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Non, non, elle le ferait d’autant moins que, jusqu’à présent, elle ne savait pas s’il existait un moyen de distinguer les faux souvenirs des vrais. Elle continuerait sa recherche, son travail d’archéologie, ici, dans l’esprit de Kyle. C’était lui l’accusé.

Elle pressa le bouton, impatiente de connaître le verdict.

Lundi matin, Kyle arriva de bonne heure au laboratoire. Quand il sortit de l’ascenseur, au troisième étage, son cœur bondit dans sa poitrine. Une femme asiatique s’appuyait à la balustrade qui entourait l’atrium.

— Bonjour, docteur Graves.

— Ah, bonjour, madame…

— Chikamatsu.

— Oui, madame Chikamatsu ?

Son tailleur gris anthracite paraissait encore plus onéreux que celui qu’elle portait lors de sa première visite.

— Vous n’avez pas répondu à mes messages téléphoniques, ni à mon courrier électronique, lui reprocha-t-elle.

— J’en suis désolé. J’ai été très occupé, et je n’ai pas encore réfléchi à votre proposition. Nous avons stabilisé les champs de Dembinski, mais nous obtenons encore une importante non-cohérence.

Kyle présenta son pouce au scanner, près de la porte de son laboratoire. Un petit bip indiqua qu’il l’avait reconnu, et la porte s’ouvrit brusquement avec un bruit qui évoqua pour Kyle celui d’une détonation.

— Bonjour, docteur Graves, dit Cheetah, qui était resté en ligne depuis samedi. J’ai une autre blague pour… oh, pardon, je n’avais pas réalisé qu’il y avait quelqu’un…

Kyle posa son chapeau sur le vieux portemanteau. Il avait pris l’habitude d’en porter un, même pendant l’été, pour cacher sa calvitie naissante.

— Cheetah, voici Mme Chikamatsu.

Les yeux de Cheetah vibrèrent tandis qu’ils se focalisaient sur elle.

— Enchanté, madame Chikamatsu.

Médusée, Chikamatsu haussa ses fins sourcils.

— Cheetah est un SIMIESC, expliqua Kyle. Vous savez, une simulation par ordinateur, qui singe l’humanité.

— Je trouve que le mot « singe » est vraiment désobligeant, déclara Cheetah d’un ton ulcéré.

Kyle sourit.

— Vous entendez ? Son indignation paraît sincère. Je l’ai programmée moi-même. C’est la première chose dont on a besoin dans un contexte universitaire : la capacité de s’offusquer du moindre manque d’égards, réel ou imaginaire.

Les premières notes de la Cinquième Symphonie de Beethoven s’élevèrent de la petite grille du son, sur la console de Cheetah.

— Et ça, qu’est-ce que c’est ? s’enquit Mme Chikamatsu.

— C’est sa façon à lui de rire. Il faut que j’y apporte une modification.

— Oui, dit Cheetah, débarrassez-moi de ces cordes viennoises. Pourquoi pas un instrument à vent, à la place ? Un Bonnhautbois, par exemple !

— Quoi ? s’étonna Kyle. Oh, je vois !

Il regarda Chikamatsu.

— Cheetah essaie de faire de l’humour.

— Un Bonnhautbois ? répéta-t-elle, perplexe.

Kyle sourit malgré lui.

— Bonn est la ville où est né Beethoven ; un bonobo est un chimpanzé pygmée, un singe, vous voyez ?

La Japonaise secoua la tête, sidérée.

— Si vous le dites… ! Bien, si nous passions à l’offre que vous a faite mon consortium ? Nous savons que vous serez très occupé quand vous aurez mené à bien votre découverte. Nous aimerions vous faire signer un contrat vous engageant à vous pencher immédiatement sur notre problème.

Pour l’instant, Kyle se penchait sur la machine à café.

— Ma femme pense que, quel que soit le contenu du message que Huneker a décrypté, cette découverte appartient à l’humanité entière. Et je suis d’accord avec elle. Je serais heureux d’entreprendre le décodage du message pour vous, mais je ne signerai pas un acte de confidentialité au sujet de son contenu.

Chikamatsu fronça les sourcils.

— J’ai carte blanche pour rendre le marché plus alléchant. Nous pouvons vous offrir trois pour cent en royalties.

— Là n’est pas la question, je vous assure.

— Alors, il ne nous reste plus qu’à faire une offre au Dr Saperstein.

Kyle serra les dents.

— Je comprends.

Puis il sourit.

— Transmettez mon bonjour à Shlomo.

Pour que Saperstein sache qu’ils sont venus me voir le premier, et qu’il prendra mes rebuts.

— Je souhaite vraiment que vous réfléchissiez encore, dit Chikamatsu.

— Je suis désolé.

— Si vous changez d’avis, dit-elle en lui tendant une carte de visite plastifiée, appelez-moi.

Kyle prit la carte et lui jeta un coup d’œil. Un seul mot y était imprimé : « Chikamatsu ». Elle était bordée d’une bande magnétique sur un côté.

— Je serai au Royal York pendant les deux prochains jours, mais vous pouvez glisser cette carte dans n’importe quel téléphone, n’importe où dans le monde, pour me joindre à mes frais sur mon téléphone cellulaire.

— Je ne changerai pas d’avis, affirma Kyle.

Chikamatsu fit un petit signe de tête et gagna la porte.

— De quoi s’agissait-il ? demanda Cheetah quand elle fut partie.

Kyle prit son accent à la Bogart.

— Le truc qui hante les rêves.

— Pardon ?

Kyle roula les yeux.

— Ah, les gosses d’aujourd’hui !

Chapitre 30

Heather trouva des souvenirs de toutes sortes dans la mémoire de Kyle, mais aucun d’eux ne venait étayer l’accusation de Becky.

Elle resta le plus longtemps possible dans l’espace psychique, entre deux séjours aux toilettes. Puis, au cours d’une séance de repos, elle se projeta la bande vidéo. À sa grande surprise, elle vit tous les cubes se mettre à miroiter, par la peinture ou par le substrat, puis les composants commencèrent à s’estomper tandis que chaque cube se libérait en se distordant.

Et tout à coup, l’ensemble disparut.

Elle fit avancer rapidement la bande, et le vit réapparaître de nulle part. Stupéfiant. La construction se pliait réellement en direction de cata ou d’ana. Elle se transcendait vraiment vers un autre univers.

Heather poursuivit ses recherches pendant tout le week-end et découvrit de nombreuses facettes de Kyle. Bien qu’elle se concentrât sur ses pensées concernant ses filles, elle trouva également des souvenirs relatifs à son travail, à leur mariage, et à elle. Apparemment, il ne portait pas toujours sur elle un regard dénué de sens critique. Elle avait des plis aux cuisses !

C’était fascinant, éclairant, irrésistible. Et elle désirait en connaître tellement plus sur lui. Mais elle ne pouvait pas s’éterniser. Elle devait se contraindre à une recherche précise.

Et enfin, un lundi matin, elle trouva ce qu’elle cherchait.

Effrayée, elle faillit abandonner.

Le viol de cette Française anonyme la hantait encore, mais ça… Si ce qu’elle craignait s’était réellement passé… Elle serait épouvantée, écœurée, hantée toute sa vie ; elle serait capable de le tuer. Elle le savait, jamais elle ne parviendrait à effacer ces images de son esprit. Mais le but de sa démarche était de savoir la vérité, elle ne pouvait pas reculer.