chaise, ébahie.
Il y avait un trou d’eau ! Il y avait un terrain commun entre les espèces. Mais cela ne ressemblait à rien d’aussi simple qu’un ensemble de fréquences radio. Le terrain commun n’était pas relié à la physique ordinaire, ni à la chimie de l’atmosphère, ni à quoi que ce fût d’aussi élémentaire. Et pourtant, c’était quelque chose qui, sous plusieurs aspects, était encore plus basique, plus fondamental, faisait encore plus partie intégrante du tissu même de l’existence.
Le trou d’eau était dimensionnel. Et c’était précisément la quatrième dimension.
En fonction de son appareil sensoriel, du degré de sa conscience, de l’accord consensuel avec les autres membres de son espèce, pour ne mentionner que cela, toute forme de vie pouvait percevoir l’univers, percevoir sa réalité, en une dimension, deux dimensions, trois dimensions, quatre dimensions, cinq dimensions, et ainsi de suite, à l’infini.
Mais parmi tous les espaces dimensionnels possibles, il y en avait un qui était unique.
Une interprétation quadridimensionnelle de la réalité était vraiment spéciale.
Heather ne comprenait pas tout – en tant que psychologue, elle possédait d’excellentes bases en statistiques, mais elle n’avait pas un niveau très élevé dans les hautes sphères mathématiques. Cependant, il était clair, d’après ce qu’elle venait de lire, que la quatrième dimension possédait des propriétés spécifiques.
Après avoir trouvé le site Science News sur le Web, Heather avait découvert, à sa grande surprise, un article de mai 1989 écrit par Ivars Peterson, qui commençait ainsi :
« Quand des mathématiciens – qui sont en principe des personnes prudentes et consciencieuses – appliquent des adjectifs comme “bizarre”, “étrange”, “surprenant” et “mystérieux” à leurs résultats, c’est qu’ils ont remarqué quelque chose d’inhabituel. De telles expressions reflètent l’état récent des études de l’espace en quatre dimensions, un royaume se trouvant à une courte enjambée de celui qui nous est familier, l’univers en trois dimensions. « En combinant des idées de physique théorique à des notions abstraites de topologie, les mathématiciens découvrent que l’espace en quatre dimensions présente des propriétés mathématiques très différentes de celles qui caractérisent l’espace dans d’autres dimensions. »
Heather ne prétendait pas comprendre tout ce que Peterson avait écrit ensuite, comme par exemple le fait qu’il n’était possible qu’en quatre dimensions d’avoir des variétés dont la forme était similaire mais dont l’évolution présentait une discontinuité.
Mais au fond, cela n’avait pas d’importance, le problème étant que, d’un point de vue mathématique, un espace quadridimensionnel était unique. Quelle que fût la manière dont une race percevait la réalité, ses mathématiciens devraient inexorablement affronter les problèmes et les caractéristiques inhérents à un espace en quatre dimensions.
C’était un trou d’eau d’une espèce différente – un lieu de rassemblement pour des pensées provenant de toutes les formes de vie possibles.
Dieu. Non, non, pas seulement Dieu.
Corpus hypercubus.
Elle pouvait faire des cubes en trois dimensions avec ses pages. Et avec quarante-huit pages, cela ferait un total de huit cubes.
Huit cubes, exactement comme dans la peinture de Dali sur le mur du laboratoire de Kyle.
Exactement comme un hypercube déplié.
Naturellement, Cheetah avait dit qu’il existait plus d’une méthode pour déplier un cube simple, ordinaire ; mais une seule des onze méthodes possibles donnait la forme de la croix.
Il y avait probablement aussi de nombreuses façons de déplier un hypercube.
Mais les marques circulaires fournissaient un guide !
Il n’y avait sans doute qu’une seule façon d’aligner les huit cubes afin que les arceaux imaginaires trouvent le bon emplacement pour s’insérer dans le prolongement des marques circulaires.
Elle avait essayé d’arranger les dessins comme des cubes, avec l’espoir qu’ils s’aligneraient pour former un motif évocateur. Mais maintenant, elle tentait de les disposer sur l’écran de son ordinateur comme les cubes séparés d’un tesseract déplié.
L’université de Toronto possédait des sites autorisés pour la plupart des logiciels employés dans ses différents départements. Kyle avait montré à Heather comment accéder au programme CAD qui avait été utilisé pour déterminer la façon dont les carreaux individuels s’ajustaient entre eux.
Il lui fallut un bon bout de temps pour s’en servir normalement bien que le logiciel fonctionnât au son de la voix. Elle finit enfin par avoir les quarante-huit messages disposés en huit cubes. Elle commanda ensuite à l’ordinateur de composer avec les huit cubes toutes les constructions possibles pour que les marques circulaires d’enregistrement se disposent correctement.
Des boîtes se mirent à danser sur son écran pendant quelques instants, puis la solution correcte apparut.
C’était l’hypercrucifix, comme dans la peinture de Dali : une colonne verticale de quatre cubes, et quatre cubes complémentaires qui saillaient des quatre faces exposées du second cube en partant du haut.
Il n’y avait aucun doute. Les messages extraterrestres formaient un hypercube déplié.
Heather se demanda ce qu’elle obtiendrait si elle pouvait vraiment plier ce modèle tridimensionnel dans le sens de kata ou d’ana.
C’était une journée typique du mois d’août, chaude, humide et brumeuse. Heather était luisante de sueur d’avoir marché jusqu’au laboratoire de fabrication assistée par ordinateur ; ce laboratoire faisait partie du Département d’Ingénierie mécanique. Comme elle n’y connaissait personne, elle resta sur le palier et observa les robots et les machines qui cliquetaient autour d’elle.
— Puis-je vous aider ? demanda un homme aux cheveux argentés.
— Je veux bien, répondit-elle avec un sourire. Je suis Heather Davis, du Département de Psychologie.
— Quelqu’un a perdu une vis ?
— Pardon ?
— Une vieille blague. Un psychologue vient voir un ingénieur. « Nous resserrons les vis à tout moment(1). »
Heather rit doucement.
— Je suis Paul Komensky, dit-il en lui tendant la main.
— J’ai vraiment besoin de l’aide d’un ingénieur, annonça Heather. Je voudrais faire construire quelque chose.