— En culotte et soutien-gorge ? répéta Becky, éberluée.
Heather sourit.
— Aie confiance, ma chérie. Allez, vas-y !
Quatre heures plus tard, Heather aidait sa fille à retirer la porte cubique et lui tendait la main pour l’aider à sortir. Becky la prit et émergea de la construction.
Pendant un long moment, elle resta debout sans rien dire, laissant les larmes ruisseler sur ses joues. Incapable de trouver ses mots, elle finit par se jeter dans les bras de sa mère.
Heather lui caressa les cheveux.
— Tout ira bien maintenant, ma chérie, tout ira bien.
Becky tremblait de tous ses membres.
— C’est inimaginable ! hoqueta-t-elle. Je n’aurais jamais cru ! Jamais je n’aurais imaginé cela !
Heather eut un sourire triomphal.
— Est-ce que je ne t’avais pas prévenue ?
Becky prit soudain un ton dur.
— Quelle salope ! Elle m’a utilisée, elle m’a manipulée !
Heather s’abstint de faire le moindre commentaire. Bien que le désarroi de sa fille l’attristât, elle ressentait un soulagement intense.
— Elle m’a utilisée, répéta Becky. Comment ai-je pu être aussi stupide ? Comment ai-je pu me tromper à ce point ?
— Ce n’est pas ta faute, c’est fini, maintenant.
— Non, ce n’est pas fini.
Elle tremblait et pleurait sur l’épaule de Heather, à présent humide de ses larmes.
— Et papa, qu’est-ce que je vais lui dire ?
— La seule chose que tu puisses lui dire. La seule chose qu’il y ait à dire : que tu es désolée.
Becky n’avait plus qu’un filet de voix.
— Mais il ne m’aimera plus jamais.
Heather releva doucement le menton de sa fille et la regarda droit dans les yeux.
— Si j’ai une certitude, ma chérie, c’est bien qu’il n’a jamais cessé de t’aimer.
Chapitre 32
Heather avait invité Kyle à dîner pour le lendemain soir.
Elle avait tant de choses à lui dire, et tant de choses devaient être mises au grand jour !
Mais maintenant qu’il se trouvait près d’elle, elle ne savait par où commencer. Elle choisit de garder ses distances, de lui parler de scientifique à scientifique.
— Crois-tu, demanda-t-elle, que tous les éléments qui paraissent séparés dans notre univers tridimensionnel puissent faire partie d’un même corps, plus important, en quatre dimensions ?
— Bien sûr, dit Kyle. C’est ce que je dis toujours à mes étudiants. Il suffit d’extrapoler, de visualiser des vues bidimensionnelles d’objets en trois dimensions. Un monde bidimensionnel serait une surface plane, une feuille de paperite, par exemple. Si un beignet passait verticalement à travers ce plan horizontal, un habitant du monde bidimensionnel verrait deux cercles séparés, ou les lignes qui les représentent, à la place du beignet.
— Exactement, acquiesça Heather. Exactement. Maintenant, que penses-tu de ça : si l’humanité, mot que nous employons si souvent pour désigner collectivement les différents membres de notre espèce, représentait en fait un être unique, à un niveau supérieur ? Si les sept milliards d’individus que nous percevons en trois dimensions n’étaient en réalité que les divers aspects d’un seul être gigantesque ?
— C’est un peu plus difficile à visualiser qu’un beignet, mais…
— Alors oublie le beignet. Pense à… je ne sais pas… pense à un oursin : une boule plantée sur toute sa surface d’innombrables piquants. Et ne pense plus à notre cadre de référence comme à une simple feuille de paperite, mais comme à un voile de nylon, un collant, par exemple. Si l’oursin était enveloppé dans le collant, tu ne verrais que ses piquants, qui passeraient à travers, et tu croirais que chacun d’eux est séparé des autres. Tu ne réaliserais pas forcément qu’ils sont tous rattachés et qu’ils ne représentent que des extensions de quelque chose de plus important.
— Ma foi, c’est une notion intéressante, dit Kyle. Mais je ne vois pas comment cela pourrait être testé.
— Et si cela avait déjà été testé ?
Elle s’interrompit pour réfléchir à ce qu’elle allait lui annoncer ensuite.
— Il est certain que la plupart du temps, les expériences psychiques sont de la foutaise. On peut pratiquement toutes les expliquer. Mais parfois, très rarement, certains cas échappent à une explication rationnelle. En fait, ils défient toute explication scientifique parce qu’ils ne se reproduisent pas. Et s’ils n’ont lieu qu’une fois, comment faire pour les étudier ? Mais que se passe-t-il si, dans des circonstances rarissimes et très spéciales, quelques piquants de notre oursin, qui sont normalement isolés les uns des autres, se replient et entrent en contact les uns avec les autres, si brièvement que ce soit ? Cela pourrait expliquer la télépathie, et…
Kyle fronçait les sourcils.
— Allons, Heather. Tu ne crois pas plus que moi à la lecture dans les pensées d’autrui.
— Je ne crois pas qu’il soit possible de le faire à tout bout de champ, ni au moment précis où l’on décide de le faire. Mais depuis la nuit des temps, c’est un phénomène dont on a toujours parlé, qui se reproduit occasionnellement. Après tout, il y a peut-être quelque chose de vrai. Jung lui-même, à la fin de sa vie, prétendait que l’inconscient fonctionne indépendamment des lois de la causalité et de la physique normale, ce qui rendrait possibles des phénomènes comme la clairvoyance et la prémonition.
— Il n’avait plus toute sa tête, objecta Kyle en souriant.
— Peut-être, mais mon chef de département a passé son doctorat de philosophie à Duke ; et là-bas, ils faisaient des travaux intéressants sur la perception extrasensorielle, ils…
— Ce genre d’expériences ne résiste pas à une observation rigoureuse, l’interrompit Kyle.
— Évidemment, il est clair qu’il n’existe aucune expérience de lecture dans les pensées qui soit vraiment fiable, mais plusieurs études récentes, très sérieuses, montrent que, dans des conditions de privations sensorielles, un certain nombre de personnes sont capables de deviner, parmi quatre possibilités, ce qu’une autre personne est en train de regarder. On peut s’attendre à un taux de réussite de vingt-cinq pour cent en testant par hasard, mais d’après les études menées par Honorton dans le New Jersey, le taux de réussite a atteint trente-trois à trente-sept pour cent, voire cinquante pour cent dans un groupe de vingt personnes testées. Et l’esprit universel quadridimensionnel…
— Ah ! s’exclama Kyle, amusé. Le si convoité EUQID !
— L’esprit universel quadridimensionnel, répéta fermement Heather, fournit un modèle théorique qui peut être pris en compte dans les relations télépathiques occasionnelles.
Kyle souriait toujours.
— Tu cherches à obtenir une nouvelle subvention pour tes recherches ?
Heather haussa les épaules. S’il y avait une chose dont elle n’avait jamais manqué, c’était bien de subventions.
— Ce modèle peut aussi expliquer des coups de génie, poursuivit-elle, imperturbable. En particulier, ceux qui se produisent pendant le sommeil. Souviens-toi de Kekule, quand il cherchait la structure chimique du benzène. Il avait rêvé d’atomes qui serpentaient, ce qui s’était révélé tout à fait juste. Mais peut-être n’avait-il pas fait cette découverte capitale tout seul.
Elle s’interrompit.
— Et peut-être n’ai-je pas eu cette idée toute seule non plus. Il est possible que le sommeil soit le moment où nous communiquons le plus avec notre esprit universel. Alors, imagine un peu : si les rêves se formaient au moment où nos expériences individuelles vécues pendant la journée sont déchargées dans l’esprit universel ? Tu sais que tu peux : mourir si tu ne rêves pas ? Tu peux absorber toutes les saloperies qui existent sur cette terre et t’en sortir, mais si tu prends des médicaments qui t’empêchent de rêver, tu meurs. Le rêve est indispensable. Et quand tu t’attaques à un problème, tu n’es peut-être pas toujours seul face à lui. C’est comme la façon dont ton ordinateur quantique est censé travailler : l’ordinateur que tu vois ne va résoudre que la plus petite partie du problème, mais il va travailler simultanément avec tous les autres. Il n’est pas impossible que parfois, pendant le sommeil, nous touchions l’esprit universel et que nous obtenions le bénéfice de toutes les interactions. Donc, voici mon idée : pourquoi le sommeil ne serait-il pas le seul moyen pour que l’esprit se mette en contact avec l’esprit universel ?