4° La standardiste, à qui j’ai demandé d’intercepter la communication, essaie de me doubler en apprenant qu’une fortune sera planquée dans la chambre. Mais on ne me la fait pas et je la confonds.
5° De retour à Paris, j’apprends que le coup de téléphone vient de chez la dame Fouex, dont Gerfault avait usurpé l’identité. J’apprends aussi que cette dame est morte et qu’elle travaillait à l’ambassade américaine. Je trouve chez elle la photo de Gerfault enfant. Je découvre l’identité de Gerfault et sa profession d’acteur (de dernière zone).
6° Je rentre chez moi pour ronfler un peu car j’ai besoin de récupérer. Au milieu de la nuit, la standardiste de Genève sonne à ma grille. Je vais ouvrir. Elle me reconnaît, dit au conducteur d’une auto stoppée que je suis bien moi. Sur ce, le type ouvre le feu sur nous. La fille est tuée.
Je jette mon crayon à travers la pièce et je bouquine ma prose. On a intérêt à résumer une affaire compliquée… Cela l’éclaircit toujours.
Je l’ai divisée en six parties et je reprends une à une chaque partie pour en tirer le maximum de conclusions.
1° Gerfault savait qu’il allait se déguiser en femme, puisqu’il avait les effets féminins avec lui. Mais il ne devait pas avoir l’intention de le faire aussi vite, car il aurait choisi un coin plus propice à ce genre de transformation, qu’un restaurant.
2° Le coup était préparé, puisqu’il est descendu à Genève dans un hôtel déterminé et qu’il y a attendu un coup de fil.
3° Le trois est le paragraphe le plus intéressant, à mon point de vue. Il prouve en effet :
a) que la partie jouée par Gerfault était capitale puisqu’il n’hésita pas à se suicider en apprenant qu’il était trop tard ;
b) que le disque vaut une fortune ;
c) mais que des intérêts bien supérieurs entraient en ligne de compte, puisqu’ils motivaient la mort d’un homme.
4° La petite standardiste délurée a appris certains éléments de l’affaire. Elle était la seule personne à savoir qu’un policier français était sur le coup (très important, au fond, ce détail).
5° Pourquoi téléphoner de l’appartement d’une morte ? Le fait que feu Mme Fouex travaillait à l’ambassade américaine est-il pour quelque chose dans l’aventure ? Quels liens affectifs ou autres unissaient Gerfault à Mme Fouex ?
6° L’attentat de tout à l’heure prouve deux choses :
a) il y avait quelqu’un (mon « tueur ») sur les traces de Gerfault. D’où la prise de contact du tueur avec la standardiste.
b) le tueur considère comme essentiel que les personnes incidemment mêlées à l’histoire disparaissent. C’est-à-dire la standardiste et moi. Il a eu la standardiste. Il m’aura… ou plutôt, il essayera de m’avoir.
A force de réfléchir, l’inévitable se produit. Je pique du blaze et je m’endors.
Mon premier blaud, le lendemain, après ma douche et mon café, c’est de faire un viron à l’ambassade amerlock.
Je suis reçu par un lieutenant à figure géométrique, qui me considère exactement comme votre clebs regarde un os de gigot lorsqu’il se trouve nez à nez avec lui sur un trottoir.
— Vous désirez ? demande-t-il.
Je lui montre ma carte ; ça n’est pas fait pour apaiser sa méfiance.
— Vous avez eu ici, en qualité d’employée, une certaine Germaine Fouex…
— C’est possible, avoue-t-il. Et alors ?
— J’aimerais avoir des détails sur la nature du travail auquel se livrait cette femme. Sur son comportement, surtout.
Il me regarde d’un air vaguement inquiet. Puis il dit brièvement en me désignant une chaise.
— Un moment, s’il vous plaît…
Je m’affale sur la chaise, laquelle vacille, car ce n’est pas une chaise américaine, mais une chaise française peu solide. J’attends en grillant une cigarette.
Le lieutenant radine, flanqué d’un grand type maigre, portant des lunettes sans monture. Ce type semble être la statue de la mélancolie. Il est roux et grave.
Il s’approche à pas ridiculement courts et me salue d’un imperceptible mouvement de tête.
— Vous désirez des renseignements sur Mme Germaine Fouex ?
— S’il vous plaît, oui.
— C’est à quel sujet ?
— Je trouve son nom mêlé à une affaire assez embrouillée. Je voudrais avoir sur elle le maximum de tuyaux…
— De quelle affaire s’agit-il ?
Je prends le mors aux dents.
— Dites-moi, je grommelle, vous ne voulez pas que je vous raconte ma vie, pendant que nous y sommes ? Si vous ne voulez pas répondre à mes questions, je vais en référer à mes supérieurs, lesquels s’expliqueront avec les vôtres…
J’envoie mon chapeau derrière ma calbombe d’une pichenette, comme on fait dans les films américains et je me dirige vers la lourde.
Mon attitude ferme a raison de la leur.
— Excusez-moi, murmure sèchement le grand rouquin en rajustant ses lunettes.
Il s’excuse simplement pour me calmer, mais on devine qu’il le fait à contrecœur. Sur ces entrefaites, une porte s’ouvre et un type paraît. Les deux mecs rectifient la position car il s’agit d’une huile.
Le gars me regarde et pose une question en ricain. Le lieutenant lui répond.
L’autre a alors un bon sourire à mon intention et s’avance vers moi.
— Johnson, attaché d’ambassade, dit-il.
Il est assez jeune, sympa, costaud, élégant.
— Très honoré, dis-je.
— Vous êtes commissaire ?
— Oui.
— Vous désirez des renseignements sur une de vos compatriotes employées par nos services ?
— C’est cela.
— De qui s’agit-il ?
— Germaine Fouex…
Il fronce le sourcil.
— Je vois, fait-il. Une petite boiteuse, non ?
— Je ne sais pas…
— Vous ne savez pas ?
— Non. Je ne connais que son nom et n’ai vu qu’une vieille photo d’elle.
Le grand rouquin intervient.
— Rien à dire sur elle, fait-il. Elle travaillait convenablement.
A quel service ? Relations parisiennes.
— C’est-à-dire ?
— Elle recevait les visiteurs sollicitant un entretien et enregistrait leurs motifs. Elle m’en référait…
— Avez-vous eu à vous plaindre d’elle ?
— Non, pas le moins du monde…
— Comment a-t-elle quitté votre service ?
— Elle est morte chez elle d’une crise cardiaque.
— Rien de suspect à signaler à son sujet ?
— Rien.
— Bon…
Je mets la main à ma poche et j’en tire le disque de nickel. Je le montre aux trois hommes en le tenant entre le pouce et l’index comme une hostie.
— Ceci vous dit-il quelque chose ?
Ils s’approchent.
L’huile me le prend des mains et l’examine.
Il secoue la tête.
— Non, fait-il. Pourquoi ? Vous pensez que ce morceau de métal proviendrait de chez nous ?
— Je ne pensais à rien de précis, dis-je. Je vous demande cela comme ça.
Je lui prends la rondelle et je la montre aux deux autres.
— Jamais vu ça ?…
— Jamais…
— Bon… Il ne me reste plus qu’à m’excuser… Bonsoir, messieurs.