Выбрать главу

– C’est comme un calendrier de l’avent, tu vois ce que je veux dire, mon pote ? (Il prend alors une voix grave de narrateur de film d’horreur.) Le calendrier de l’avent… des damnés.

Il rit, tousse, ricane encore. Décidément, ce n’est pas de la marijuana. Je pense plutôt à de l’ecstasy, même si je frémis rien qu’en pensant à ce qu’il a dû faire pour s’en procurer, les prix des produits synthétiques étant ce qu’ils sont.

– Vous avez des infos à me donner, Victor ?

– Ha ! Palace ! (Rire, toux.) C’est une chose que j’apprécie chez toi : t’es cash.

– Alors, vous avez quelque chose pour moi ?

– Oh, t’es pas croyable.

Il rit encore, se tait, et je l’imagine, agité de tics, avec ses bras maigres et crispés, son sourire moqueur. Dans le silence, on n’entend plus que la musique drum and bass derrière lui, aigrelette et lointaine.

– Ouais, finit-il par lâcher. J’ai quelque chose. J’ai trouvé, pour ton pick-up. Pour tout te dire, j’avais déjà l’info hier, mais j’ai attendu. J’ai attendu d’être certain de te réveiller, et tu sais pourquoi ?

– Parce que vous me détestez.

– Gagné ! braille-t-il avec un nouveau ricanement. Je te hais ! T’as de quoi noter, p’tit cul ?

D’après Victor France, le pick-up rouge orné d’un drapeau a été modifié de manière à rouler à l’huile de récup par un mécanicien croate nommé Djemic, qui tient un petit atelier près des ruines carbonisées du concessionnaire Nissan, dans Manchester Street. Je ne connais pas l’endroit dont il parle, mais ce sera facile à trouver.

– Merci, Victor. (Complètement lucide, à présent, je note à toute vitesse, c’est génial, bon sang de bois, et je suis envahi par une bouffée d’enthousiasme et même d’affection pour Victor France.) Merci, vieux, c’est super. Vraiment, merci. Retourne faire la fête, va.

– Attends, attends, attends. Maintenant, c’est toi qui m’écoutes.

– Oui ? Quoi ?

Mon cœur en tremble dans ma poitrine. J’entrevois déjà la suite de l’enquête, chaque info s’enchaînant avec la suivante et me menant un peu plus loin.

– Je veux juste te dire… Je veux te dire quelque chose. (Sa voix a perdu son vernis d’ivresse et d’excitation, il est devenu très calme. Je l’imagine aussi clairement que s’il se tenait devant moi, penché sur un téléphone public, agitant l’index.) Je voulais juste te dire : cette fois c’est fini, mec.

– D’accord. C’est fini.

Et je suis sincère. Il m’a donné ce que je lui demandais et même plus, et j’ai bien l’intention de le laisser tranquille. Qu’il danse dans son hangar jusqu’à la fin du monde si ça lui chante.

– C’est… (Sa voix se brise, épaissie par les larmes, et soudain le gros dur n’existe plus, il n’est plus qu’un petit garçon suppliant qu’on arrête la punition.) C’est promis ?

– Oui, Victor. Promis.

– OK. Parce que je peux te dire à qui il est, le pick-up.

* * *

Au fait, je sais pourquoi je fais ce rêve. Je ne suis pas complètement idiot, quand même. Le coup de l’enquêteur qui ne sait pas élucider sa propre vie, merci bien, très peu pour moi.

Mon rêve récurrent, celui où je vois mon amoureuse du lycée, ne parle pas réellement de mon amoureuse du lycée, au fond. Ce n’est pas un rêve sur Alison Koechner, sur notre amour perdu et sur la coquette petite maison à trois chambres dans le Maine qu’on se serait peut-être fait construire s’il en était allé autrement. Je ne rêve pas d’un joli jardin avec une clôture peinte en blanc, de mots croisés le dimanche ni de thé chaud.

Il n’y a pas d’astéroïde dans le rêve. Dans ce rêve, la vie continue. Une vie simple, heureuse, clôture blanche ou non. Simplement, la vie. Qui continue.

Quand je rêve d’Alison Koechner, ce dont je rêve, c’est que je ne meurs pas.

OK ? Vu ? Je pige.

* * *

– Je voulais juste voir quelques points avec vous, monsieur Dotseth, histoire de vous tenir au courant : cette affaire, celle du pendu, elle se tient. Vraiment.

– Maman ? C’est toi ?

– Hein ? Non… c’est l’inspecteur Palace.

Un silence, un petit rire.

– Je sais bien, petit. Je m’amusais un peu.

– Ah. Bien sûr.

J’entends des pages de journal tourner. Un peu plus, et je sentirais l’odeur âcre du café que Denny Dotseth doit avoir devant lui.

– Dites, vous avez vu ce qui se passe à Jérusalem ?

– Non.

– Oh, là là. Je vous raconte ?

– Non, monsieur, pas maintenant. Donc, alors cette affaire, monsieur Dotseth.

– Pardon, rappelez-moi de quoi on parle, là ?

Une gorgée de café, un froissement de papier journal, il se paie ma tête, moi à la table de ma cuisine, tambourinant de mes longs doigts sur une page de mon cahier bleu. Page sur laquelle, depuis quatre heures ce matin, sont inscrits le nom et l’adresse de la dernière personne à avoir vu mon assureur en vie.

– L’affaire Zell, monsieur. Le pendu d’hier matin.

– Ah, oui. La tentative d’assassinat. C’est un suicide, mais vous tentez de…

– Oui, monsieur. Mais écoutez : j’ai une piste solide pour le véhicule.

– Et quel véhicule, petit ?

Mes doigts qui tambourinent de plus en plus vite, ratatatatata. Allez, Dotseth, un petit effort.

– Le véhicule dont nous avons parlé hier, monsieur. Le pick-up rouge roulant à l’huile végétale. Dans lequel la victime a été vue pour la dernière fois.

Encore un long silence. Dotseth essaie de me rendre fou.

– Allô ? Denny ?

– D’accord, bon, vous avez une piste pour le véhicule.

– Oui. Et vous m’avez dit de vous tenir au courant s’il y avait une chance sérieuse pour que ce soit autre chose qu’un pendu.

– J’ai dit ça, moi ?

– Oui. Et je crois que c’est le cas, monsieur, je crois bien que c’est le cas. Je vais aller faire un tour là-bas ce matin, m’entretenir avec le gars, et si je vois quelque chose de louche, je reviens vous voir pour qu’on obtienne un mandat, d’accord ?… Monsieur Dotseth ?

Il se racle la gorge.

– Inspecteur Palace ? Qui est votre supérieur direct, en ce moment ?

– Monsieur ?

J’attends, la main toujours en suspens au-dessus du cahier, les doigts repliés près de l’adresse : 77 Bow Bog Road. C’est juste un peu au sud de nous, à Bow, la première agglomération qui touche Concord.

– À la Criminelle. Qui supervise la brigade ?

– Euh, personne, j’imagine. Officiellement, c’est le chef Ordler. Le sergent Stassen est parti vivre ses rêves fin novembre, je crois, avant même que j’aie été promu. On attend un remplaçant.

– Je vois. D’accord. On attend. Très franchement, mon jeune ami : si vous voulez donner suite à cette affaire, donnez suite, nom de Dieu.

2

– Petey n’est pas mort.

– Si.

– Je viens de le voir. Y a juste deux-trois jours. Mardi soir, je crois.

– Non, monsieur, vous vous trompez.

– Je crois bien que non

– En fait, monsieur, c’était lundi.

Je me tiens au pied d’une échelle télescopique en métal appuyée contre une maison, un petit pavillon bas au toit d’ardoises pentu. Les mains en porte-voix, la tête renversée en arrière, je crie à travers une légère averse de neige. J. T. Toussaint, ouvrier du bâtiment et carrier au chômage, un vrai géant, est en haut de l’échelle, ses grosses chaussures de chantier marron clair fermement posées sur le dernier barreau, sa vaste bedaine appuyée contre la gouttière. Je ne distingue pas encore clairement ses traits, seulement le quart inférieur droit de son visage, baissé vers moi, encadré par la capuche d’un sweat-shirt bleu.