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Il balança ses pieds par-dessus le bord et se glissa dehors. Heather l’observa sans rien dire. Il avait pleuré, cela ne faisait aucun doute.

Kyle réussit à lui adresser un pâle sourire.

— Merci, dit-il.

Sa fille n’était pas dans la pièce.

— Où est Becky ?

— Elle a dû partir. Elle avait rendez-vous avec Zack.

Kyle hocha la tête. Il se sentait léger, heureux. Mais il discerna de l’inquiétude sur le visage de Heather, et soudain il réalisa de quoi il s’agissait. Elle le connaissait, évidemment, et depuis peu, elle le connaissait à fond. Elle réalisait sans doute qu’avant de regarder l’hexagone de Mary, il avait dû faire un petit plongeon dans l’esprit de sa femme. Cette expression sur le visage de Heather, il l’avait déjà vue, il y avait des lustres, la première fois qu’elle s’était montrée dans son plus simple appareil, et qu’ils s’étaient caressés dans une chambre bien éclairée au lieu de le faire en tâtonnant dans l’obscurité. Elle avait exactement cet air embarrassé. Elle craignait de ne pas être à la hauteur de ce qu’il imaginait, tout en restant toujours si provocante.

Il lui ouvrit ses bras, l’attira contre lui et la serra à l’étouffer.

Une minute après, ils s’arrachèrent l’un à l’autre. Kyle lui prit la main et passa son index sur son anneau de mariage.

— Je t’aime, dit-il.

Il chercha ses yeux.

— Je t’aime et je veux passer le reste de ma vie à mieux te connaître.

Heather sourit à son intention, mais également au souvenir évoqué par ces paroles.

— Je t’aime aussi, dit-elle pour la première fois en un an.

Il se pencha vers elle, et ils s’embrassèrent. Quand leurs lèvres se séparèrent, elle répéta :

— Je t’aime vraiment.

Kyle hocha lentement la tête.

— Je le sais. J’en suis tout à fait convaincu.

Mais Heather gardait une expression empreinte de tristesse.

— Et Mary ?

Il lesta silencieux quelques secondes.

— J’ai trouvé la paix.

Heather secoua la tête.

— C’est incroyable, reprit Kyle. L’esprit universel. Absolument incroyable… et pourtant.

— Pourtant ?

— Tu te souviens du professeur Papineau. Je te disais toujours que ses cours élargissaient l’esprit. Il m’a enseigné une bonne dose de physique quantique, mais je n’ai jamais été vraiment dans le coup. Rien n’était très clair. Maintenant, je commence à comprendre.

— Ah oui ?

Il écarta les bras, cherchant une façon d’exprimer le fond de sa pensée.

— Tu connais le chat de Schrödinger ?

— Je connais le nom, répondit Heather.

— Simple expérience théorique : tu enfermes un chat dans une boîte avec une dose de gaz mortel et un déclencheur qui laissera ce gaz s’échapper s’il se produit un événement quantique ayant précisément cinquante chances sur cent d’avoir lieu pendant l’heure qui suit. Une fois que l’heure s’est écoulée, peux-tu dire, sans ouvrir la boîte, si le chat est mort ou vivant ?

Heather fronça les sourcils :

— Non.

— Non. C’est la bonne réponse. Non pas parce que tu ne peux pas choisir entre les deux possibilités, mais parce que ça ne peut être ni l’une ni l’autre. Le chat n’est ni vivant ni mort, c’est plutôt une superposition de fronts d’ondes, un mélange, une combinaison des deux cas possibles. Seul l’acte d’ouvrir la boîte et de regarder à l’intérieur entraîne les fronts d’ondes à se transformer en une réalité concrète. C’est de la mécanique quantique : les choses sont indéterminées tant qu’elles ne sont pas observées.

— D’accord.

— Mais imagine que je regarde d’abord dans la boîte pour voir si le chat est toujours vivant, et que je referme la boîte. Tu viens quelques minutes après, tu ouvres la boîte et tu regardes, sans savoir que j’ai déjà jeté un coup d’œil. Qu’est-ce que tu vois ?

— Un chat vivant.

— Très juste ! Le fait que je l’aie observé donne forme à la réalité pour toi aussi. C’est depuis longtemps un des problèmes posés par la mécanique quantique : pourquoi le fait qu’une seule personne observe quelque chose crée-t-il une réalité concrète pour tout le monde simultanément ? La réponse, naturellement, est que chacun fait partie de l’esprit universel. L’observation faite par une seule personne est donc faite par tout le monde ; en un mot, la mécanique quantique a besoin de l’esprit universel pour fonctionner.

Heather parut impressionnée.

— Intéressant. Et que faisons-nous maintenant ? dit-elle après une petite pause.

— Nous l’annonçons au monde entier, dit Kyle.

— Vraiment ?

— Bien sûr. Tout le monde a le droit de savoir.

— Mais cela va tout changer, argumenta Heather. Tout. La civilisation que nous connaissons va cesser d’exister.

— Si ce n’est pas nous qui l’annonçons, ce sera quelqu’un d’autre.

— Peut-être. Mais il n’est pas impossible que personne d’autre ne trouve l’explication.

— Si, c’est inévitable. Bon sang, maintenant que tu as réussi, cela fait partie de l’inconscient collectif ! Quelqu’un d’autre trouvera la réponse dans un rêve.

— Mais les gens vont prendre avantage de cela, de la possibilité d’espionner les autres, de leur voler leurs pensées. La société entière va s’écrouler.

Kyle se rembrunit.

— Pourquoi les Centaures nous auraient-ils envoyé des instructions pour que nous construisions quelque chose qui nous conduirait à notre perte ? Pourquoi feraient-ils cela ? Nous ne représentons pas une menace pour eux.

— Je suppose que tu as raison, admit Heather.

— Alors, nous devons divulguer cette découverte.

Heather fronça encore les sourcils.

— Nous sommes samedi. Je doute fort que beaucoup de journalistes scientifiques travaillent le week-end, pendant l’été. Nous ne pouvons pas organiser une conférence de presse avant lundi. Et si tu veux qu’ils soient nombreux, il faudra prévenir les journalistes un jour ou deux à l’avance.

Kyle acquiesça d’un hochement de tête.

— Mais si quelqu’un d’autre annonçait la découverte pendant le week-end ? s’inquiéta-t-il.

Heather réfléchit.

— Eh bien, si cela arrivait, je pourrais toujours montrer les archives de l’esprit universel et déclarer : « Vous avez sous les yeux la preuve que j’avais résolu le problème avant vous. »

Elle s’interrompit.

— Mais je suppose que c’est un mode de pensée obsolète, dit-elle en haussant les épaules. Dans le monde nouveau que nous allons créer, je doute que l’idée d’arriver le premier ait encore une quelconque signification.

Heather passa tout le dimanche à explorer l’espace psychique. Kyle et Becky faisaient la même chose chacun à leur tour à Mullin Hall, où il fallait bien être deux pour ouvrir la porte cubique.

Heather avait l’impression de nager dans la pureté d’un lac de montagne transparent, inaccessible ; un lac que personne d’autre n’aurait jamais approché et dont elle serait la première à découvrir la beauté, dans lequel elle serait la première à s’immerger, à se laisser emporter, à sentir qu’il l’enveloppait tout entière.

Mais comme pour n’importe quel paysage, la vie à la surface prenait racine dans la mort, les nouvelles pousses prospéraient à travers une couche de matière organique en putréfaction. Bien qu’il existât de nombreuses personnes vivantes dont Heather voulait explorer l’esprit, il y avait aussi un nombre incalculable de morts auxquels elle désirait se connecter, et elle trouvait que, d’une certaine façon, pénétrer dans leur esprit ressemblait moins à une invasion, ou au viol d’une intimité.