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Un changement radical de perspective venait de s’opérer. La sphère la plus proche se situait maintenant sous ses pieds. Heather supposait qu’avec un effort de volonté, elle pourrait la faire apparaître à sa gauche ou à sa droite, en face d’elle, derrière elle, ou…

Vers ana ou cata ?

Mais si sa pensée ne pouvait concevoir que trois paires de directions à la fois, et s’il y en avait vraiment quatre a choisir en étant ici, alors, l’une d’elles lui échappait. Il n’y avait certainement pas de hiérarchie absolue, aucune logique selon laquelle la longueur devrait être la principale dimension plutôt que la hauteur ou la profondeur.

Elle défocalisa alors son regard et tenta d’éclaircir sa pensée.

Quand elle fixa de nouveau son regard, tout était identique. Elle essaya encore, en clignant des yeux cette fois, mais en faisant attention de ne pas les fermer trop longtemps, afin de ne pas retourner à l’intérieur de la construction. C’est alors qu’elle eut l’impression de voir l’arrière-plan flou se déplacer.

Elle se concentra de nouveau.

Et soudain… incroyable ! Heather suffoquait de stupeur. Tout était différent ! Les sphères se présentaient maintenant comme deux grands bols reliés par leurs bords – et c’était comme si Heather se retrouvait à l’intérieur d’un ballon géant, et que tout soit sens dessus dessous.

La surface interne du bol paraissait granuleuse, évoquant un peu la surface d’une étoile ; Heather se dit une fois de plus qu’elle avait peut-être sous les yeux la vision du système des Centaures, bien que l’ensemble donnât l’impression d’avoir une pulsation biologique.

Elle se sentit dériver en arrière – encore un changement de perspective. En nageant dans l’espace, elle fit demi-tour pour se trouver dans la direction du mouvement apparent. Alors qu’elle se rapprochait de la surface, elle vit que l’aspect granuleux était dû à des millions d’hexagones étroitement serrés les uns contre les autres.

Tandis qu’elle regardait, l’un des hexagones commença à s’éloigner, formant un long et profond tunnel. Pendant qu’il s’étirait, Heather vit ses côtés devenir luisants, puis iridescents, et elle réalisa qu’à partir de sa nouvelle perspective, elle voyait l’un des serpents de l’intérieur. Finalement, le tunnel disparut, probablement au moment où le serpent émergeait à la surface.

Heather se retrouva enfin à quelques centaines de mètres du grand mur incurvé. Elle se sentait prise de vertige, désorientée, comme si elle avait fait la toupie en tournant longtemps sur les talons. Elle mourait d’envie de poursuivre son exploration, mais, bon sang, quelle malheureuse irruption de la réalité ! Elle avait envie d’uriner. Elle espérait tout retrouver au même point quand elle reviendrait, et ainsi ne pas être obligée de recommencer depuis le début.

Ce serait difficile de faire avancer ses investigations si elle entrait toujours au même endroit dans ce merveilleux royaume.

Elle ferma les yeux et attendit que la vision de la construction apparaisse dans son esprit. Puis elle pressa le bouton d’arrêt et entra en titubant dans l’univers bizarre, anguleux, qui était le sien.

Chapitre 21

Quand Heather sortit de son bureau et se retrouva dans le couloir, elle fut ébahie de voir par la fenêtre qu’il faisait déjà nuit. Elle regarda sa montre.

Onze heures du soir !

La porte des toilettes des femmes s’ouvrit lorsqu’elle présenta son pouce au scanner. Elle s’assit sur la toilette, qui offrait une solidité rafraîchissante, et médita sur ce qui venait de se produire. Spontanément, elle avait envie de raconter à tout le monde ce qu’elle avait découvert, de partir en courant dans le campus en criant : « Eurêka ! »

Mais elle savait qu’elle devait patienter. Cette découverte pouvait lui valoir une chaire (et sa titularisation !) non seulement à l’université de Toronto, mais à n’importe quelle université, dans n’importe quel pays. Avant de l’annoncer, il fallait qu’elle attende de savoir exactement à quoi elle avait affaire, mais pas trop longtemps, pour ne pas risquer que quelqu’un d’autre fasse cette révélation à sa place. Elle avait passé suffisamment d’années dans le monde du « publie ou péris » pour savoir que le fait de dévoiler son jeu au mauvais moment risquait de lui coûter le prix Nobel.

De plus, la véritable découverte serait de comprendre à quoi correspondait cet étrange univers ; c’était cela que le public voudrait savoir.

Elle gagna le corridor. Elle se sentait éreintée, ce qui l’étonna. Elle avait une envie folle de faire un autre voyage, en admettant que le mot « voyage » fût bien choisi pour une randonnée qui ne menait nulle part.

À moins que… À moins que l’hypercube n’offrît un spectacle extraordinaire d’effets spéciaux en se pliant ? Et si elle était vraiment allée en un lieu où personne d’autre n’avait pénétré ?

Il lui fallait absolument une caméra vidéo et un magnétophone.

Kyle avait la caméra.

Heather hésita, essayant d’étouffer un bâillement et de se convaincre qu’elle n’était pas fourbue. Elle n’avait pas assez dormi la nuit précédente, à cause de la séance de construction de la veille. Elle retourna dans son bureau. Elle fut encore agréablement surprise par la luminosité et la chaleur émises par les projecteurs, et décontenancée par la phosphorescence verte de la peinture.

Ce mot bizarre par lequel Paul l’avait qualifiée lui trottait dans la tête : piézoélectrique.

Ce n’était pas uniquement parce que c’était un mot à la sonorité rigolote. Non, il y avait autre chose, elle l’avait déjà entendu, elle en était certaine. Mais où ?

Probablement pas dans un contexte de géologie. Heather n’avait jamais suivi ce genre de cours et elle n’avait aucun ami travaillant au Service de Géologie.

Non, elle était certaine que, quel que fût l’endroit où elle l’avait entendu, ce mot avait quelque chose à voir avec la psychologie.

Elle s’approcha de son bureau, étouffa un autre bâillement et accéda au Web. Où elle ne trouva absolument rien sur ce sujet. Finalement, elle consulta un dictionnaire en ligne et découvrit qu’elle avait mal orthographié le mot : c’était P I É ZO et non P Y E E ZO, mais elle trouvait que sa façon de l’orthographier transcrivait mieux la prononciation de Paul.

Brusquement, son écran se remplit de références : journaux du Centre de Recherches géologiques des États-Unis, rapports de différentes firmes minières, sans parler d’un poème dont l’auteur avait fait rimer « piézoélectricité » avec « le gouvernement et sa duplicité ».

Il y avait aussi dix-sept références relatives aux signaux extraterrestres. Évidemment, Paul Komensky n’était sans doute pas le premier à avoir remarqué que l’un des produits chimiques dont les extraterrestres leur avaient envoyé la formule était piézoélectrique. Là résidait peut-être l’explication : dix ans auparavant, elle avait lu des références à cela, elle en était certaine ; elle les avait tout simplement oubliées, n’ayant pratiquement jamais pensé à ces formules chimiques.

Pourtant, il s’agissait d’un autre contexte. Elle continua de faire défiler la liste, passant rapidement d’une association à une autre.

Et voilà ! Elle venait de trouver ce dont elle ne se souvenait que très vaguement. Michael Persinger, un Américain insoumis, comme l’étaient de nombreux universitaires canadiens au cours des dernières décades du XXe siècle. Au milieu des années 1990, Persinger avait dirigé le Laboratoire de Psychophysiologie environnementale de la Laurentian University, dans le nord de l’Ontario. Heather y était allée une fois pour participer à un meeting de l’APA.