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La structure s’appuyait sur un seul cube ; ils posèrent l’extrémité de l’axe, le cube le plus éloigné, sur une pile de livres. La construction achevée s’élevait presque jusqu’au plafond.

Quand ils eurent fini, Heather et Paul s’assirent pour la contempler. Qu’avaient-ils sous les yeux ? Un objet d’art ? Un autel ? Autre chose ? La forme de la croix était évidente même dans cette position, mais c’était certainement une provocation. Comment les extraterrestres pouvaient-ils partager avec eux ce symbolisme si spécifique ? En admettant qu’un Dieu putatif ait des enfants mortels dans d’autres univers, il était peu probable qu’un instrument d’exécution y ait la forme d’une croix, faite en fonction de l’anatomie humaine. Non, la ressemblance devait être une pure coïncidence.

L’engin paraissait branlant. En réalité, il rappelait surtout à Heather un souvenir du jardin d’enfants. En 1979, elle était allée voir avec sa classe le premier atterrissage d’un Concorde à l’Aéroport international de Toronto, comme il s’appelait alors. Quand ils étaient rentrés, un gentil moniteur avait fabriqué un mini-Concorde pour les gamins avec une vieille boîte de conserve et des morceaux de carton ondulé. Or, les cubes qu’elle avait sous les yeux paraissaient presque aussi minces et légers que l’avion miniature.

Paul secoua la tête, sceptique.

— Qu’est-ce que ça peut bien être, à votre avis ?

— Je n’en ai pas la moindre idée !

Elle regarda sa montre et Paul jeta un coup d’œil à la sienne.

Ils marchèrent ensemble jusqu’à la station de métro. Heather allait à Yonge, situé à l’est, et Paul, qui vivait dans un appartement à Harbourfront, se dirigeait vers Union, au sud. Il accompagna Heather sur le quai bondé pour s’assurer qu’elle pourrait monter dans un train. La gare St. George était décorée de carreaux de céramique verts, assez proches de ceux qu’ils avaient assemblés pendant la soirée, mais de dimensions plus importantes. Les tunnels étaient plutôt rectilignes et Heather vit arriver son train de loin.

— Merci, Paul, dit-elle avec un sourire chaleureux. J’ai vraiment apprécié votre aide.

Paul lui effleura le bras, et ce fut tout. Heather se demanda comment elle aurait réagi s’il avait manifesté le désir de l’embrasser. Le train arriva et elle fit le trajet qui la séparait de sa maison vide.

Heather s’était tournée et retournée toute la nuit, rêvant tour à tour de l’étrange artefact extraterrestre, et de Paul.

La plus grande partie du trajet en métro qu’elle faisait pour aller travailler était souterraine, mais après deux stations, le métro s’offrait un oxymore, surgissant à la lumière du jour. La lumière éblouit Heather, qui cligna des paupières. Le soleil lui parut particulièrement aveuglant.

Dieu merci, quand elle parvint à son bureau, les rideaux étaient encore tirés. Elle ne pouvait pas travailler confortablement avec cet édifice de huit cubes trônant dans la pièce. Elle s’assit tranquillement dans l’obscurité, et sirota une tasse de café qu’elle avait attrapée à la cafétéria, en attendant que les battements qu’elle avait dans la tête se calment.

Elle avait espéré qu’une nuit de sommeil lui apporterait un semblant d’éclaircissement sur le puzzle qu’ils avaient construit, mais elle dut se rendre à l’évidence : elle avait eu une idée ridicule, ou plutôt, complètement folle ! Heureusement que Omar et presque tous les autres étaient en vacances !

Après avoir avalé une autre gorgée de café, Heather se sentit prête à affronter la journée. Elle se leva, s’approcha de la fenêtre et tira les rideaux aux couleurs passées. La lumière du soleil inonda la pièce.

Elle alla se rasseoir et posa la tête sur ses mains.

Bon sang, que se passait-il, tout à coup ?

Les motifs peints sur les panneaux étincelaient sous le soleil. Puisqu’il s’agissait d’une pellicule de cristaux, ce n’était sans doute pas très surprenant, mais c’était tout de même curieux… Ils semblaient vibrer, danser.

Elle se leva pour aller les examiner de plus près, traversa la pièce… et trébucha sur une pile de listings qu’elle avait laissée par terre. Elle ne parvint pas à se rattraper et alla s’étaler en plein milieu de la structure qu’elle avait édifiée.

Sa chute aurait dû la réduire en morceaux, les grands panneaux auraient dû se détacher, et toutes les connexions qui reliaient entre elles les centaines de petits carreaux, éclater. C’est ce qui aurait dû logiquement se passer. Mais contre toute attente, la structure résista. En fait, c’est Heather qui faillit se casser le bras en s’affalant dessus. Quelque chose maintenait les panneaux entre eux. De plus près, elle put voir que les petits motifs individuels, sur chaque carreau, brillaient séparément, réfringents comme des bulles de savon. Hier, il s’agissait d’une construction fragile, bon marché, maintenue par des bouts de ficelle, et soutenue par une pile de livres. Et aujourd’hui…

Elle s’approcha de l’extrémité de la structure pour l’examiner. Puis elle donna un bon coup dessus avec ses phalanges. C’était solide, mais pas complètement immobile ; l’élément remua légèrement. Sous l’effet de sa chute, une face s’était rapprochée du mur. Du pied, Heather dégagea la pile de livres qui soutenait cette extrémité ; les volumes tombèrent en cascade sur le sol.

Mais le dernier cube restait toujours compact. Au lieu de s’effondrer sous son propre poids, la colonne de cubes restait suspendue dans l’espace. La peinture agissait-elle comme une sorte de ciment quand elle était sèche ? Possible. Heather parcourut la pièce du regard, elle vit la lumière entrer à flots par la fenêtre, et sa propre ombre sur le mur d’en face.

L’énergie solaire… et si l’explication se trouvait là ?

La lumière du soleil. La source d’énergie à laquelle toutes les civilisations, partout dans l’univers, pouvaient avoir accès. Tous les univers ne contenaient pas des matériaux lourds tels que l’uranium, et ne détenaient probablement pas non plus des réserves de combustibles fossiles. Mais chaque planète de la galaxie avait un ou plusieurs astres autour desquels elle tournait.

Heather se leva, ferma les rideaux.

L’objet resta rigide. Elle soupira – évidemment, cela ne pouvait pas être aussi simple. Elle alla s’asseoir à son bureau pour réfléchir.

Un craquement de l’autre côté de la pièce lui fit lever les yeux. Elle vit que la construction commençait à se déformer. Heather bondit sur ses pieds et se précipita pour attraper le dernier cube avant qu’il ne se détache, et que ses deux panneaux latéraux et celui du fond ne se séparent.

D’une main, elle essaya de soutenir le reste de la structure tout en replaçant frénétiquement de l’autre le contrefort de livres. Quand elle eut rééquilibré l’objet, elle fonça vers la fenêtre et rouvrit les rideaux.

À l’évidence, cet engin avait une très faible capacité de stockage d’énergie. Ce qui n’avait de sens que pour un appareil héliothermique. Mais s’il s’effondrait chaque fois que quelqu’un lui faisait de l’ombre !

Dans ce cas…

La première chose à faire était de s’assurer que la construction reçoive de l’énergie sans interruption. Dans deux ou trois heures, le soleil n’entrerait plus par cette fenêtre. Elle eut l’idée de la tirer à l’extérieur ; mais cela ne résoudrait le problème que jusqu’à la nuit. Il était clair que, la veille, les tubes fluorescents du bureau, qui pourtant éclairaient bien, n’avaient pas procuré suffisamment de lumière pour fournir une énergie durable. Heather eut l’idée d’emprunter des projecteurs au Département de Théâtre, ou au Département de Botanique.