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– Des objets de valeur manquants ?

– Eh bien, le, euh… il n’avait pas de téléphone. Je crois vous l’avoir signalé.

– Qui êtes-vous, déjà ?

– Nous n’avons pas été présentés, officiellement. Inspecteur Henry Palace. Je suis un nouveau venu.

– Inspecteur Palace, dit Fenton en enfilant ses gants d’un geste énergique, ma fille donne douze récitals de piano cette saison, et je suis, en ce moment même, en train d’en rater un. Savez-vous combien de récitals elle pourra donner à la saison prochaine ?

Je ne sais pas quoi répondre à cela. Vraiment, je ne sais pas. Si bien que je reste simplement planté là pendant une minute : un grand crétin dans une salle vivement éclairée pleine de cadavres.

– Bon, d’accord, fait-elle soudain, avec une gaieté inquiétante, en se tournant vers son chariot. Et ça a intérêt à être un meurtre, je vous le dis.

Elle s’empare de sa lame et je baisse le nez vers le sol, sentant distinctement que ce qu’il faut que je fasse, là, c’est ne plus bouger jusqu’à ce qu’elle ait terminé… Mais c’est difficile, vraiment, et tandis qu’elle s’engage dans le processus méthodique de son ouvrage, je relève la tête et me rapproche discrètement pour la regarder faire. Et c’est chose merveilleuse à voir, la superbe et froide précision de l’autopsie, Fenton en mouvement, maîtrisant une à une les étapes méticuleuses de son art.

La persévérance en ce monde, malgré tout, du travail bien fait.

Avec précaution, le docteur Fenton tranche la ceinture en cuir noir et la retire du cou de Zell, puis en mesure la largeur et la longueur. À l’aide d’un compas de cuivre, elle prend les dimensions des meurtrissures sous l’œil, puis de celle laissée par la boucle de ceinture qui s’est enfoncée sous le menton, celle-là jaunâtre et sèche comme une zone de terre pelée et remontant des deux côtés vers les oreilles, formant un vilain V irrégulier. Et elle s’arrête, à chaque étape, pour tout prendre en photo : la ceinture encore autour du cou, la ceinture seule, le cou seul.

Puis elle découpe les vêtements, rince le corps livide de l’assureur à l’aide d’un tampon humide, ses doigts gantés s’activant rapidement sur le ventre et les bras.

– Qu’est-ce que vous cherchez ? m’enhardis-je à demander.

Elle ne m’écoute pas. Je ne dis plus rien.

À l’aide d’un scalpel, elle s’enfonce dans la poitrine, et je fais encore un pas en avant. Je me retrouve à côté d’elle dans la lumière vive de la morgue, observant de tous mes yeux ses gestes lorsqu’elle pratique une profonde incision en Y, puis écarte la peau et la chair en dessous. Je me penche carrément sur le corps, saisissant ma chance, pendant qu’elle prélève le sang du mort en perçant une veine près du centre du cœur, emplissant trois flacons en succession rapide. Et je me rends compte à un moment donné que c’est à peine si je respire, que pendant que je la regarde effectuer ce processus étape par étape – pesant les organes et enregistrant leur masse, sortant la cervelle du crâne et la retournant dans ses mains – j’attends que son expression impassible change soudain, j’attends qu’elle pousse une exclamation ou qu’elle marmonne un « hum » ou qu’elle se tourne vers moi avec stupéfaction.

La stupéfaction d’avoir découvert ce qui prouvera que Zell a été tué, et pas par lui-même.

Mais au lieu de cela, elle pose finalement son scalpel et annonce d’un ton égal :

– Suicide.

Je la regarde sans bouger.

– Vous êtes certaine ?

Elle ne me répond pas. Elle regagne rapidement son chariot, ouvre une boîte qui contient un épais rouleau de sacs en plastique, et en détache un.

– Attendez, docteur. Je suis désolé… Et ça ?

– Et ça, quoi ?

Je sens mon désespoir monter, une chaleur envahir mes joues, ma voix devenir peu à peu stridente, comme celle d’un enfant.

– Ça ? Ce n’est pas un bleu ? Au-dessus de sa cheville ?

– J’ai vu, oui, me répond-elle sèchement.

– Comment s’est-il fait ça ?

– On ne le saura jamais. (Elle ne cesse pas de s’activer, ne me regarde toujours pas, la voix pleine de sarcasme.) Mais ce que nous savons, c’est qu’il n’est pas mort d’un bleu au mollet.

– Mais n’y a-t-il pas d’autres choses que nous savons ? En termes de détermination des causes de la mort ?

Tout en le disant, j’ai pleinement conscience du ridicule qu’il y a à remettre en question les conclusions d’Alice Fenton, mais elles ne peuvent pas être justes. Je fouille ma mémoire, feuilletant frénétiquement dans ma tête les manuels appropriés.

– Et le sang ? Allons-nous faire une analyse toxicologique ?

– Nous le ferions si nous avions trouvé quoi que ce soit qui aille dans ce sens. Des marques d’aiguille, des atrophies musculaires caractéristiques.

– Mais on ne peut pas … le faire quand même ?

Fenton a un rire sec en secouant le sac plastique pour l’ouvrir.

– Inspecteur, connaissez-vous le laboratoire de médecine légale de l’État ? Sur Hazen Drive ?

– Je n’y suis jamais allé.

– Eh bien, c’est le seul labo de médecine légale du New Hampshire, et en ce moment il est dirigé par un nouveau, qui est un abruti. C’est un assistant d’assistant qui a été promu toxicologue en chef, étant donné que la vraie toxicologue en chef a quitté la ville en novembre pour aller dessiner des nus en Provence.

– Ah.

– Oui. Ah. (Un dégoût évident recourbe les lèvres de Fenton.) Apparemment, c’est ce qu’elle avait toujours rêvé de faire. C’est le foutoir, là-bas. Les demandes restent en attente, traînent, sont oubliées. Un vrai foutoir.

– Ah, dis-je une fois de plus avant de me retourner vers ce qui reste de Peter Zell, dont la cavité thoracique est encore béante.

Je le regarde, je regarde ça, et je me dis que c’est très triste car, quelle que soit la manière dont il est mort, qu’il se soit tué ou non, il est mort. Il me vient l’idée idiote et évidente que c’était une personne, et qu’à présent il n’est plus là et ne reviendra jamais.

Quand je relève la tête, Fenton se tient à côté de moi et pointe le doigt pour diriger mon regard vers le cou de Zell.

– Regardez, me dit-elle d’une voix un peu changée. Que voyez-vous ?

– Rien.

Je ne comprends pas. La peau, écartée, révèle les tissus mous et le muscle, puis le blanc jaunâtre de l’os en dessous.

– Je ne vois rien.

– Précisément. Si quelqu’un était arrivé en douce derrière cet homme avec une corde, ou l’avait étranglé à mains nues, ou même avec cette ceinture de luxe qui vous préoccupe tant, le cou serait méconnaissable. Il y aurait des marques d’abrasion, il y aurait des hématomes dus à des hémorragies internes.

– D’accord, dis-je avec un hochement de tête.

Fenton se détourne vers son chariot.

– Il est mort par asphyxie, inspecteur, ajoute-t-elle. Il s’est penché en avant, volontairement, contre le nœud de la ligature ; les voies aériennes se sont fermées, et il est mort.

Elle remballe le corps de mon assureur dans la housse d’où elle l’a sorti, et remet cette housse dans le tiroir qui lui est attribué, dans le mur réfrigéré. J’assiste à tout cela en silence, comme un imbécile, en m’en voulant de ne rien trouver d’autre à dire. Je ne veux pas qu’elle s’en aille.

– Et vous, docteur Fenton ?

– Pardon ?

Elle s’arrête à la porte, se retourne.

– Pourquoi n’êtes-vous pas partie faire ce dont vous avez toujours rêvé ?

Elle incline la tête, me considère comme si elle n’était pas sûre de comprendre la question.