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En geignant, je tends la main. J’attrape le flacon qui est posé sur un rayon et je me l’ajuste au trou que le Bon Dieu — un drôle de prévoyant — nous a percé sous le nez à toutes fins utiles.

Pour commencer, ça me fait salement tousser et je manque m’évanouir à nouveau… Puis, immédiatement après, j’ai le coup de fouet espéré…

Je déboutonne ma limace et je me masse doucement l’avant-scène. Je rebois une lampée de calva… Cette fois, je ne tousse pas.

Bon, je peux reprendre le fil de mes occupations. Pour me débarrasser du flacon de raide, je le pose sur son plateau, et je découvre alors un petit tas noir. Ce tas noir est constitué par du papier carbonisé.

Je vous parierais n’importe quoi contre autre chose que la môme qui s’amuse à trouer ses sacs à main et les vestes de flics est venue chez le suicidé de Genève pour y récupérer des papelards compromettant pour son fignedé. Elle opérait lorsque je suis arrivé. Alors, pour plus de sécurité, elle a brûlé les papelards avant de sortir. Qui est cette souris ? Est-ce la fille qui a téléphoné à l’hôtel Monseigneur, l’autre soir ?

Décidément, ça ne s’éclaircit pas du tout. Ma petite affaire devient même de plus en plus opaque.

Si la fille a brûlé des papiers, cela indique qu’il ne reste plus rien d’intéressant à apprendre…

Par acquit de conscience, je fais le tour de la cambuse, puis je les mets en me tenant les côtes, ce qui est vraiment une façon de parler.

Une fois à l’air libre, si vous me connaissez un peu, vous devez vous douter que mon premier soin est de pousser la porte d’un troquet et de commander quelque chose de vraiment sérieux…

Je vide d’affilée deux ou trois whiskies et je mets la main à la poche pour régler mon orgie. Je fais alors une curieuse constatation : le disque de métal que je conservais a disparu.

Ce disque ne s’est pas envolé comme une soucoupe, c’est ma miss Pistolet qui me l’a barboté, car je me rappelle que, durant mon attente dans l’escalier, je jouais avec…

Elle a eu le courage de me passer à la ratisse après m’avoir cloqué une pastille valda dans le poitrail ! Voilà une pépée qui a froid n’importe où sauf aux yeux. Je me sens brusquement comme un type à poil au milieu des Galeries Lafayette ! Ce disque, c’était devenu ces derniers jours comme ma raison de vivre. Il symbolisait le mystère au milieu duquel je flotte.

Maintenant, j’ai une preuve de plus concernant la valeur du disque. Et ma curiosité prend des proportions anormales. Elle est tellement énorme que si Barnum savait cela, il voudrait à toute force l’acheter pour la mettre dans une cage de verre.

J’ai tellement de « pourquoi ? » dans le caberlot que je pourrais en planter un plein champ grand comme la Camargue. Une affaire aussi obscure que celle-là, j’en ai jamais rencontré ! Rageusement, je lance un gros billet sur le comptoir et je regagne ma voiture. Puisque je suis à Montmartre, je vais aller faire un tour au restaurant de la rue Lepic, où tout mon patacaisse a démarré.

« La Perlouse » est vide à ces heures, du moins de clients, car les serveurs s’affairent pour dresser les couverts.

J’avise celui qui nous servait pour le gueuleton à Bérurier.

— Salut, petit homme, je lui fais ; vous me reconnaissez ?

Il me toise de bas en haut.

— Ah oui, dit-il, l’autre jour… C’est vous qui avez quitté la table sans dire au revoir, vos amis étaient furieux…

Je tire de ma poche la photo de Gerfault.

— Déjà vu ce mec ?

Il sait que je suis de la grande boîte, aussi n’hésite-t-il pas à me rencarder.

— Oui… Il est venu manger ici quelquefois…

— Vous connaissez son nom ?

— Non. Je l’ai peut-être vu trois fois en tout… Peut-être quatre…

— Il venait seul ?

— Non. Il était avec une gonzesse. Une fille vachement belle et roulée comme pas une…

Le gars doit être plutôt porté sur la cuisse, car il se lance dans une description enthousiaste de la môme en question. Mais moi je ne partage pas sa béatitude car, dans le portrait qu’il me fait, je reconnais la souris au revolver.

— Je vois, fais-je. Il est toujours venu avec elle.

— Oui. Ah non… Sauf la dernière fois qu’il est venu ici. Il était…

Il sursaute.

— Mais, au fait, c’est l’autre jour, le jour où vous étiez là avec vos amis… Vous ne l’avez pas remarqué ?

Je ne réponds pas à sa question. De ce côté-là, je fais le complexe du flic qui n’aime pas qu’on l’interroge lorsqu’il interroge, ni qu’on se mouche pendant qu’il jacte.

— Avec qui était-il, ce jour-là ?

— Avec un homme.

— Il était comment, cet homme ?

— Un fort gaillard… Jeune, avec un côté de la tête rasé, car il a dû subir une opération… Vous savez, je ne l’ai pas tellement remarqué…

« Ils étaient à la petite table du fond, là-bas, oui, le quatre. Décidément, tout le monde se débinait, ce jour-là, car son compagnon est sorti un moment. Lorsqu’il est revenu, votre mec avait disparu… Il avait laissé un billet de 50 francs sous la carafe. Je l’avais vu descendre aux toilettes. Je ne me rappelle pas l’avoir vu remonter, faut dire aussi qu’on est tellement bousculé. »

Je me pince le pifomètre.

— Et vous dites que son compagnon est revenu ?

— Oui.

— Qu’a-t-il fait ?

— Il a paru surpris et a regardé à droite et à gauche.

« Il m’a demandé : « Mon ami n’est pas là ? »

« Je lui ai répondu qu’il devait être aux toilettes. Il a attendu un moment. Puis il est descendu voir. Il est remonté en courant, il s’est précipité au-dehors et a couru à une voiture en stationnement. Il a parlé au chauffeur. Il est revenu, a attendu encore… Puis il est parti…

— O.K., merci.

Je lui allonge une demi-jambe avant de disparaître. Ce qu’il vient de m’apprendre me fournit au moins une indication : c’est pour échapper à son compagnon de table que le gars s’est déguisé en femme. Ou plutôt non, ça n’est pas à son compagnon qu’il voulait échapper, cela lui était facile puisque l’autre s’est absenté un bon moment. C’est l’autre qu’il a voulu doubler : celui qui attendait dans la rue au volant d’une bagnole. Peut-être était-ce un piège qu’on lui tendait. Seulement il le savait et il avait prévu le remède. Oui, pour une fois je brûle…

Gerfault, qui était acteur, a eu la déformation de l’acteur pour se débiner, il a tout de suite pensé à quelque chose de théâtral : un déguisement…

La poitrine me fait mal comme si j’avais une lampe à souder braquée sur le cœur.

Je passe chez un pote à moi qui est pharmago.

C’est un bon truand avec qui je faisais la java lorsque j’usais mes fonds de bénard sur les bancs de lycée.

Il tient une officine dans le quartier Saint-Laga.

— Tiens ! s’exclame-t-il en s’arrêtant de broyer des trucs dans un creuset, voilà le superman numéro un ! La dernière émission du flic qui vient de sortir… Pas encore mort ?

Il m’embrasse.

— Fais pas rire le mec, je lui dis, j’ai mal au battant.

Je lui bonnis une vraie romance pour lui expliquer que je suis tombé sur un caillou et que cela m’a meurtri la poitrine.

Il me regarde.

— Drôle de caillou, devait être chauffé à blanc pour brûler ton veston de cette façon, et drôlement pointu pour le perforer avec autant de précision.

Pour toute réponse, je lui montre mon portefeuille avec la balle fichée dedans.

Il secoue la tête avec incrédulité.

— Tu dois tripoter des trèfles à quatre feuilles tous les matins pour avoir un pareil vase, non ?