Elle se dresse sur ses ergots.
— En voilà des façons ! Je vous prie de me laisser tranquille !
Et elle s’engage dans l’escalier.
D’un bond prodigieux, je saute par-dessus la rampe et je me trouve en travers de son chemin.
Elle est toute déconcertée. Elle me dévisage sérieusement. Son visage est pâle, pâle comme la mort. On dirait que des bulles d’or s’échappent de son regard.
— Si vous ne me laissez pas passer immédiatement, j’appelle !
Je fais un signe d’approbation.
— Qui appelleriez-vous ?
Ma question la déconcerte comme mes gestes l’ont déconcertée.
— Mais… la police, dit-elle, très acide.
Je lui montre ma carte.
— Alors, soyez heureuse, mon enfant. La police, la voilà !
Elle serre ses belles lèvres. Son regard vacille comme si elle était au bord de l’amour.
— Je ne comprends pas, murmure-t-elle.
Elle est à transformation, la chérie. Je l’ai vue tigresse outragée, la voici petite fille modèle tout à coup.
— Pourquoi ne vous ferais-je pas comprendre ? fais-je en riant. Un flic est tout à fait capable de s’expliquer, vous savez…
Je désigne l’appartement.
— On serait sûrement mieux là-dedans…
Elle hésite. Elle a encore la clé à la main.
— Allons, ouvrez…
Sans trembler, elle ouvre. Nous entrons. Elle devant, moi derrière. A ce moment-là je remarque qu’elle a sous le bras quelque chose enveloppé dans un papier journal.
Un tout petit objet…
L’appartement de Gerfault est tout petit : une entrée, une cuisine, un studio. Le tout très crasseux, très délabré, avec des bouteilles vides au pied des murs, des photos dédicacées d’acteurs, des panoplies de pipes…
— Que voulez-vous ? me demande la déesse blonde.
— Savoir des choses, dis-je, neuf flics et demi sur dix sont comme ça…
— Pourquoi, en ce cas, ne m’avez-vous pas convoquée ?
— Pour plusieurs raisons, dont la principale est que je ne vous connaissais pas il y a quatre minutes… C’était dommage, du reste, ajouté-je.
Elle ne réagit pas.
— Votre nom ? je demande.
Elle se tait.
— Pourquoi ce mutisme ? Vous préférez que nous allions dans la salle anonyme d’un bureau de flic ?
— De quel droit ?
Je ne lui laisse pas finir…
— Laissons tomber le cours d’instruction civique, mon ange. Le droit, c’est un mot à l’usage des avocaillons. Je vous demande votre nom… Il faut un début à toute conversation, vous comprenez ?
Elle baisse la tête.
— Vous pouvez me le dire, insisté-je, je suis un garçon discret, si vous vous prénommez Gertrude, je vous jure que je ne le répéterai à personne.
Brusquement, elle a la réaction la plus inattendue chez une fille de cette classe. Elle se fout à chialer, mais à chialer comme une madelon. Elle renifle, elle sanglote.
J’en suis baba.
— Allons, allons, ma petite, qu’est-ce qui arrive ?…
Son chagrin se tarit déjà.
— Je ne veux pas vous manger, je poursuis.
Et, in petto, je le déplore, car elle me fait l’effet d’un quinquina, cette fille, elle m’ouvre l’appétit, et comment !
— Séchez vite ces jolies larmes ! ordonné-je.
En reniflant comme une malheureuse, elle ouvre son sac à main. Je la regarde tendrement tant elle est gracieuse.
Un sourire gourmand aux lèvres. Puis je cesse de rigoler. Une détonation vient de retentir dans le sac à main de la môme. Je ressens une douleur délicate à la poitrine. Je vois que son sac à main est troué. Et ça fume…
Je balbutie d’une voix que je suis épaté de trouver épaisse…
— Pauvre ballot !
C’est moi que je qualifie de ce nom.
— Ballot ! Pauvre gland !.. Triste enflure…
Je ricane…
Elle, elle me regarde fixement. J’ai l’impression qu’elle avance et recule alternativement.
Je devrais sortir mon pétard et lui faire sauter le bocal, mais je n’essaie même pas, car je sais que tout mouvement m’est interdit.
Je ne peux plus… Je ne…
Oh ! nom de Dieu, voilà que ça tourne… La gonzesse chavire… Elle va se casser la gueule, ma parole…
Je… Adieu les potes !
CHAPITRE IX
IL VAUT MIEUX AVOIR UN PORTEFEUILLE SUR SON CŒUR, PLUTÔT QU’UNE SOURIS !
Lorsque vous prenez le métro sur la ligne de Vincennes, vous êtes brusquement déconcerté en arrivant à la station Bastille de revoir le jour. Vous vous apercevez brusquement que cette habitude de nuit que vous croyiez avoir prise n’était qu’une fausse habitude. Vous vous épanouissez à la lumière du soleil comme une fleur (même si vous avez la plus splendide tranche de tocasson qui se soit baladée au sommet d’un cou d’homme) et vous vous sentez dégagé d’une vague d’angoisse. Puis, la station franchie, le métro, comme un monstrueux lézard fracassant, replonge dans son terrier.
C’est un phénomène de ce genre qui se produit pour ma hure. Avec la différence qu’il y a une foule de stations Bastille et qu’elles se succèdent à tout berzingue. Ce qui donne des pointillés jour-nuit, nuit-jour…
Puis ça se tasse, au lieu de réintégrer la nuit, je m’installe dans le jour.
J’essaie de respirer et je m’aperçois que c’est du domaine des choses possibles.
Alors ? Je ne suis pas mort ?
Bien vrai…
Pour une bonne nouvelle, c’en est une. Mais peut-être n’est-ce que partie remise ?
Je n’ose croire à ma chance. Je me palpe… Je m’attends à mettre ma main sur une flaque de sang. Mais non : rien !
Qu’est-ce que ça veut dire ? Bon Dieu, j’ai pourtant bel et bien pris une balle de 6,35 en pleine poitrine, et presque à bout portant, non !
Du reste, une effroyable douleur me casse la poitrine. Je regarde mon plastron : il y a un trou juste à l’emplacement du cœur…
J’entrouvre la veste. La chemise n’a rien. Un instant, je crois rêver.
Les miracles existent-ils ?
En général, ce sont les paralytiques qui se font miraculer… Pas les flics. Non pas les gros casseurs de gueule comme San-Antonio.
Alors, puisque je suis un tantinet sceptique sur la question des miracles, je cherche l’explication de ce nouveau mystère, et je la trouve plus rapidement que celle de l’autre, du grand.
La balle bien dirigée devait fatalement me perforer le palpitant, seulement les hommes ont pris l’habitude, depuis pas mal de temps, de mettre leur portefeuille sur leur cœur. Et dans mon larfouillet se trouve un petit calendrier de métal offert par une marque d’apéro.
Ce calendrier a formé blindage, il a empêché la balle de me rentrer dans le lard, mais il n’a évidemment pas diminué sa violence. La balle m’a seulement fait l’effet d’un terrible coup de poing au cœur et a provoqué cette syncope. Si vous ne croyez pas à l’efficacité de mon ange gardien après ça, vous n’avez qu’à reporter ce bouquin à votre libraire, afin de l’échanger contre un livre de cuisine.
Je me relève. Pas mal flageolant, le zigoto !
J’ai tout de même de la difficulté à respirer… Et comment ! J’ai l’impression d’avoir avalé une traverse de chemin de fer. Comme dit l’autre, ça me gêne pour rigoler.
Je m’assieds sur le divan de Gerfault : un truc innommable en peluche, ravagée d’un sinistre jaune albumine.
Je me cale le dos contre un coussin et j’attends un moment que ça passe. Je fais le tour de la pièce du regard. J’avise ce que je cherche, à savoir une bouteille de Calvados. Notez que je ne suis pas particulièrement porté sur le calva, mais j’ai tellement envie d’alcool que je boirais de l’eau de Cologne.