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Kyle poursuivait sa déambulation dans le cimetière. Il sentait une pellicule de sueur se former sur son front. La tombe de Mary n’était pas très loin derrière lui. Il fourra ses mains dans ses poches.

La mort.

Il pensa au zèbre chassé et tué par le lion.

Ce devait être une mort horrible.

À moins que…

Refoulement.

Dissociation.

Becky soutenait que ces choses-là lui étaient arrivées.

Et pas seulement Becky. Des milliers d’hommes et de femmes. Refoulement des souvenirs de guerre, de torture, de viol.

Peut-être était-il permis d’imaginer que le zèbre ne s’était pas senti mourir et que sa conscience s’était détachée de lui au moment où son corps était attaqué.

Et pourquoi tous les animaux supérieurs n’auraient-ils pas cette capacité d’évasion pour fuir la douleur et éviter de mourir dans la terreur ?

Mais le mécanisme de refoulement devait avoir une faille, sinon, les souvenirs ne reviendraient jamais.

S’il n’avait pas de faille, du moins devait-il être poussé au-delà… au-delà de ses paramètres programmés ?

Dans le monde animal, il est rare que des blessures physiques très traumatisantes ne soient pas fatales. Un animal effrayé, et même terrifié, peut rester en vie quelques jours de plus. Mais une fois qu’un prédateur a enfoncé ses crocs dans sa proie, cette proie est presque toujours condamnée à mourir. Le refoulement n’aurait à fonctionner que pendant quelques minutes, ou tout au plus quelques heures, pour épargner à l’animal les horreurs de sa propre mort.

Et s’il était impossible qu’il y ait des survivants à des expériences physiquement traumatisantes, il n’était pas nécessaire que les circonvolutions du cerveau soient capables de supprimer un souvenir pendant des jours, des semaines, ou des mois.

Ou des années.

Mais l’humanité – quel nom ironique ! – avait conçu des traumatismes qui n’étaient pas fatals.

Le viol.

La torture.

Les horreurs de la guerre.

Peut-être l’esprit était-il prévu pour supprimer le souvenir des pires expériences physiques. Cela devait faire partie de l’évolution.

Mais il était possible que ces expériences refassent surface au bout de quelque temps, de façon inopinée.

L’évolution…

Kyle considéra ce mot, le tourna et le retourna dans sa tête ; il y avait pensé souvent depuis la révélation de Cheetah sur la façon dont la conscience microtubulaire pouvait en fait s’éveiller spontanément grâce à une évolution préadaptée.

Il contempla les dalles funéraires, avec leurs crucifix et leurs mains priantes.

L’évolution ne pouvait concerner que ce qui augmentait les chances de survie.

Par définition, elle ne pouvait pas apporter de réponses précises à des événements qui se produisaient après la dernière rencontre reproductrice et, naturellement, la mort était toujours l’ultime événement.

En fait, Kyle ne voyait aucun moyen selon lequel l’évolution pourrait procurer aux animaux une mort pleine d’humanité, quel que soit le pourcentage de la population qui en bénéficierait. Et pourtant…

Et pourtant, si le refoulement des souvenirs humains pouvait être validé, cette capacité devait venir de quelque part. Ce ne pouvait être que le fruit du mécanisme qui permettait aux animaux de mourir paisiblement même lorsqu’ils étaient dévorés vivants.

Si un tel mécanisme existait, naturellement.

Et s’il existait, cela signifiait que l’univers était attentif, après tout. Quelque chose au-delà de l’évolution avait formé la vie, lui avait donné, sinon un sens, du moins la liberté d’oublier la torture.

Sauf la torture occasionnée par le retour des souvenirs.

Kyle se dirigeait lentement vers la station de métro. On était vendredi, en plein milieu de l’après-midi. Les trains qui arrivaient du centre-ville étaient bondés de banlieusards qui s’échappaient de leurs bureaux prisons. Kyle donnait deux cours pendant l’été. L’un d’eux tombait, par malchance, à 4 heures, le vendredi après-midi. Il prit la direction de l’Université pour donner son dernier cours de la semaine.

Chapitre 27

Les yeux rivés sur le gigantesque mur d’hexagones, Heather réfléchissait, luttait contre le vertige en s’accrochant à son esprit rationnel.

Elle décida d’essayer encore une fois. Elle toucha un autre hexagone et recula aussitôt, horrifiée.

Elle venait d’entrer dans un esprit sombre et tortueux, dans lequel chaque perception était déformée, chaque pensée effilochée et décousue.

C’était un homme, une fois de plus ! Un Blanc ; et c’était important pour lui, cette blancheur, cette pseudo-pureté. Il se trouvait dans un parc, près d’un lac artificiel. Il faisait nuit noire. Heather supposait que les connexions qu’elle obtenait se passaient en temps réel, ce qui signifiait que celle-là avait lieu dans un autre pays que l’Amérique du Nord. Ici, c’était l’après-midi.

L’homme pensait en français.

C’était vraisemblablement la France ou la Belgique, plutôt que le Québec.

Cet homme rôdait, se cachait derrière un arbre, à l’affût.

Quelque chose ne tournait pas rond, on sentait une tension, une explosion imminente.

Mon Dieu, se dit Heather. Une érection, d’après le renflement sous son pantalon. Alors c’était ça, la sensation qu’ils avaient. Grands dieux !

Freud s’était complètement trompé – il était impossible d’envier cela. Le pénis semblait prêt à se fendre dans le sens de la longueur, une saucisse dont la peau aurait éclaté.

Une femme approchait, visible par intermittence sous la lumière des réverbères.

Jeune, jolie, blanche, elle portait des bottes roses en cuir. Elle était seule.

Il la laissa passer près de lui… Puis il jaillit de sa cachette, se jeta sur elle, et lui pointa un couteau sur la gorge. Heather l’entendit parler, en français. Il avait bel et bien l’accent parisien.

Heather connaissait suffisamment le français pour comprendre qu’il disait à la jeune fille de ne pas se débattre, qu’elle avait intérêt à être gentille avec lui.

Incapable d’en supporter davantage, Heather ferma les yeux, le temps que la construction se reforme autour d’elle. Elle se sentait en plein désarroi. D’après les statistiques, il y avait une femme violée toutes les onze secondes dans le monde. Jusqu’à présent, ce problème était resté une abstraction pour elle, mais maintenant que cela était en train de se produire, à cet instant précis, elle ne pouvait pas rester sans réaction. Elle devait faire quelque chose.

Elle respira à pleins poumons et rouvrit les yeux.

— Stop ! cria-t-elle à l’intérieur du cube. Stop !

Elle criait en pensée. Puis :

— Arrêtez !

Arrêtez !

Mais le monstre continuait, ses mains tripotant maintenant les seins de la jeune fille.

Heather tira ses propres bras en arrière, espérant entraîner en même temps ceux de l’homme.

Mais ce mouvement fut aussi vain que son cri. Rien de ce qu’elle faisait n’avait le moindre effet sur lui. Scandalisée, furieuse et effrayée, Heather s’était mise à trembler. L’homme continuait, aussi peu conscient de ses cris que de ceux de sa victime.

Ou plutôt, non, il n’était pas inconscient des cris de sa victime. Les gémissements de la jeune fille le rendaient plus violent encore…

Heather n’en pouvait plus.

L’homme arracha le pantalon de la jeune fille.

Et Heather parvint à visualiser la précipitation, la solution dans le solvant, et s’échappa enfin de cet esprit empoisonné, déformé, pour se retrouver devant le mur d’hexagones.