CHAPITRE VIII
COMME QUOI, QUAND UNE PORTE EST FERMÉE, IL VAUT MIEUX RETOURNER CHEZ SA MÈRE PLUTÔT QUE D’ESSAYER DE L’OUVRIR
Donc, rien de positif à l’ambassade américaine.
Visite négative. Les copains yankees n’ont eu qu’à se louer des services de Mme Fouex et ça n’est pas à eux qu’on a cravaté le disque mystérieux.
Je passe à la grande taule. Castellani est justement là.
— Tu as du neuf ? je questionne.
Il fait la moue et ouvre son gros calepin de gendarme.
— Germaine Fouex, lit-il, mariée en 1921, à Jean-Marie Fouex. Pas d’enfant. Recueille, à la mort de sa sœur, son neveu Georges Gerfault. Veuve en 1948. Travaille depuis cette date à l’ambassade des Etats-Unis. Décédée jeudi dernier d’une crise cardiaque, à son domicile. Rien de particulier à signaler.
Le seul détail intéressant là-dedans, c’est la découverte de l’apparentement de Gerfault avec elle.
— C’est plutôt maigre, hein ? fait piteusement mon bon Castellani.
— Bast ! lui dis-je, comme les peuples, les gens heureux n’ont pas d’histoire… Du moins pas d’histoire connue.
Je décroche le téléphone intérieur.
— Le labo ?
— Oui…
— Grignard ?
— Oui.
— San-Antonio. Dites, allez faire un tour chez une certaine Mme Fouex, 12, rue de la Pompe, quatrième gauche. La dame est morte et son appartement est fermé. Allez-y avec un serrurier. Vous relèverez les empreintes qui sont sur l’appareil téléphonique. Sur l’appareil seulement et vous vérifierez si elles ne figurent pas déjà dans vos fiches.
— Entendu.
Voilà une question réglée. Jamais je n’ai procédé avec autant de méthode qu’au cours de cette affaire où je me suis cependant engagé les yeux fermés.
Ensuite, je sonne Bertin.
— Demande-moi la police de Genève.
— Tout de suite, commissaire…
Deux minutes s’écoulent… La sonnerie bourdonne.
— Vous avez Genève.
Je cloque ma cigarette à moitié consumée dans l’encrier de Castellani, ce qui le fait sourire jaune.
— Allô ! Pouvez-vous me passer le service qui s’occupe de l’affaire de l’hôtel Monseigneur. Ici D.S.T., France…
— Attendez un instant…
Le gars doit se rencarder. Il bricole ses fiches… A la fin, il me dit :
— Vous avez l’inspecteur Herman.
— Allô ! demande une voix métallique.
Je mets mon interlocuteur au courant de mon identité et je lui rappelle les grandes lignes de mon aventure.
— Quelqu’un s’est-il présenté pour réclamer une dame Fouex ? je demande.
— Non…
— Avez-vous des nouvelles de la standardiste ?
— Comment savez-vous qu’elle a disparu ? demande-t-il complètement ahuri.
— Elle a été abattue cette nuit à Paris. Quelqu’un a dû la demander pendant son service. Enquêtez à l’hôtel. Câblez-moi d’urgence le signalement de la ou des personnes qui ont eu une conversation à l’hôtel pendant ses heures de service. Si c’est négatif, enquêtez à son domicile. C’est urgent.
— Très bien. Je vais faire le nécessaire.
— Merci.
Deuxième question réglée. Je sème, il ne me reste plus qu’à attendre que lève la récolte.
Ce que je m’exprime bien quand je m’y mets !
J’arrête ma bagnole à l’angle de la rue des Martyrs et de la rue La-Tour-d’Auvergne.
Je fais quelques pas le long du trottoir en regardant les façades des maisons. J’entre au 10 bis. Sur la vitre de la loge, figure la liste des locataires. Je lis : Georges Gerfault, premier étage.
J’hésite à questionner sa pipelette, mais je décide de visiter son appartement avant toute chose.
J’escalade les quelques marches qui se vissent dans une cage obscure et je parviens devant une porte au vernis écaillé.
Je fais appel aux bons offices de mon petit ustensile des familles. Rappelez-vous que le gars qui a mis ce truc au point n’avait pas lu la recette dans « Rustica ». C’était un doux monte-en-l’air qui avait fait de la serrurerie dans son jeune âge et qui en avait de beaux restes.
Pourtant, à ma profonde stupeur, bien que le pêne ait obéi à la pression de ma clé, la porte refuse de s’ouvrir.
Lorsque vous avez actionné la serrure d’une lourde et que celle-ci s’obstine à rester fermée, vous pouvez parier un voyage à Lisbonne par Air France contre un vieux furoncle d’occasion qu’un verrou la tient maintenue. S’il y a un verrou tiré, c’est que quelqu’un occupe les lieux, y a pas de raison que je ne me fasse pas ouvrir. Pas besoin de s’appeler Archimède pour faire ce raisonnement, non ?
Je retire doucement mon outil du trou de la serrure et je secoue l’anneau de la sonnette.
Ça fait dring-dring.
Un silence. Je secoue encore le pied de biche.
Mais c’est encore et toujours le silence…
J’attends un instant, prêtant l’oreille, mais je ne perçois aucun glissement, aucune respiration contenue. C’est le silence. Un silence épais comme du mortier.
Je redescends l’escalier et je traverse la chaussée afin de regarder les fenêtres du premier étage.
Pourquoi ai-je l’impression de découvrir une silhouette derrière le rideau ?
Je hausse les épaules d’un air affecté et je me dirige vers ma voiture.
Je grimpe dedans et je démarre. Je tourne la première rue sur ma droite. Je stoppe et, en rasant les murs du côté du 10 bis, je reviens à l’immeuble de Gerfault. Je repasse la porte cochère et je grimpe à pas de loup les marches. Je stoppe à hauteur du premier étage et je m’assieds dans l’angle du palier, bien décidé à attendre jusqu’au jugement dernier si besoin est.
Je me mets à griller une cigarette ; puis, j’allume la seconde avec mon mégot.
Un vieillard à barbiche passe devant moi et me regarde avec effarement.
Je lui souris cordialement. Il disparaît en se demandant s’il va prévenir ou non les agents. Puis il doit finir par se dire qu’à notre époque il serait mal venu de crier à la garde parce qu’un costaud est assis dans l’escalier de votre immeuble. Il prend le parti de hausser imperceptiblement les épaules.
J’allume une troisième cigarette en me disant qu’il fait très sérieusement soif lorsque je perçois un bruit derrière la porte.
Je me mets à sourire.
— Cette fois, bonhomme, je murmure, c’est à toi de jouer.
La porte frémit, s’entrouvre, et une magnifique gonzesse apparaît.
Cette sirène, laissez-moi vous la raconter, ça vaut la description.
Elle est de taille moyenne. Vous feriez le tour de ses hanches avec vos deux mains, mais ça ne l’empêche pas d’avoir sa portion de flotteurs et une arrière-boutique qui n’a pas été fabriquée rien qu’avec des os.
Elle est blonde, pas un blond tocasson mais une blondeur de blés très murs. Elle a des yeux fauves, ardents ; une bouche charnue qui concrétise toute la volupté du monde. Jamais vu une bouche aussi sensuelle, le San-Antonio. Et pourtant, des bouches, il en a vu quelques-unes et il a trinqué avec pas mal, je vous le dis.
Et je vous le dis because que c’est vrai parce que moi, j’aime pas pavoiser !
La môme met une seconde trois quarts à me découvrir et alors elle est bloquée comme une bagnole lorsque le fil de la bobine se fait la valise.
Elle ne sait pas si elle doit rentrer ou sortir.
— Bonjour, mademoiselle.
Je me lève.
Elle veut décidément ne rien avoir de commun avec moi, fût-ce un simple salut.
— Allons, petite fille, ne jouez pas à la vilaine fée Carabosse. Votre style ce serait plutôt Ondine, ou bien Marjolaine. On a du reste dû vous le dire ?