C’était un père, un mari. Cash avait dit que Graves venait tout récemment de se réconcilier avec sa femme.
Brian Kyle Graves, un être humain.
Fogarty tripota le pistolet paralysant.
D’après le dossier, ce type semblait vraiment du genre correct.
Et Fogarty n’aimerait certainement pas qu’on lui fasse un truc comme ça à lui.
Encore un pas. Il percevait la voix assourdie de Graves en train de dicter à l’ordinateur.
Fogarty s’arrêta net. Bon Dieu, il s’était débarrassé de plus d’une vingtaine de problèmes à lui tout seul, l’année précédente, mais…
Mais…
« Je ne peux pas faire ça, se dit-il. Je ne peux pas. »
Il fit demi-tour et remonta le couloir.
Kyle finit de dicter son rapport et se dirigea vers le Water Hole. Il avait pris rendez-vous avec Stone Bendey. Stone arrivait tout droit d’un meeting au Royal Ontario Muséum.
— Tu as l’air de bonne humeur, dit-il tandis que Kyle s’installait en face de lui.
Kyle sourit.
— Il y a des siècles que je ne me suis pas senti aussi bien. Ma fille s’est rendu compte qu’elle s’était trompée.
Stone leva les sourcils.
— C’est formidable !
— Dans quelques semaines, c’est mon anniversaire. Je ne pouvais pas espérer de plus beau cadeau !
Une serveuse arriva.
— Un verre de vin rouge, s’il vous plaît, commanda Kyle.
Stone avait déjà une chope de bière devant lui.
La serveuse s’éloigna.
— Je voulais te remercier, Stone, reprit Kyle. Je ne sais pas si j’aurais pu affronter cette situation sans toi.
Stone ne répondit pas. Kyle poursuivit :
— Parfois, ce n’est pas facile d’être un homme. Les gens ont vite fait de nous croire coupables. En tout cas, ton soutien m’a vraiment aidé. Le fait de savoir que tu avais vécu à peu près la même chose, et que tu t’en étais sorti, m’a donné… je ne trouve pas le mot… de l’espoir, oui, c’est le mot juste.
La serveuse réapparut et posa le verre de vin devant lui. Kyle lui fit un petit signe de tête, puis il leva son verre.
— À nous ! À deux survivants !
Stone leva sa bière et les deux hommes trinquèrent. Mais Stone ne but pas. Il posa sa chope et regarda au loin.
— Moi, je l’ai fait, finit-il par murmurer.
— Pardon ? fit Kyle, sans comprendre.
Stone le regarda.
— Je l’ai fait… à cette fille, il y a cinq ans. Je l’ai harcelée sexuellement.
Il soutint le regard de Kyle pendant quelques secondes. Il semblait attendre une réaction. Puis il baissa les yeux sur la nappe.
— Mais l’étudiante s’est rétractée ! s’étonna Kyle. Stone fit un signe de tête presque imperceptible.
— Elle a cru que ça l’aiderait. Elle savait qu’elle ne gagnerait pas, et il y avait un tas d’autres types de l’Université qui commençaient à lui battre froid.
Il sirota une gorgée de bière.
— Elle s’est fait muter à York.
Il haussa les épaules.
— Nouveau départ.
Kyle ne savait plus quoi dire. Il laissa errer son regard du côté du bar pendant un bon moment.
— Je sais que ce n’est pas une excuse, reprit Stone, mais je vivais un moment difficile. J’étais en train de divorcer. Je…
Il s’interrompit.
— C’était complètement stupide de faire une chose pareille.
Kyle soupira.
— Tu as passé tout ce temps à m’écouter te raconter mes problèmes avec Becky.
Stone haussa encore les épaules.
— Je croyais que tu étais coupable.
La voix de Kyle s’éleva d’un cran.
— Je t’ai dit que je ne l’étais pas !
— Je sais, je sais. Mais si tu avais été coupable, alors tu aurais vraiment été un sale type, bien pis que moi. Tu es quelqu’un de bien, Kyle… je me disais que si un type comme toi pouvait faire quelque chose d’aussi moche, alors ça excusait peut-être un peu ce que j’avais fait. Ce genre de trucs, ça arrive parfois.
— Bon sang, Stone !
— Je sais. Mais c’est terminé, je ne recommencerai jamais plus.
— Attention à la récidive !
— Non, non, j’ai changé. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis plus le même. Quelque chose en moi a changé.
Stone fouilla dans ses poches et en tira une carte bancaire.
— Je suppose que tu n’as pas envie de me revoir. Je suis très heureux que tu sois réconcilié avec ta fille. Sincèrement.
Il se leva.
— Reste encore un moment, dit Kyle.
Stone hésita.
— Tu es sûr ?
Kyle hocha la tête.
— Sûr.
Le mardi matin, Heather montait péniblement l’escalier de Mullin Hall, les bras chargés de livres qu’elle voulait garder à portée de main dans le laboratoire de Kyle pour la conférence de presse du lendemain. Heureusement, le taux d’humidité était bas ce jour-là, et le ciel formait un immense dôme bleu sans nuages.
La personne qui montait devant elle, vêtue d’un blouson Varsity Blues doté d’un écusson « Kolmex », avait une silhouette qui lui parut familière ; c’était le même genre d’adolescent traîne-savates que celui qui avait laissé la porte claquer au nez de Heather et de Paul, deux semaines auparavant, à Sidney Smith.
Elle eut envie de l’appeler mais, à son grand étonnement, il s’arrêta en atteignant la porte, regarda derrière lui si quelqu’un arrivait et, en apercevant Heather, il ouvrit la porte et la maintint pour elle.
— Merci ! Il lui sourit.
— Je vous en prie. Bonne journée !
Le plus drôle, se dit Heather, c’est qu’il avait vraiment l’air de penser ce qu’il disait.
Chapitre 41
Nous ne sommes pas seuls.
C’était le titre du livre qui, le premier, avait attiré l’attention du public sur le programme de Recherche d’Intelligence extraterrestre (SETI). Écrit par Walter Sullivan, ancien rédacteur scientifique du New York Times, il avait été publié en 1964.
À cette époque-là, une telle affirmation était audacieuse, n’étant basée sur aucun élément tangible mais uniquement sur la théorie et la conjecture ; il n’y avait pas l’ombre d’une preuve que l’humanité n’était pas seule dans l’univers.
L’humanité continuait à vivre comme d’habitude. La guerre du Vietnam faisait rage, l’apartheid était bien enraciné. Les meurtres et la violence en tout genre continuaient d’augmenter.
Nous ne sommes pas seuls.
Ce slogan fut rafraîchi à l’occasion de la sortie du film de Steven Spielberg : Rencontres du troisième type, en 1977. Le public s’enthousiasma pour l’idée que d’autres êtres vivants habitaient quelque part dans l’univers, mais les preuves faisaient toujours défaut, et l’humanité ne changeait pas d’un iota sa façon de vivre. Il y eut la guerre du Golfe, puis le massacre de la place Tiananmen.
Nous ne sommes pas seuls.
Ces mots prirent un sens nouveau en 1996, quand arriva la première preuve irréfutable que la vie existait bien en dehors de la Terre, sous la forme d’une météorite venant de Mars. Elle n’était tombée sur la caboche de personne dans l’Antarctique. La vie extraterrestre représentait désormais bien plus qu’un simple rêve. Néanmoins, l’humanité poursuivait son chemin de la même manière. Les terroristes faisaient sauter les immeubles et les avions, les « épurations ethniques » continuaient de plus belle.
Nous ne sommes pas seuls.
Le New York Times fit un scoop avec cette manchette sur la première page de l’édition du 25 juillet 2007, jour où la réception par radio de signaux provenant d’Alpha du Centaure fut annoncée publiquement pour la première fois. C’était un fait, la vie, la vie intelligente, existait également ailleurs. Mais cette révélation n’eut pas pour conséquence de modifier le comportement de l’humanité. La guerre de Colombie eut lieu, et le 4 juillet 2009, le Klu Klux Klan massacra deux mille Afro-Américains dans quatre États, en une seule nuit.