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Peine perdue.

Elle soupira. Sept milliards de choix. Même si elle parvenait à comprendre par quel moyen elle pouvait accéder à quelqu’un, elle risquait de passer le reste de ses jours à essayer au hasard sur les hexagones.

Elle eut soudain l’intuition qu’il lui suffirait peut-être de se rapprocher de la mosaïque d’hexagones, de toucher un de ces joyaux à six faces. Elle se mit à nager, les mains en forme de coupe, en direction du mur incurvé formé par les lumières rougeoyantes.

Bien qu’elle fût toujours très éloignée des hexagones, elle parvenait à en distinguer quelques-uns, dont elle était absolument incapable de discerner les composants séparés.

Illusion d’optique ?

Une manière d’affronter l’information.

Elle se rapprocha encore, tout en ayant l’impression de ne pas couvrir la moindre distance entre elle et eux. En fait, les hexagones qui se trouvaient au centre de sa vision rétrécissaient au fur et à mesure qu’elle se déplaçait dans leur direction.

Ceux qui se trouvaient sur le pourtour de son champ de vision offraient un flou spectral.

Elle dériva, vola, ou fut tirée, plutôt, à travers l’espace qui comblait la distance.

De plus en plus près.

Et enfin, elle se retrouva près du mur.

Chaque nid d’abeille avait maintenant un centimètre et demi de diamètre environ. Pas plus gros que la touche d’un davier, comme si l’ensemble n’était qu’un vaste tableau de bord. Alors qu’elle les fixait du regard, chaque touche hexagonale s’éloignait légèrement, formant une surface concave qui invitait ses doigts à venir se mettre en contact avec elle.

Heather, recroquevillée dans la construction des Centaures, prit une profonde inspiration.

Dans l’espace psychique, elle sentit une décharge dans son index tendu en avant, comme s’il venait de se remplir d’énergie qui ne demandait qu’à s’évacuer. Elle rapprocha son doigt invisible, s’attendant vaguement à ce qu’une étincelle forme un pont entre lui et la touche hexagonale la plus proche. Mais l’énergie continuait de s’accumuler en elle, sans se libérer.

Cinq centimètres maintenant.

Plus que quatre.

Trois.

Deux.

Un.

Et, enfin…

Contact.

Chapitre 24

Kyle et Stone déjeunaient ensemble au Water Hole. Pendant la journée, l’ambiance évoquait davantage celle d’un restaurant que celle d’un bar, avec ses lampes Tiffany éteintes et ses rideaux tirés, mais les prix demeuraient ceux d’un pub.

— Le président Pitcairn est venu me voir aujourd’hui, dit Kyle tout en faisant un sort à son repas campagnard composé de pain, de fromage et de pickles. Il est tout excité par le travail d’informatique quantique que je suis en train de faire.

— Pitcairn, fit Stone avec une moue de dédain. Ce type est un Néandertalien.

Il fit une pause.

— Il en a l’allure, avec ses sourcils saillants, pour ne mentionner que ça ! ajouta-t-il.

— Il a peut-être du sang de Néandertalien, dit Kyle. Après tout, il y a bien une théorie selon laquelle l’Homo sapiens sapiensen Europe de l’Est est croisé d’Homo sapiens neandertalensis, ce qui fait qu’il y a quelques humains modernes qui ont des gènes d’hommes de Neandertal.

— D’où sors-tu, Kyle ? D’une grotte ? riposta Stone en riant de sa propre plaisanterie. Voilà vingt ans environ que nous avons des fragments d’ADN mitochondrial de Néandertaliens, et on a pu récupérer un ensemble complet d’ADN nucléaire néandertalien il y a environ dix-huit mois. The Nature of Things a consacré un épisode entier à ça.

— Comme tu disais, personne ne regarde plus les mêmes émissions, fit remarquer Kyle en riant.

Stone se racla la gorge.

— Quoi qu’il en soit, ce débat est terminé. Il n’y a jamais eu d’Homo sapiens neandertalensis, c’est-à-dire que l’homme de Neandertal n’était pas une sous-espèce de celle à laquelle nous appartenons. C’était vraiment une espèce complètement différente : Homo neandertalensis. Il n’est pas impensable qu’un humain et un Néandertalien aient pu faire un enfant ensemble, mais cet enfant aurait probablement été stérile, comme une mule.

« Non, poursuivit Stone, c’est toujours trop facile, cette idée selon laquelle un humain ayant des sourcils proéminents descend forcément de l’homme de Neandertal. Les sourcils proéminents font partie des variations parmi les Homo sapiens, comme la couleur des yeux ou la largeur de la membrane qui relie le pouce et l’index. Quand on regarde les détails plus subtils de l’anatomie du Néandertalien, telle la cavité nasale, qui contient deux projections triangulaires dépassant de chaque côté, ou l’attachement saillant des muscles de chaque membre, ou même l’absence complète de menton, on voit bien qu’ils sont entièrement différents des humains modernes.

Il sirota une gorgée de bière.

— Les Néandertaliens ont disparu définitivement. Ils ont été les seigneurs de la création pendant cent mille ans, à peu près, mais nous les avons supplantés.

— C’est trop bête, au fond, dit Kyle. Ça m’a toujours plu de penser qu’ils faisaient partie de nous.

— Malheureusement, ça ne fonctionne pas de cette façon. Cela peut se produire à l’intérieur de la même espèce ; à la fin de ce siècle, il y aura sans doute plus de gens métissés sur cette planète que de gens de pure race. Mais la plupart du temps, il est rare que l’on se passe le relais de façon pacifique, que le passé soit incorporé dans le présent. En général, ceux qui étaient avant sont balayés.

Kyle pensa aux mendiants qu’il avait vus dans Queen Street.

— Est-ce qu’il y a des Indiens du Canada parmi tes étudiants ?

Stone secoua la tête.

— Pas un seul, je n’en ai plus.

— Moi non plus. Je ne pense pas qu’il y ait même le moindre indigène à la faculté, non ?

— Pas que je sache.

— Même pas dans le Département de Langues indigènes ?

Stone hocha encore négativement la tête.

Kyle sirota sa bière.

— Tu as peut-être raison.

— J’ai raison, affirma Stone. Bien sûr, il y a encore des indigènes, mais ils sont très marginalisés. Pendant des décennies, ce sont eux qui ont eu le taux de suicide le plus élevé. Pareil pour l’alcoolisme, la pauvreté, la mortalité infantile et le chômage. Ils ont eu les taux les plus élevés de n’importe quel groupe démographique du pays.

— Je me souviens, quand j’étais étudiant ici, il y a vingt ans, on voyait quelques Indiens aux cours, dit Kyle.

— Sûr. Mais c’était grâce aux fonds du gouvernement. Maintenant, ni Ottawa ni les provinces ne dépensent plus d’argent pour eux, c’est terminé, à moins qu’il n’y ait beaucoup de voix, mais malheureusement il n’y en a pas. Bon Dieu, les Ukrainiens sont bien plus nombreux au Canada que les indigènes, tu peux me croire.

Il s’interrompit.

— De toute façon, les programmes gouvernementaux comme ceux qui avaient permis à ces étudiants de suivre les mêmes cours que toi n’ont pas duré. J’ai fait un travail il y a quelques années pour le Département des Affaires indiennes et du Développement du Nord, avant qu’il soit supprimé. Notre culture n’intéressait pas les Indiens, et quand nous avons décidé que la leur ne s’accordait pas à notre façon de vivre, nous avons cessé de prendre en compte leurs revendications territoriales, et maintenant nous les laissons mourir, en tant que peuple. Nous, les Européens, nous nous sommes installés en Amérique du Nord à leurs frais.