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Je dois me rendre à l’évidence, il a raison.

— Alors, ce gars serait un parent du couple, vraisemblablement son fils…

Seulement, ça ne colle pas ; la grosse pipelette de la rue de la Pompe m’a dit que Mme Fouex n’avait pas d’enfant, or il est probable que la femme du couple n’est autre que feue la mère Fouex.

— Merci, dis-je brusquement.

Je me casse et je descends à l’étage inférieur.

Je tombe pile sur le gros Bérurier.

— Ah ! vous alors ! tonne-t-il, vous avez des façons de vous débiner lorsqu’on vous invite !

— Calme-toi, gros lard… Je te promets de rester jusqu’aux liqueurs lorsqu’on te cloquera la Légion d’honneur.

Son visage s’épanouit. Il est mégalomane comme un Arabe, Bérurier.

— On va boire un verre ?

— Pas le temps…

Je pousse la porte du bureau des inspecteurs.

— Castellani est là ? je demande.

Mon petit Corse se dresse comme un diable dans sa boîte.

— Bonjour, monsieur le commissaire.

Il vient à moi, presse avec ferveur la main que je lui propose et demande :

— Alors ? ça s’est bien passé avec votre fausse bonne femme ?

— Non, dis-je, ça s’est passé plutôt mal, surtout pour elle. Tu vas me donner un coup de main… Pour l’instant, je veux que tu me recueilles le maximum de tuyaux concernant une certaine dame Fouex, décédée il y a une huitaine de jours.

Je lui donne l’adresse.

— Vois du côté famille, ses proches surtout m’intéressent.

— Bien, patron.

— Si tu as du nouveau, téléphone au grand patron avec qui je conserverai toujours le contact.

— D’accord.

Il inscrit sur un carnet à couverture noire les renseignements que je viens de lui donner et je me trisse au syndicat des acteurs.

La charmante secrétaire qui me reçoit regarde la photographie et fronce le sourcil.

— Oui, je connais ce garçon, admet-elle. Attendez…

Elle attrape un énorme registre où sont collées des photos de petit format.

Les acteurs sont classés là-dedans suivant leur emploi. Elle potasse dans le rayon des jeunes premiers, puis dans celui des « composition ».

— Voilà, dit-elle.

— C’est bien mon homme…

Oui, c’est lui, en un peu plus jeune. Lui, avec un costar coupé par un maître du ciseau.

Je lis le texte calligraphié en petite ronde à côté de l’image :

« Georges Gerfault, 10 bis, rue La-Tour-d’Auvergne. » Entre parenthèses et d’une écriture normale mais appliquée : « Cours Simon. »

— Ça signifie quoi ? je demande à la souris.

— Ce sont ses débuts, m’explique-t-elle.

— C’est un grand comédien ?

Elle a un petit air gêné.

— Oh ! murmure-t-elle, pas un grand, mais un bon, certainement.

Je la regarde.

— Dites-moi tout, je ne suis pas son père…

« Ce gars-là était une cloche, non ?

— Il ne faut pas dire ça…

Je lui donne une pichenette au menton.

— Si ç’avait été un comédien fumable, vous l’auriez tout de suite reconnu, non ? C’est les lavedus qu’on enterre dans votre bottin…

Elle ne peut s’empêcher de rigoler.

— Ma foi, dit-elle, ce garçon ne doit pas très bien se défendre, en effet. Il a prêté son concours à des manifestations artistiques privées…

— Je vois…

— Mais il ne faut pas conclure trop vite, reprend-elle. Il y a tellement de comédiens et si peu de théâtres.

Je la salue et je prends congé.

Je ne sais pas ce que vous pensez de tout ça, mais quant à moi, il me semble que ça commence à se défricher dans le patelin. Je viens d’avoir l’identité de la victime. C’est un point. Un bon point !

Pourquoi est-ce que je m’obstine depuis le coup de revolver à appeler Georges Gerfault la victime ?

Pourquoi ai-je eu immédiatement le sentiment qu’on venait de tuer ce garçon ?

Car c’est vrai ! la mystérieuse femme l’a tué en lui disant qu’il était trop tard…

Place de l’Opéra, une pendule me dit six heures. Je lui réponds d’accord, et je grimpe dans un taxi en lui enjoignant de me conduire chez moi.

Félicie me regarde d’un petit air innocent.

— Tu parais vanné, remarque-t-elle.

Ma brave femme de mère est une championne de la déduction en ce qui me concerne.

— Je le suis, m’man…

— Vous avez bringuaillé toute la nuit ?

Je renonce à raconter ma petite histoire une fois de plus. Du reste, Félicie n’aime pas que je la mette au courant de mes exploits. Ça lui flanque les jetons au sujet de ma santé. Alors, elle fait comme les autruches, Félicie : elle planque sa tranche dans ses plumes pour ne pas voir ce qui se passe.

Je hausse les épaules :

— Tu sais ce que c’est ? Chacun chante sa chanson et puis…

Elle me fait signe qu’en effet elle sait ce que c’est. Elle a eu le temps d’apprendre avec papa… Y avait pas plus truand que mon vieux, toujours en java, le gars ! Et ses mouchoirs pleins de rouge à lèvres…

Je casse une graine et je vais me pager.

— Soir, m’man…

— Repose-toi bien, mon petit…

Maintenant, faut que je vous dise, pour que vous entraviez bien ce qui va suivre, que nous créchons dans un petit pavillon de Neuilly, Félicie et moi.

C’est une coquette habitation avec un jardin plein de fleurs par-devant et un autre plein de légumes par-derrière.

Nos piaules sont au premier, comme toutes les chambres, dans tous les pavillons à étages de France.

J’en écrase comme un loir lorsque la sonnette de la grille retentit. Tout d’abord, comme nous ne recevons jamais de visite la nuit, je me dis que c’est le vent qui agite la clochette. La chose est assez fréquente…

Mais le tintement recommence.

J’entends Félicie qui se lève.

— Qu’est-ce qui se passe ? me crie-t-elle. Il y a quelqu’un à la porte, on dirait ?

Je bâille, puis je rejette les couvrantes.

— Te dérange pas, m’man, je vais voir.

Je passe ma robe de chambre et je vais à la fenêtre. Là-bas, à l’autre bout du jardin, derrière la grille, je devine une silhouette. Et c’est une silhouette de femme.

— On y va, je crie.

Dans le couloir, je crie à Félicie :

— Recouche-toi, tu vas prendre froid… Ça doit être une commission pour moi…

Je dévale l’escalier, traverse le vestibule et ouvre la porte d’entrée.

La nuit est calme, sans air… Un croissant de lune baigne l’une de ses pointes dans la tasse de lait d’un nuage immobile.

Je trotte dans l’allée semée de gravier rose.

Je ne me suis pas trompé : c’est bien une femme qui se tient derrière la porte. Comme elle se trouve à contre-jour, ou plutôt à contre-lune, je ne puis distinguer son visage.

De l’autre côté de la rue, une automobile est arrêtée. Je vois tout ça brièvement parce que j’ai l’habitude de considérer la vie d’une façon globale.

J’ouvre la portelle.

— Qu’est-ce que c’est ? je demande.

La femme me dévisage rapidement.

Puis elle tourne sa tête du côté de l’automobile arrêtée.

— Venez ! crie-t-elle, c’est bien lui !

J’éprouve simultanément deux impressions : la première est que j’ai déjà entendu cette voix quelque part, la seconde que ça ne tourne pas rond dans le secteur.

Je vois un machin long sortir par la portière. Gare aux taches !

Ce machin, c’est le canon d’une mitraillette. Lorsqu’un type passe le canon d’une mitraillette par la portière de sa voiture, c’est qu’il a de drôles d’idées en tête. Auquel cas, la meilleure conduite à adopter est de se propager dans un coin abrité.