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Elle sortit, s’étira de nouveau et attendit d’avoir retrouvé son calme.

Puis elle recommença, grimpa dans la construction et utilisa la poignée de verre pour fermer ce qu’elle avait déjà baptisé la « porte cubique ». Cette fois-ci, elle se contenta de s’asseoir, respira l’air chaud et laissa ses yeux s’accommoder à la semi-obscurité.

Elle observa ensuite le dessin phosphorescent sur le panneau qui lui faisait face, et chercha à en saisir toute la signification. Elle n’avait pas repéré dans quel sens elle était orientée par rapport à l’extérieur de la construction. L’espace était trop étroit, une fois la porte fermée, pour qu’elle puisse changer de place. Elle ouvrit la porte cubique et passa ses jambes à l’extérieur en pivotant sur les fesses. Une fois en place, face à la plus courte partie de l’axe, elle tira la poignée à ventouse pour remettre la porte en position. Elle se trouvait maintenant à sa droite.

Quand elle avait rouvert la porte, ses yeux s’étaient réadaptés à la lumière. Il lui fallut donc attendre qu’ils se réhabituent à l’obscurité. Le processus fut assez lent.

Devant elle, deux cercles, un continu, l’autre divisé en huit petits arcs.

L’espace d’un éclair, elle comprit que le cercle complet, qui était littéralement un circuit fermé, signifiait « marche », le cercle brisé signifiant « arrêt ».

Elle respira profondément, et avança la main gauche.

— Me voici, Alpha du Centaure, murmura-t-elle en pressant la paume de sa main gauche sur le cercle fermé.

Chapitre 18

Heather eut d’abord l’impression qu’il ne se passait rien, puis elle ressentit une sensation de vertige au creux de l’estomac, comme si elle se trouvait dans un ascenseur descendant à toute allure. Quelques secondes plus tard, elle sentit que ses oreilles se débouchaient brusquement.

Elle écrasa son poing sur le bouton d’arrêt… et tout redevint normal.

Heather attendit que sa respiration retrouve son rythme habituel. Elle poussa la porte, et la dégagea lentement.

D’accord, elle pouvait arrêter le processus et sortir quand elle voulait.

Elle décida de faire une autre tentative. Elle ferma les yeux, prit une profonde inspiration et tira la poignée pour refermer la porte. Du bout du doigt, elle appuya sur le centre de la zone circonscrite par le cercle fermé, sur le panneau qui lui faisait face.

Elle eut encore une fois l’estomac retourné. Ses oreilles, qui n’avaient pas eu le temps de décompresser et de se déboucher après la première expérience, étaient un peu douloureuses.

Devant elle, les constellations de carrés phosphorescents se mirent à vibrer, à se mouvoir, à se disposer différemment, tandis que…

Tandis que l’hypercube déplié qu’elle avait construit commençait à se refermer sur lui-même, se déplaçant dans la direction d’ana ou de cata, se transformant en un tesseract, Heather blottie tout au fond de lui.

Elle sentit qu’elle se tordait, et bien que le paysage qui l’entourait ne fût apparemment qu’un assemblage hasardeux dû à la peinture piézo-électrique, le dessin qu’elle pouvait discerner à l’extrême gauche de son champ visuel était le même, lui semblait-il, que celui qu’elle pouvait détecter à droite. Les bords rectilignes des panneaux s’incurvaient vers l’intérieur et vers l’extérieur, tantôt convexes, tantôt concaves. Dans la lumière tamisée, Heather baissa les yeux sur son corps et le vit s’étirer et s’aplatir, comme si son image avait été peinte sur du papier puis collée sur la surface interne d’un bol.

Curieusement, cela ne la dérangeait pas vraiment. Le plus pénible, c’était cette indéniable sensation de mouvement précipité, au creux de l’estomac, et ce changement de pression dans les oreilles, ainsi que, de temps à autre, l’apparition d’étoiles devant ses yeux – phénomène également dû, elle le savait, au changement de pression. Elle voyait qu’elle se pliait et se contorsionnait, comme son environnement, mais ses os se déformaient sans se casser.

Le processus de pliage continuait. L’opération entière ne dura que quelques secondes, à en juger par les battements de son cœur, métronome affolé qui résonnait dans ses oreilles, mais pendant son déroulement, le temps parut ralentir.

Et soudain, tout s’arrêta. La transformation venait de s’achever : Heather était prisonnière d’un tesseract.

Mais non ! Elle tenta de retrouver son calme. Non, elle n’était pas prisonnière. À chaque étape, elle avait été capable d’arrêter le processus, de s’échapper. Les extraterrestres, quels qu’ils fussent, n’auraient pas fait tous ces efforts dans l’unique but de s’en prendre à elle. Elle gardait le contrôle de la situation ; c’était volontairement qu’elle venait en visite, se rappela-t-elle, elle n’était pas tombée dans un piège !

Tout à coup, elle se dit qu’il devait y avoir autre chose que cette sensation d’espace se repliant sur lui-même. Les Centaures n’auraient certainement pas perdu dix ans dans le seul but d’apprendre à l’humanité comment fabriquer un parc d’attractions délirant. Ils avaient sûrement d’autres motivations…

Et c’était bien le cas, en effet.

Soudain, le tesseract s’épanouit en une explosion silencieuse, les panneaux se séparant à leurs jointures avec la même grâce et la même tranquillité absolue que l’éclosion d’une fleur qui serait filmée et projetée en vitesse accélérée.

Les panneaux parurent s’éloigner dans l’infini, chacun filant dans une direction différente. Heather se retrouva en train de flotter librement.

Mais pas dans l’espace.

Du moins, pas dans l’espace ouvert.

Elle étira ses membres. Il y avait de l’air à respirer, et des lumières multicolores à voir.

Elle regarda son corps… Devenu invisible.

Elle pouvait le sentir, sa proprioception fonctionnait très bien. Mais elle avait perdu son apparence matérielle.

Ce qui lui fit croire que tout cela n’était qu’une hallucination.

L’air ne paraissait pas plus lourd que l’air normal et pourtant elle découvrit qu’elle pouvait y nager, en pagayant avec les mains ou en donnant des coups de pied.

Et l’idée la frappa : si les panneaux s’étaient envolés, le bouton d’arrêt en avait certainement fait autant !

Une montée d’adrénaline la submergea. Bon sang, comment avait-elle pu être aussi stupide ?

Non, non. Les expériences à l’extérieur de l’enveloppe corporelle n’existaient pas. C’était certainement une hallucination quelconque, et elle devait se trouver encore dans la construction dépliée, toujours recroquevillée dans cet espace confiné.

Et le bouton d’arrêt était sûrement en face d’elle, à très courte distance, juste à droite du centre !

Elle tendit le bras devant elle.

Rien.

Une autre vague de panique la traversa. Il fallait pourtant qu’il soit là ! Elle ferma les yeux.

Au bout d’une interminable demi-seconde, elle vit apparaître une image mentale de l’intérieur de la construction, qui se reforma autour d’elle, exactement identique à ce qu’elle était au début.

Elle ouvrit les yeux, et la construction disparut. Elle les referma, et elle réapparut. Avec chaque fois un léger retard – plus que suffisant pour que la persistance de la vision s’évanouisse – avant que chaque changement se produise.

Ainsi, c’était une illusion. Elle ferma les yeux, laissa l’image de la construction se reformer dans son esprit, tendit le bras, pressa le bouton d’arrêt, rouvrit les yeux, vit les panneaux qui revenaient à toute allure, puis elle sentit l’hypercube se déplier autour d’elle – se pencher et se tordre comme la première fois. Exactement la première danse, exécutée à l’envers.