Выбрать главу

— C’est vrai…

— Chez qui est-il monté ?

— Chez M. Muller…

— L’étage ?

— Premier gauche…

— Merci…

Je m’élance dans l’escalier… Je colle mon oreille à la serrure et j’entends un murmure assez lointain.

Alors, sans bruit, je tire de ma poche deux choses : primo mon petit sésame, et secundo mon revolver, ou du moins celui que le chef m’a fourni après que j’eus revêtu des fringues de rechange à l’hôpital.

Silencieux comme la conscience d’un marchand de voitures d’occasion, je pénètre dans l’appartement. Le bruit de voix provient d’une pièce du fond.

L’une est celle de Crâne-pelé, l’autre celle de mon rouquin.

— Jamais on ne vous a dit de venir là ! proteste Banski, qu’est-ce que c’est que cette histoire de téléphone !

L’autre affirme qu’on vient de lui ordonner de rappliquer rue de Savoie.

Banski se fout en rogne en jurant le contraire et en disant que lorsque le patron saurait ça, il se foutrait sûrement en rogne.

Comme ça m’a l’air de tourner au vinaigre, je me dis qu’il serait peut-être judicieux d’intervenir.

Je fais un pas en avant et je gueule :

— Les mains en l’air, tout le monde.

Ils ne sont que deux, mais ça fait tout de même quatre paluches en direction des étoiles. Ou du moins ça les ferait s’ils consentaient à obéir, mais ces foies blancs sont tellement stupéfaits de me voir brandir ma pétoire qu’ils s’aèrent copieusement l’organisme en ouvrant au maximum leur bouche, leurs yeux, leurs narines et sans doute leur rectum.

Puis, cet instant de flottement surmonté, Banski, avec une rapidité extraordinaire, sort son feu.

— Jette ça ! je lui crie.

Mais il ne m’écoute pas, il a les yeux injectés de sang. Il ne prête aucune attention à moi. Toute sa fureur est tournée vers l’Américain.

— Salaud ! hurle-t-il. Enfant de putain ! Ordure, tu nous as donnés, hein ?

Il tire.

Le grand rouquin se casse en deux et glisse lentement contre le mur en se tenant le ventre.

— Salaud ! dit encore l’autre.

Une nouvelle balle ! Cette fois le rouquin la cloque dans son œil gauche. Le verre de ses lunettes est pulvérisé. Il reste un instant en équilibre, un ruisseau de sang coulant par la hideuse blessure, puis il tombe d’une masse sur le côté.

Tout ça s’est déroulé comme dans un rêve à une allure déréglée. Je presse à mon tour la détente de mon arme. Merde arabe ! Ce que je peux avoir les réflexes rouillés ! Faudra que je me les passe au minium un de ces jours…

Banski pousse un hurlement qui doit s’entendre jusqu’à Formose. J’ai peut-être les réflexes rouillés, mais mon œil est juste. Ma balle vient de lui faire sauter trois doigts de sa main droite. Son revolver est par terre et ses morceaux de salsifis pendent au bout de sa main comme des branches cassées.

Il larmoie, Crâne-pelé… Il est terrifié de voir sa paluchette mutilée. Il la tient devant lui comme un ostensoir.

— Tu vois, Banski je lui dis, toutes les grosses naves de ton espèce finissent par se faire contrer un jour ou l’autre. Si tu avais mené une petite vie d’honnête homme, tu serais un zig comme tout le monde, jouissant de ses dix doigts…

Lui, malgré mes petites transformations physiques, me reconnaît sans hésiter…

Je ricane…

— Une surprise, hein ? Maintenant, mon petit bonhomme, il ne te reste plus qu’une chose à faire, c’est te mettre à table comme un grand garçon avec ta serviette autour du cou.

Il est livide, ses chailles claquent comme si on lui avait glissé des castagnettes dans la margoulette.

— Remets-toi, Toto, je lui dis, et réponds à mes questions. Pour le compte de qui travailles-tu ?

— M. Muller…

— Bon, et M. Muller, pour le compte de qui travaille-t-il ?

Il paraît surpris.

— Mais je… Pour lui ! Il devait… C’est lui qui doit négocier la vente du détonateur… Et puis on lui a… A l’ambassade américaine…

Il hoquette. Il parle sans prendre garde à ce qu’il bafouille. Il regarde sa main, sa main ruisselante de sang. Sa main avec laquelle il ne pourra jamais plus presser la détente d’un feu.

Pour ce gros chourineur, tout est foutu… C’est son gagne-pain que je lui ai démoli.

— Quel est ce fameux disque dont il est tant question ?

— C’est la goupille de réglage du détonateur. Sans elle, il ne sert de rien…

— Et qui vous met des bâtons dans les roues ?

Il hausse les épaules.

— Sais pas…

Est-ce qu’il commence à récupérer, Banski, et pour cela fait de l’obstruction ?

Pas de ça, Lisette.

— Parle…

— Je ne sais pas !

— Parle ou je te bute !

— Mais je ne sais pas…

— La môme de Suisse, la petite téléphoniste, c’est toi qui l’as sucrée. Muller est d’accord sur ce point. Ça fait assez, avec ce que tu m’as fait hier soir, pour t’envoyer à l’abbaye de Monte-à-Regret, tu le sais… Et la môme, ce matin, devant l’ambassade, c’était toi, non ?

— Oui.

Cet aveu me porte à croire qu’effectivement il ne sait pas grand-chose de la fameuse bande rivale qui les contre…

— Pourquoi l’avez-vous butée ?

— Parce que… Elle devait être arrêtée par les poulets et qu’alors…

Je jubile d’avoir deviné juste…

Pas longtemps. Je vois les yeux de Banski se révulser d’effroi.

Je me retourne et, l’espace d’un éclair, j’aperçois l’homme aux cheveux gris.

Il est à l’extrémité du couloir, dans l’encadrement, et tient un revolver braqué. Il ferme un œil, son doigt se crispe sur la détente de l’arme.

Il s’en faut d’un millionième de seconde. Je me fous à plat ventre et les dragées volent au-dessus de mon crâne… C’est Banski qui se les collectionne dans le buffet.

J’entends une galopade dans l’escalier… Je me redresse, l’agresseur est parti… Sans doute croit-il m’avoir atteint, tout a été si rapide…

Je pousse un juron et m’élance à sa poursuite.

CHAPITRE XVII

IL EST QUESTION D’UNE GAMINE QUI FAIT ROUGIR LES MESSIEURS !

Tout cacao cessant, la vieille concierge est sortie sur le pas de sa loge et regarde le spectacle…

Il doit être assez curieux.

D’abord, c’est le débouché de Muller, puis le mien… J’ai mon feu à la main et je gueule : arrêtez ou je tire, suivant la formule consacrée. Mais il a de l’avance, Muller, et il ne s’arrête pas. Il sait que je ne pourrai pas le rattraper. En effet, au moment où je débouche de l’immeuble, il tourne le coin de la rue et se précipite dans une voiture.

Lorsque j’arrive au coin de la rue, il est au coin du quai et, si je m’entêtais à cavaler au coin du quai, ce serait certainement pour le voir virer au coin du pont. Il m’a échappé. J’ai bien essayé de noter le numéro de sa guinde, mais ça m’a été impossible. Tout ce que je sais, c’est qu’il pilote une traction noire…

Bien entendu, ce petit rodéo n’a pas été sans ameuter les paisibles populations du quartier.

Je me retourne et dis aux assistants :

— Quelqu’un a-t-il pu noter le numéro de cette voiture ?

Tous hochent la tête. Une vieille dame tenant un affreux ratier en laisse dit qu’il doit commencer par un 6 ; un plombier zingueur s’inscrit en faux contre cette hypothèse en jurant que c’est par un 8 que le numéro commence… Pagaïe habituelle. Deux flics s’annoncent, autoritaires et tonitruants en commandant à tout ce trèfle d’aller à ses affaires ; mais faire circuler des badauds parisiens en pareil cas est plus périlleux que d’ôter un gigot à un tigre affamé.