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Non, il était possible de connaître leur nombre.

Son cœur allait exploser. Elle venait d’avoir une vision éclair, mais elle savait jusqu’au plus profond d’elle-même que c’était la vérité. Il devait y avoir quelque chose comme, voyons, elle fit un effort pour se rappeler la quantité. Sept milliards, quatre cents millions. À peu de chose près. C’était à prendre ou à laisser. Sept milliards, quatre cents millions. La population entière de la planète Terre.

La pensée jungienne concrétisée ; la réalité, pas une métaphore. L’inconscient collectif. La conscience collective. L’esprit universel.

Elle sentit un courant d’énergie la parcourir. Cela collait parfaitement. Oui, ce qu’elle voyait était biologique, mais une vie biologique qu’elle n’avait jamais rencontrée auparavant, et dont l’échelle dépassait son imagination.

Elle l’avait toujours su, tout au fond d’elle, que cette machine ne l’emmenait nulle part. Elle se trouvait toujours dans son bureau, au second étage de Sidney Smith.

Tout ce qu’elle faisait, c’était regarder à travers un objectif déformé, un microscope Möbius, un télescope topologique.

Un hyperscope.

Et cet hyperscope lui permettait de voir la réalité en quatre dimensions qui entourait son univers quotidien, une réalité dont elle n’avait jamais pris davantage conscience que Carré A – le héros de Pays plat, de Abbott – n’avait pris conscience du monde tridimensionnel qui l’entourait.

C’est ce que la métaphore jungienne avait suggéré, il y avait longtemps, bien que ce vieux Carl n’y eût jamais pensé en termes physiques. Mais si l’inconscient collectif était plus qu’une simple métaphore, il devait ressembler à tous les coups à quelque chose comme ceci : les parties apparemment disparates de l’humanité vraiment reliées à un plus haut niveau.

Ahurissant.

Si elle ne se trompait pas…

Si elle ne se trompait pas, les Centaures n’avaient pas envoyé d’informations concernant leur univers extraterrestre. Non, ils avaient plutôt offert à l’humanité un miroir dans lequel elle pouvait enfin se réfléchir.

Et Heather était en train de scruter une partie de ce miroir – quelques centaines de pensées rassemblées en face d’elle.

Heather fit une rotation, examinant l’immense surface du bol. Elle ne discernait pas les discrets hexagones, là-bas au loin, mais elle voyait parfaitement que les points colorés qu’ils formaient ne composaient qu’une minuscule fraction du total. Peut-être cinq ou dix pour cent.

Cinq ou dix pour cent…

Des années auparavant, elle avait lu que le nombre total d’êtres humains ayant jamais existé – habilis, erectus, neandertalensis ou sapiens – s’élevait à cent milliards environ.

Cinq ou dix pour cent.

Sept milliards d’êtres humains vivant actuellement.

Et environ quatre-vingt-treize milliards venus et partis avant eux.

L’esprit universel ne se réduisait pas, pas plus qu’il ne se réutilisait ni ne se recyclait.

Au lieu de cela, il maintenait ensemble tous les hexagones précédents, sombres ou clairs, non touchés et immuables.

Et elle fut frappée par une idée.

Une idée renversante.

Et cependant, ce devait être là.

Elle se sentait défaillir.

Elle avait trouvé ce qu’elle cherchait.

Depuis qu’une conscience complexe était apparue pour la première fois, il y a des millions d’années, quelque cent milliards d’extensions d’elle – quelque cent milliards d’êtres humains – étaient nés et morts sur la planète Terre.

Tous représentés ici, chacun sous la forme d’un hexagone.

Et qu’était-ce qu’un homme ou une femme, sinon la somme de ses souvenirs ? Quelle autre valeur les hexagones pouvaient-ils bien stocker ? Pourquoi garder les anciens, à moins…

Cette seule idée lui donnait le vertige.

À qui accéder en premier ? Si elle pouvait approcher une seule pensée, ce serait laquelle ?

Celle du Christ ?

D’Einstein ?

De Socrate ?

De Cléopâtre ?

De Stephen Hawking ?

De Marie Curie ?

Ou – elle avait repoussé cette idée, bien sûr –, ou de Mary, sa fille disparue ?

Ou encore du père de Heather, mort lui aussi ?

Qui ? Par qui commencer ?

Alors que Heather méditait, perplexe, elle vit un arc lumineux relier un hexagone coloré à un hexagone sombre.

Il devait y avoir un moyen d’utiliser ce gigantesque tableau de bord, de faire interférer un cerveau vivant avec les archives d’un cerveau mort.

Ces arcs apparaissaient-ils spontanément ? Représentaient-ils une explication au fait que certaines personnes pensaient avoir déjà vécu une précédente vie ? Heather n’avait jamais cru à la possibilité d’une vie antérieure, mais une excroissance dans, voyons… dans l’espace psychique, reliant un cerveau mort à un cerveau encore actif, pouvait très bien être interprétée par la pensée active, inconsciente de ce qui se produisait, comme une précédente vie.

Elle garda les yeux fixés sur l’arc jusqu’à ce qu’il disparaisse. Quel que fût le contact qu’il avait créé, et quel qu’en fût le but, il s’était évanoui. Et maintenant, c’était fini.

L’hexagone passif ne s’était jamais éclairé ; il était resté inerte pendant tout le temps que Heather avait passé au contact de l’esprit universel. Elle voyait la meilleure représentation que son esprit pouvait produire du royaume quadridimensionnel dans lequel habitait l’esprit universel, mais la quatrième dimension, comme le disaient les articles du Web qu’elle avait lus, ce n’était pas le temps ; elle ne reliait pas les morts et les vivants de façon interactive.

Heather pivota sur elle-même pour faire face au vaste tournesol d’hexagones actifs.

L’un d’eux – sur sept milliards – était elle-même, une coupe transversale de son extension tridimensionnelle.

Mais duquel s’agissait-il ? En était-elle très près ou très éloignée ? Les connexions étaient certainement plus complexes que ne le suggérait cette représentation. Comme les neurones du cerveau d’un être humain, les connexions se faisaient probablement à plusieurs niveaux. Celui-là n’était simplement qu’une façon, extrêmement simplifiée, de considérer la gestalt de la conscience humaine.

Mais si elle se trouvait là… et c’était probable… alors, dans ce cas…

Non, non, Seigneur !

Pas Einstein.

Ni la pauvre Mary.

Ni son propre père. Non, le premier esprit que Heather voulait toucher était encore vivant, encore actif encore sensible, encore occupé à faire des expériences. Elle avait compris.

Le stockage hors site.

La mémoire.

Les archives.

Un de ces hexagones représentait Kyle.

Si elle pouvait le trouver, si elle parvenait à y accéder, alors elle saurait.

D’une manière ou d’une autre, elle en aurait enfin la certitude.

Chapitre 23

La sonnerie de la porte retentit dans le laboratoire de Kyle. Il quitta la chaise installée devant la console de Cheetah et se dirigea vers l’entrée. La porte coulissa silencieusement dès qu’il s’en approcha.

Un homme de haute taille, aux épaules carrées, se tenait dans le corridor.

— Professeur Graves ?

— Oui ?

— Je suis Simon Cash. Merci d’avoir accepté de me recevoir.

— Ah oui ! J’avais oublié votre visite. Entrez, je vous en prie.