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Franchement, je me poile. Je continue à passer en revue ce marché aux puces rédactionnel. Et j’arrive à cette petite annonce : Amateur achèterais cher disque rare. Faire offre Muller, poste restante, bureau 113.

L’annonce est encadrée afin de mieux se détacher du lot.

Disque rare… Ça me fait penser à quelque chose, hein ? A vous aussi, je parierais !

Voilà que je fais un complexe du disque, à cette heure. Je pose le canard. Je respire profondément… Ça a l’air de gazer. Faut dire que je suis encore sous l’effet de la piqûre. Mais à grand renfort d’alcool et d’aspirine je le guérirai, moi, San-Antonio…

Je viens tout juste de prendre cette décision lorsque le chef du personnel m’avertit que Maubert est arrivé. Il le fait appeler puis, quand le chauffeur est là, sort discrètement de son bureau afin de ne pas me déranger.

J’apprécie sa réserve.

Maubert est un solide gaillard qui ne doit pas avoir de rapports très suivis avec l’eau sur le plan externe et pas du tout sur le plan interne.

Il a un nez qui ne tiendrait pas dans votre mouchoir et dont la couleur évoque un conclave au Vatican. Ses yeux sont enrobés d’une sorte de gelée et ses moustaches hérissées ont des souvenirs de Brouilly.

— Quoi c’est-y ? demande-t-il d’un ton académique.

Je lui fais voir ma carte afin d’éviter de trop longues explications.

— Ah bon, dit-il.

Il a l’habitude de ces sortes de visites. Tous les chauffeurs de taxi parisiens ont un jour ou l’autre la visite d’un condé qui leur demande s’ils n’ont pas chargé un monsieur en complet bleu marine dans la nuit du 12 au 13 janvier 1967.

— Hier, vers midi, je lui dis, vous avez chargé un type aux cheveux gris dans le bois de Boulogne, le long de la Seine…

— Oui, dit-il, triomphant.

— Vous vous souvenez de lui ?

— Tu parles, Charles ! s’écrie-t-il.

Il se ravise et murmure :

— Je vous demande pardon…

Et, pour chasser sa confusion, il me fait une description minutieuse de mon type. Donc, pas d’erreur, il sait bien de qui je veux parler.

— Où l’avez-vous conduit ?

— Rue de l’Eglise, à Neuilly !

— Au 103 ? je m’écrie.

— Oui, répond-il, étonné.

Ce gars-là ne comprendra jamais pourquoi je bondis hors du burlingue en courant comme Zatopek… Et vous, vous ne comprendriez pas non plus si je ne vous disais pas que l’adresse à laquelle s’est fait conduire l’homme aux tifs gris, c’est la mienne !

Du coup je ne me sens plus le moindre mal… Je ne pense plus à cette extraordinaire affaire, l’une des plus mystérieuses que j’aie jamais eu à résoudre…

Non ! Si vous voyiez le San-Antonio qu’un confrère de Maubert emporte à tombeau ouvert vers Neuilly, parole de matuche ! vous ne le reconnaîtriez pas.

Je me tords les manettes, je trépigne, je fulmine, je grogne, je geins, je grince des dents !

Félicie ! Comment n’ai-je pas pensé à toi, ma pauvre vieille. Je devais bien me douter qu’à partir du moment où des salopards venaient en plein midi faire le siège de mon domicile à coups de mitraillette, ma brave femme de mère n’était plus en sécurité !

Si au moins je l’avais envoyée passer quelques jours chez sa frangine ! Mais ouiche ! Ce glandibard de nom de Dieu de flic préférait cavaler aux trousses de ses gangsters plutôt que de veiller à la sécurité de sa bonne vieille maman !

Je me mords les pognes, je me fais un nœud aux guibolles…

Evidemment, avant de me « travailler », l’homme aux cheveux gris voulait fouiller ma cabane. Il y avait une chance pour que j’aie conservé ce disque chez moi car il y a toujours une chance pour qu’un homme soit dégueulasse !

Je réfléchis. A midi, Félicie est-elle de retour du marché ? Oui, car elle est matinale !

Misère !

Enfin le taxi stoppe devant la grille de mon pavillon.

J’en descends comme un diable sort de sa boîte et je me propulse dans mon jardin. Je cours sur le gravier, j’escalade le perron. La porte n’est pas fermée complètement, je la pousse. Le cœur me fait mal et mes jambes sont en coton…

Oui, Félicie est là… Au milieu du vestibule, inerte. Le fumier l’a eue…

Je m’agenouille à côté d’elle.

J’appuie ma main sur sa poitrine et une joie sauvage me pénètre. Dans ma main je capte les palpitations de son battant… Elle vit encore ! Dieu soit loué…

Elle vit… Je l’examine plus attentivement. Derrière sa tête se trouve une vilaine plaie. Le type est arrivé chez moi comme un visiteur ordinaire. Il a dû raconter des salades à Félicie pour endormir sa méfiance. Elle l’a fait entrer et lui, qui devait avoir une matraque dans sa poche, l’a étendue pour le compte d’un coup derrière la nuque.

A votre santé !

Il faut agir… Si elle vit encore après être restée près de vingt-quatre heures sans soins, c’est que sa blessure n’est pas fatale… Du moins je le crois.

Je saute sur le téléphone et je demande Police-Secours. Je me fais connaître et je leur dis de m’envoyer une ambulance…

En attendant la bagnole, je regarde autour de moi et je constate que tout est sens dessus dessous. On a fouillé ma cambuse avec une minutie extraordinaire.

Pendant ce temps j’étais prisonnier dans la péniche ; le type ne craignait pas de me voir radiner. N’ayant rien découvert, il a fait partir la péniche geôle au-delà de Paris jusqu’à un endroit tranquille.

Un endroit où l’on pouvait « s’occuper » tranquillement d’un petit coriace comme bibi et liquider le barlu.

Pourquoi le liquider, au fait ?

L’aigrelette sonnerie de l’ambulance tranche net mes méditations…

Non, les femmes n’ont pas de chance dans cette histoire. Elles ont toutes plus ou moins tendance à devenir des clientes pour la morgue.

C’est à ça que je pense en arpentant le hall dallé de l’hôpital.

Je mets mes pieds alternativement sur un carreau noir et sur un carreau blanc…

— Une morte, paraît-il, officielle : Mme Fouex…

Une femme à la gomme : Gerfault, suicidé !

Une jeune fille suisse entraînée plus ou moins malgré elle dans une aventure qui la dépassait : la standardiste, mitraillée devant chez moi !

Une mystérieuse femme qui fouillait l’appartement de Gerfault et proposait un truc tonnerre aux Américains : mitraillée devant l’ambassade U.S.A. !

Et enfin Félicie, la vieille maman du flic ayant mis le pied dans cette salade : assommée…

Un carreau noir… Un carreau blanc… Un carreau noir… Un carreau blanc…

Noir — Blanc — Noir…

Je suis terriblement énervé. Je me dis : si en arrivant au bout du vestibule, j’ai le pied dans un carreau blanc, elle s’en tirera ; sinon…

Et je calcule, pour user ce temps mort, le nombre de carreaux noirs qui me restent à franchir. Je triche… Je ne veux pas condamner ma vieille Félicie en terminant ma ronde vide sur un carreau noir.

Le bruit d’une porte s’ouvrant me fait retourner…

C’est le toubib chef.

Oubliant mon histoire absurde des carreaux, je me précipite sur lui :

— Alors, doc ?

Il a une moue cordiale.

— Aucune fracture, c’est l’affaire de quinze jours.

Je lui tends la main.

— Merci, doc !

— Oh ! je n’y suis pour rien, sourit-il.

— C’est vrai…

Il me reste maintenant à mettre la main sur le type qui y est pour quelque chose.

CHAPITRE XVI

JE COMMENCE TOUT DE MÊME À Y VOIR UN PEU PLUS CLAIR