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Il ôte son gant droit et se lisse les joues.

— J’ai pensé que cette femme était peut-être celle qui vous a ravi le disque. Le signalement correspondrait assez. C’est pourquoi il est indispensable que vous la voyiez.

— Compris…

Il ajoute :

— Je ne partage pas du tout le scepticisme de nos amis d’outre-Atlantique… Il est vrai qu’ils sont sollicités à chaque instant par des quémandeurs avides de dollars qui leur proposent des choses plus ou moins fumeuses…

La première personne que nous apercevons en arrivant à l’ambassade, c’est le grand rouquin maigre et hostile aux lunettes sans monture.

Il me considère comme s’il ne m’avait jamais vu, même en photographie sur les flacons du sirop des Ardennes.

Il est à un bureau large comme un terrain de football et il se contente d’incliner sa tête d’anormal.

La lourde s’ouvre et Johnson, le jeune attaché d’ambassade que j’ai vu hier, entre, les mains tendues.

Il me regarde avec le même air de ne pas me reconnaître.

Voilà qui me turlupine. Drôles de façons décidément…

J’ai l’explication de ces attitudes : c’est un miroir qui me la fournit, pas surprenant du tout que ces mecs ne me reconnaissent pas ; Félicie non plus ne me reconnaîtrait pas car je ressemble à une aubergine. Ma peau est d’un violet bon teint, je n’ai plus de sourcils, plus de cils et ma fine moustache est complètement carbonisée…

Je suis obligé de refaire les présentations…

Johnson fait la grimace.

— Vous avez passé la nuit dans un brasero ! sourit-il.

— A peu près, je fais.

Nous nous mettons à jacter de l’invention. Johnson est formel : c’est du bidon. En général les vrais inventeurs qui proposent de vraies inventions s’y prennent autrement.

Cette démarche d’une femme ressemble à un coup louche. Il l’attend et va la recevoir dès qu’elle se présentera, c’est-à-dire dans quelques minutes, pour lui dire que le gouvernement U.S.A. ne lâchera jamais cent sacs sur du vent.

— En somme, fais-je remarquer, vous acceptez que Paris serve de cobaye…

Il sourit.

— Primo, dit-il, je n’ai personnellement rien à accepter ni à refuser. Deuxio, nous ne pouvons agir plus honnêtement qu’en prévenant les autorités françaises de cette menace…

Au fond, il a raison…

— Whisky ? propose-t-il.

Le chef secoue négativement la tête, mais moi je me hâte d’accepter… L’alcool, je vous l’ai bonni, me flanque des coups de fouet dans le corgnolon et, en ce moment, les coups de fouet me sont aussi nécessaires qu’à une haridelle pour grimper un tombereau de cailloux au sommet du Galibier.

Le rye qu’il me fait licher est de première qualité.

Je fais clapper ma langouste. Il résonne curieusement, mon claquement de langue…

Il fait « Brran oufff » !

En plus fort, évidemment.

— Que se passe-t-il ! s’écrie Johnson.

Le chef ne bronche pas…

— C’est une rafale de mitraillette, murmure-t-il.

Où a-t-il pu entendre tirer à la mitraillette, le boss, puisqu’il ne sort jamais de son bureau ?

Comme la rafale vient de l’extérieur, les Amerlocks bondissent à la croisée.

Je profite du brouhaha pour me verser un nouveau coup de dur…

Ce que je m’en tamponne, de la guérilla !

Dans mon état, une seule chose m’intéresse : écluser du jus de feu !

CHAPITRE XV

QUAND LES FEMMES SE METTENT À DÉGUSTER

Je suis plein comme toute la Pologne au moment où je me penche sur le cadavre de la femme.

J’y vois trouble et les formes dansent devant mes yeux une curieuse sarabande, mais je suis tout de même capable d’identifier la souris qui furetait dans l’appartement de Gerfault et qui m’a tiré dessus.

Elle est trouée comme du gruyère, la petite, et plus morte qu’un filet de hareng…

— C’est bien elle, je dis au boss.

Il hoche la tête d’un air de dire : « Que vous disais-je ? »

L’agent qui faisait la circulation au plus proche carrefour de la rue Saint-Honoré s’annonce prompto. Comme par miracle il a tout vu. Et c’est rare qu’un flic voie tout, c’est un spécialiste de la question qui vous le dit…

Les types qui ont fait ça étaient dans une traction avant.

Ils n’ont même pas ralenti en arrivant à la hauteur de la môme, laquelle venait de descendre d’un taxi. Il y a eu une gerbe d’étincelles et la fille a fait la culbute, le nez en premier. La bagnole des mitrailleurs a tourné à droite malgré les coups de sifflet du bourdille. Il a essayé de noter le numéro mais on a beau être un virtuose de la contredanse, on ne peut pas à la fois assister à un assassinat et noter le numéro minéralogique d’une guinde roulant à vive allure…

Ce qu’il dit me laisse froid. Il me semble que je lis le compte rendu du fait divers dans mon canard habituel.

Pourtant, son récit évoque quelque chose en moi… Le petit déclenchement vient des mots taxi, numéro minéralogique, ils provoquent, ces mots, un petit cinéma dans ma calbombe. Je revois un taxi filant le long d’un quai planté de platanes centenaires… Et je me souviens d’un gnace notant le numéro dudit taxi.

Le gnace, c’était ce cher vieux San-Antonio, l’homme qui remplace la poudre à doryphores ; il y avait l’homme aux cheveux gris dans le taxi… Et le numéro du carrosse c’est 135 R-7…

L’ai-je assez répété pendant que j’étais à vadrouiller dans les limbes !

Alors le miracle se produit. Ce miracle que le boss attend sans en avoir l’air… Brusquement je cesse d’être un gladiateur vaincu, un flic passé au gril, un pauvre homme malade à crever… Un sang nouveau régénère mon individu.

Mathurin après ses « spinachs » quoi ! Ta ta ta tala !

Je me tourne vers le boss.

— O.K., patron, je dis, on y va… Je m’en fous de crever de n’importe quoi, à condition que ça ne soit pas de curiosité.

Je soulève le bord de mon galure pour prendre congé des Ricains, du big boss et de la morte…

Je me taille, tranquillement, d’une démarche un peu flottante en réglant mon petit mécanisme intime.

Curieux comme les femmes ont l’air de mourir jeunes dans cette histoire…

Et les hommes… lorsqu’ils se déguisent en gonzesses !

Le chef du personnel de la compagnie des taxis parisiens consulte un registre.

— Le 135 R-7 est piloté par Maubert… Celui-ci prend son service à dix heures, vous voulez l’attendre ?

— Si vous permettez, oui…

Il m’assure que tout le plaisir est pour lui, me tend un journal et je bouquine en attendant l’arrivée de l’intéressé.

Moi je n’ai pas l’habitude de lire les journaux, j’aurais plutôt tendance à les faire travailler en leur fournissant leur matière première plus qu’en les achetant.

Celui-ci ne comporte rien de sensationnel. Du moins rien que je ne sache absolument. On se mailloche la gueule en Asie ; ça mijote dans le Moyen-Orient, nos députés sont des rigolos ; Staline est canonisé ! Hitler n’est pas mort ; des rentiers se sont suicidés au gaz because leur retraite était trop chétive et le bicot du coin a essayé de s’envoyer le petit garçon de la crémière — ce qui aurait sans doute éveillé une vocation théâtrale chez ce dernier ! Moi, toutes ces salades me font fendre le parapluie.

J’aime mieux m’envoyer la page annonces…

Je m’offre la rubrique autos, puis celle des gérances, et j’en arrive à la mention : Divers…

C’est souvent la plus chouiarde… On trouve de tout là-dedans : une vraie poubelle publicitaire !

Je lis, en style télégraphique, qu’un mec échangerait un dogue allemand contre un vélomoteur. Un autre propose un train électrique…