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Il n’est pas manche du tout, mon prince russe. Tout se passe exactement comme je l’ai désiré. Nous prenons cinquante mètres d’avance sur le G7 et je stoppe devant l’entrée des départs. Je bondis dehors et claque la porte, puis je m’engouffre dans le hall. Ma dame d’un certain âge va vachement renoucher les mecs qui vont pénétrer « derrière » elle dans le hall des départs. Il vaut donc mieux l’y attendre.

La voici ! Elle descend, pénètre dans l’immense salle des pas perdus. Mais, au lieu de se diriger vers un quelconque guichet elle se jette de côté et se glisse derrière l’un des battants vitrés de la porte. Dans cette encoignure, comme une araignée dans sa toile, elle observe le mouvement de l’esplanade et examine tous les gens qui rentrent.

Moi, j’en profite pour acheter des cigarettes et un canard. Qui dit gare dit voyage, qui dit voyage dit temps mort…

J’attends…

Quelques minutes s’écoulent, durant lesquelles mon zèbre enjuponné continue à jouer le préposé au mirador. Puis, rassurée, cette brave dame s’avance vers les guichets. Je continue de la précéder. Comme j’ignore dans quelle travée elle va s’engager, je laisse tomber mon journal afin qu’elle me dépasse pendant que je me baisse pour le ramasser.

Elle se glisse dans la travée des billets internationaux…

Où peut-elle bien aller ?

Je palpe mon larfeuille, mentalement j’en fais l’inventaire. Si mes calculs sont exacts, je dois avoir sur moi dix ou douze billets… Mettons onze. C’est pas le Pérou, mais je peux quand même voir venir. Intérieurement je me traite de tous les noms. Faut vraiment avoir du plomb de sauté sous la tabatière pour se lancer dans une aventure pareille sans y être invité par mes chefs.

Vous parlez d’un tordu que je fais ! Histoire de passer le temps lorsque je suis de campo, au lieu de me donner de l’azote je m’offre une filature, et à mes frais ! Y a que moi, je vous jure !.. S’il existait un autre louftingue de mon envergure, on nous empaillerait pour faire des serre-livres.

Je me trouve juste derrière la « dame ». Je reluque sa tenue. Le gars s’est cloqué sur le râble une robe noire, un manteau de lainage noir aussi avec un col de fourrure et, sur la tranche, un bitos du genre gobe-mouches… Il porte des bas noirs. Seulement il a eu un pépin, le zig, et il n’a pas pu se procurer de targettes à sa mesure, c’est pourquoi il a conservé ses pompes d’homme.

Il s’est fardé et, pour parachever ses transformations, s’est collé un parfum qui zigouillerait un nuage de sauterelles dans un rayon de trois cents mètres !

Je voudrais bien entendre sa voix. Comment qu’il va s’en tirer, le copain si, comme on est en droit de le supposer d’après sa carrure, il a une voix de basse noble ?

Mais il est malin.

Au lieu de truquer sa voix, il feint d’avoir une extinction.

C’est en chuchotant qu’il demande son biffeton.

Là, je suis marron. Salement marron ! Comme il a dû se pencher pour arriver à hauteur du guichet, je n’entends que pouic.

Il tend un billet de 100 francs. Le préposé lui allonge sa mornifle. Tandis qu’il la recompte, le guichetier me demande :

— Pour où ?

Vous parlez si je les ai fluettes ! Impossible de demander au mec de la S.N.C.F. quelle destination vient de s’offrir ma bonne femme.

Si au moins elle pouvait calter…

— Allons, pressons ! glapit ce tordu.

Je sors mon portefeuille et je lui mets mon insigne sous le nez, histoire de gagner du temps.

En effet, pendant qu’il reluque mon carton, la fausse grognace se prend par la main et s’évacue.

— Je veux le même billet que cette femme, dis-je. Et que ça saute !

Pendant qu’il me sert, je lui installe un gros format tout en ne perdant pas du regard la dame d’un certain âge. Je la vois qui franchit le contrôle. Un préposé lui met un coup de casse-noisettes dans son carton…

— Vite ! redis-je au guichetier.

Il m’allonge un petit rectangle marron. J’examine le morceau de carton. Il indique « Paris-Genève ».

Rapidement je pense que je n’ai pas besoin de passeport. Normalement ceci importerait peu car je possède un passeport permanent, seulement, ce matin, comme par fait exprès, je l’ai laissé sur la tablette de mon plumard.

Bon, je peux me lancer…

Je ramasse ma monnaie et je cavale jusqu’au portillon.

— Genève ?

— Quai B.

Me voilà parti au pas de course sous l’immense verrière. J’arrive à temps au quai B pour voir ma proie escalader le marchepied d’un wagon.

Un coup de sifflet ! Un gnace de la compagnie qui agite son morceau de ferraille rouge. Et le train pousse un soupir.

Décidément, il était temps.

J’attrape la première barre de cuivre venue. Je me hisse dans un wagon. Je remonte les couloirs jusqu’à ce que j’arrive devant le compartiment où se tient l’ami Frégoli. Je tire la porte à glissière.

J’imite le type vachement essoufflé.

— Bonsoir ! je m’exclame, il était temps !

Je fais un sourire à la ronde et je dis joyeusement :

— C’est bien le train pour Genève, au moins ?

Un murmure d’acquiescement me répond.

Je me laisse choir sur la banquette, en face de cette brave dame.

Nous sommes sans doute les deux seuls voyageurs du train à ne pas avoir de bagages !

CHAPITRE II

Y A DES MECS AUXQUELS LA VIE D’HÔTEL NE CONVIENT PAS ET QUI SUPPORTENT MAL LES COUPS… DE TÉLÉPHONE

Je ne connais pas de ville plus sereine que Genève. On sent que dans ce bled on n’a pas fait la guerre depuis des temps immémoriaux ! Et on a bien raison du reste.

Ma filature continue dans les rues animées de la coquette cité…

Ma dame d’un certain âge paraît beaucoup plus à son aise depuis que nous avons franchi la frontière. Elle est moins furtive, moins anxieuse… Elle marche calmement sur les trottoirs grouillants, d’un pas de flâneuse.

Elle bigle les vitrines illuminées, hume l’air salubre qui tombe des hauteurs environnantes. On dirait un poisson qui vient de retrouver les grands courants après un séjour prolongé dans un bocal.

Ça n’est pas duraille du tout de la suivre.

On traverse une partie du patelin et elle s’engouffre dans le hall d’un somptueux hôtel.

Je me garde bien d’y pénétrer à sa suite car, maintenant qu’elle me connaît, elle pourrait trouver singulier qu’un de ses compagnons de voyage débarque dans le même hôtel qu’elle.

A travers les vitres de la porte-tambour, je la vois parlementer à la réception. Elle remplit une fiche et un groom galonné comme un chef d’état-major haïtien la guide jusqu’à l’ascenseur.

Une fois que la cage d’acier a disparu, je rentre dans la boîte. Je vais à la réception où se tient un vieux zigoto raide et gourmé, un peu moins chevelu que Yul Brynner.

Il s’accoude majestueusement sur un registre aux formidables dimensions. Il me regarde d’un air sévère et douloureux et questionne, avec la voix du type qui consent à vous prêter dix balles pour finir le mois.

— Monsieur désire ?

Je tire mon porte-cartes et l’ouvre au volet contenant ma carte de police.

Je lui cloque sous le pifomètre.

— Police française, dis-je. Je surveille la personne qui vient d’arriver.

— Cette dame ? demande avec hauteur l’employé.

— Oui… Voulez-vous avoir la bonté de me montrer sa fiche ? J’aimerais savoir sous quelle identité elle s’est présentée.

L’employé ne doit pas aimer les flics car il a une moue méprisante que je voudrais pouvoir découper dans son visage avec un sécateur.

Néanmoins il saisit une fiche dans un minuscule classeur et me la présente.