Je me casse en deux et je recule d’un bond jusqu’à la porte.
Le type déclenche sa sulfateuse. Il balaie posément le paysage de gauche à droite, puis de droite à gauche.
Une volée de balles gifle l’air à deux millimètres de ma tirelire.
M’est avis que j’ai eu une bonne idée de me courber.
Une nouvelle cabriole et je suis à l’abri d’un vantail inférieur de la portelle. Comme celui-ci est en fer, je n’ai pas grand-chose à redouter…
En général, les types qui vous lâchent de la quincaillerie en gros se hâtent de filer dès qu’ils ont accompli leur rodéo. Lui, non.
J’entends plusieurs petits déclics successifs, et pour un gars averti comme je le suis, ça veut dire que le mec met un nouveau chargeur dans son magasin.
La portière de la bagnole claque. Il y a un bruit de pas sur la route…
Pas de doute, le mec veut en finir avec San-Antonio. Il a vu que notre pavillon était à l’écart de l’agglomération et il risque tout pour avoir ma peau.
Ce qui me contriste, c’est que je n’ai pas le moindre revolver à portée de la main.
CHAPITRE VII
JE RETROUVE UNE PERSONNE DE CONNAISSANCE. JE RÉSUME LA SITUATION. JE VAIS VOIR LES RICAINS
Pourvu que Félicie ne ramène pas sa fraise !
Si, attirée par les coups de flingue, elle vient à la rescousse, pas de doute : le fumelard la passera au vaporisateur !
Je voudrais pouvoir la prévenir, mais ce serait de la dernière témérité et ça n’avancerait pas à grand-chose…
Je me carre dans les dahlias en maudissant le jour où j’ai acheté une robe de chambre bleu pâle.
Celle-ci doit se voir dans mon jardin comme une mouche dans un verre de crème.
Une silhouette massive s’encadre dans la porte. Le type est là. Il tient sa mitraillette sous le bras et regarde autour de lui avec circonspection.
Dans un instant, ses châsses seront accoutumés à l’obscurité et il apercevra ma fameuse robe de chambre. Des feuilles de dahlias n’ont jamais protégé un flic contre des balles tirées à cinq mètres !
Non, jamais !
J’ai ma main sur un petit caillou. Je le ramasse sans bruit. Et je le balance, d’une chiquenaude silencieuse devant moi, à travers le jardin. Il tombe sur une brique de la bordure. Le bruit fait sursauter le type qui lâche une giclée de balles dans cette direction.
Si j’étais certain que son magasin soit vide, je le choperais en corps à corps, mais rien n’est moins sûr.
Soudain, une fenêtre s’ouvre au premier étage.
Voilà Félicie qui joue à la pendulette suisse. Elle va mettre son renifleur à la croisée et crier coucou !
Mon zig lève son arme. A cette distance, à la mitraillette, il est probable qu’il ratera son objectif, seulement une balle perdue est toujours à craindre et n’a jamais fait de bien à personne.
Mais je crois rêver, car les coups de feu que j’appréhende ne partent pas de son clou, mais du flingue que Félicie vient de passer par la fenêtre.
Elle tire un coup, deux coups…
Les balles ricochent sur le gravier sans atteindre mon assaillant, car Félicie, si elle est une courageuse bonne femme, tire moins bien qu’une amazone… Elles suffisent néanmoins à lui faire comprendre que c’est scié pour lui.
Du reste, les voisins commencent à s’émouvoir. On entend des volets qui s’ouvrent, des voix qui s’interrogent.
Le gars pousse un juron et court à sa guinde. Il claque la portière et le tréteau décarre.
Je me relève.
Je crie à Félicie :
— Bravo, m’man, arrête le casse-pipes, il s’est barré !
Puis je sors pour voir ce qu’il est advenu de la femme. Elle est là, la figure dans le caniveau.
Je m’aperçois que son corps est littéralement criblé de balles. En quelques minutes, la malheureuse a dû se vider de son sang, à en juger par le ruisseau épais qui coule sur le trottoir.
Je la saisis par les bras afin de la retourner. Elle est toute disloquée. Elle a dû intercepter au moins vingt balles à elle toute seule. Et vingt balles dans une carcasse de souris, ça fait du dégât !
Je la mets sur le dos : je m’agenouille à côté d’elle, j’essuie avec son écharpe le sang qui enduit son visage. Et alors, je dis un mot. Un seul, celui que Cambronne balança aux English.
La femme en question n’est autre que la standardiste du palace de Genève.
Pour une surprise, vous avouerez que c’en est une.
Voilà une gosse que j’ai laissée ce matin, dans la chambre de l’hôtel, de l’autre côté des Alpes. Et cette nuit, elle est là, criblée de plomb, devant ma lourde. Butée par un gars qui me veut du mal !
A priori, ce qui se dégage de tout ça, c’est qu’elle ne supposait pas un instant que le mec nourrissait de sales intentions à son endroit et que le gars les nourrissait pourtant, car il aurait fait le nécessaire pour éviter cette boucherie.
En me voyant, la fille s’est détournée et a dit :
— Venez, c’est bien lui !
En somme, là se bornait son rôle. L’agresseur n’avait besoin d’elle que pour m’identifier… Cette chose réglée, il ne demandait qu’à la liquider.
Bon, voici un nouveau personnage qui vient s’ajouter à ma galerie de loufiats.
Le mitrailleur solitaire !
Merde ! Si un journaleux m’entendait, il titrerait ça sur quatre colonnes… A la une, bien entendu !
Pourquoi qu’il a tant envie de me scraper, le mitrailleur ? Qu’est-ce que j’y ai fait, à cette enflure ? Je n’ai pas souvenance de lui avoir vendu des petits pois qui ne voulaient pas cuire… Peut-être simplement qu’il a horreur des poulagas !
Bien entendu, au bout de cinq minutes, ma rue si paisible ressemble aux grands boulevards un jour où les anciens combattants la ramènent au sujet de l’ajustement de leurs pensions. Les voisins biglent le corps et me biglent moi, le tout avec l’air de se dire que si le flic du coin se met à faire des heures supplémentaires à domicile, la vie va devenir marrante.
Voilà enfin Félicie qui radine. Elle a posé son flingue et réintégré toute sa dignité.
— C’est à toi qu’on en voulait ? me demande-t-elle.
— Un peu, m’man…
— Et qui est cette personne ? ajoute-t-elle en désignant le cadavre de la standardiste.
— Une fille qui était avec le mitrailleur… Il voulait s’en débarrasser, probable.
Je hausse les épaules et je me décide à aller téléphoner aux gars de Police-Secours…
Inutile de vous dire que pour refermer l’œil, c’est tintin. Enfermé dans ma turne, je tourne en rond en attendant le jour, c’est-à-dire en attendant le moment où je vais enfin pouvoir agir.
C’est duraille de ronger son frein… Vachement duraille, les gars. Quand je pense qu’il y a des fakirs à la graisse d’oie qui se bouclent pendant quarante jours dans une cage de verre, moi je prends des fourmillements dans le rectum. Vous parlez d’un carême, madame !
Pour passer le temps, j’attrape un bloc de correspondance, un crayon à bille et j’écris une liste incohérente qui ressemble à un poème de Jacques Prévert.
C’est celle-ci :
1° Georges Gerfault se déguise en femme dans un restaurant de Montmartre et file brusquement en Suisse.
2° Arrivé à Genève, il va s’enfermer dans une chambre de palace où il attend un coup de téléphone qui paraît tarder.
3° A minuit, une femme lui téléphone de Paris (appartement de Mme Fouex, décédée depuis huit jours) pour lui demander s’il a réussi. Il dit « oui ». La fille lui annonce qu’il est trop tard. Ça lui flanque un coup. Il laisse entendre qu’il va se suicider. Elle proteste mollement. Il dit qu’il va planquer une fortune. Et c’est du disque qu’il s’agit.