À l’instar de Wilder Penfield, le plus célèbre chercheur canadien sur le cerveau, Persinger avait démarré en essayant de mettre au point des cures électriques pour des malades souffrant d’épilepsie, de douleurs chroniques et de dépression.
Il avait installé une chambre insonorisée dans son laboratoire, où, au fil des années, plus de cinq cents volontaires avaient défilé. Dans cette chambre, ses cobayes arboraient un casque de motard adapté par Persinger pour envoyer vers le cerveau des pulsations électriques rythmées, de basse intensité.
Le résultat avait dépassé toutes ses prévisions.
Les personnes coiffées du casque de Persinger avaient expérimenté toutes sortes de choses étranges : hallucinations où elles se voyaient à l’extérieur de leur propre corps, rencontres avec des extraterrestres et des anges.
Persinger en était arrivé à croire que le sens de l’identité était relié aux fonctions du langage, centrées normalement dans l’hémisphère gauche du cerveau. Ses ondes électriques interrompaient la connexion entre l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit, et chaque moitié du cerveau avait acquis la sensation d’avoir à côté d’elle une présence étrangère.
Selon que la stimulation électrique avait davantage affecté l’un ou l’autre hémisphère du cerveau, et en fonction des prédispositions psychologiques individuelles, la personne qui faisait cette expérience percevait soit une présence bienveillante, soit une présence malveillante – anges et dieux à gauche, démons et extraterrestres à droite.
Mais comment la piézoélectricité s’intégrait-elle à tout cela ? Eh bien, Sudbury, où se trouvait la Laurentian University, était bien connue en tant que ville minière ; elle faisait fortune en pillant les restes d’un météore de nickel ferrugineux venu s’écraser sur le bouclier canadien des millions d’années auparavant. Compte tenu de ce fait, il n’était sans doute pas surprenant que Persinger ait eu davantage de connaissances en minéralogie que la plupart des psychologues. Il soutenait que les décharges piézoélectriques naturelles, provoquées par des pressions sur les roches cristallines, pouvaient justement résulter, de manière aléatoire, d’interférences électriques du genre de celles qu’il pouvait reproduire à volonté dans son laboratoire. L’expérience avec les extraterrestres avait peut-être plus de rapport avec ce qui se passait sous les pieds des humains qu’au-dessus de leurs têtes.
Donc, si les décharges piézoélectriques pouvaient induire des expériences psychologiques, et si la construction des extraterrestres était recouverte de peinture cristalline piézoélectrique…
L’expérience de Heather à l’intérieur de l’hypercube pouvait parfaitement s’expliquer.
Mais si ce n’était qu’une hallucination, une simple réponse psychologique à la stimulation électrique du cerveau, comment les extraterrestres qui avaient conçu cette machine avaient-ils pu prévoir que cela fonctionnerait sur les humains ? Il était probable qu’ils n’en avaient jamais vu un seul. Bien sûr, ils avaient dû détecter des signaux émis par la radio et la télévision depuis la Terre, et ils les avaient peut-être même décodés. Mais le fait de voir des images d’êtres humains ne suffisait pas pour comprendre comment fonctionnait leur cerveau.
Sauf si, comme l’avait souvent dit Kyle, il n’y avait pas trente-six façons de plumer un canard. Seigneur, les discussions qu’elle avait endurées au petit déjeuner ! Il n’existait peut-être dans tout l’univers qu’une seule méthode possible pour atteindre la véritable conscience, et une seule méthode pour créer un être de chair, pensant et conscient. Il était possible que les extraterrestres n’aient même pas eu besoin de voir un être humain s’ils savaient que leur habitacle fonctionnerait avec n’importe quelle forme vivante douée d’intelligence. Mais tout de même, quel effort démesuré pour quelque chose qui ressemblait à un jeu de salon !
À moins que…
À moins que ce ne soit pas un jeu.
À moins qu’il ne s’agisse d’une véritable expérience de désincarnation.
Bien sûr, la construction n’avait pas filé vers les étoiles en défonçant le toit de Sidney Smith. Et si c’était un meilleur scénario qui se soit déroulé ? Heather avait peut-être voyagé de la Terre à l’univers des Centaures sans même avoir été obligée de sortir de son bureau ? Il fallait qu’elle le sache, qu’elle fasse un test, qu’elle trouve un moyen quelconque de déterminer s’il s’agissait d’une hallucination ou de la réalité.
Au plus profond d’elle-même, elle savait que ce ne pouvait être qu’une hallucination. Et pas autre chose.
Jung s’était intéressé à la parapsychologie avant de mourir, et pendant ses études, Heather avait fait des recherches sur ce sujet. Mais tout ce qu’elle avait approfondi s’expliquait en termes normaux, quotidiens.
Eh bien, elle allait se lancer dans un test, pour en avoir le cœur net. Elle s’apprêta à retourner dans la construction.
Mais, bon sang, il était minuit passé, et elle commençait à avoir du mal à garder les yeux ouverts…
Ce qui lui permettait juste de rematérialiser cette fichue construction autour d’elle.
Le dernier métro était passé, et il était un peu trop tard pour marcher seule dans les rues. Elle appela un taxi et descendit l’attendre au bas du large escalier de béton, en face de Sidney Smith.
Chapitre 22
En se réveillant, le lendemain matin, Heather se sentit épuisée. Pendant le peu de temps où elle avait dormi, ses rêves avaient été presque aussi bizarres que ce qu’elle avait vu à l’intérieur de la construction.
Et maintenant qu’elle était assise, seule devant son petit déjeuner, son esprit s’attachait à des sujets plus intimes.
Autrefois, la table de la salle à manger lui avait toujours paru très grande quand ils s’y installaient tous les quatre, mais aujourd’hui, elle lui paraissait gigantesque.
Kyle et elle avaient l’habitude de discuter pendant le petit déjeuner ; ils se racontaient les histoires mesquines de leurs départements respectifs – compressions budgétaires, étudiants pénibles – et ils parlaient aussi de leurs recherches.
Et naturellement, de leurs enfants.
Mais Mary était morte. Et Becky ne voulait plus leur adresser la parole.
Le silence était assourdissant.
Elle devrait appeler Kyle, l’inviter à venir dîner ce soir.
Mais non, non, ça ne servirait à rien. À quoi bon jouer la comédie en essayant d’avoir une conversation polie. Kyle était du même avis, elle le savait. Quel que soit le sujet dont ils parleraient, il ne pourrait pas s’empêcher de penser à cette accusation et il saurait qu’elle était en train d’y penser elle aussi.
Heather planta sa fourchette dans ses œufs brouillés. Elle était en colère, c’était au moins quelque chose dont elle ne doutait pas. Mais contre qui ? Contre Kyle ? S’il était coupable, elle était bien plus qu’en colère, elle était furieuse, elle se sentait trahie, d’humeur assassine. Et s’il n’était pas coupable, alors, c’était contre Becky qu’elle était furieuse, et contre sa thérapeute.
C’était évident, Lydia Gurdjieff avait manipulé sa fille. Mais avait-elle vraiment implanté de faux souvenirs dans sa tête ? En tout cas, ce qu’elle avait affirmé en ce qui concernait Heather était archi-faux.