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Je prends les flics à part et leur chuchote mon identité à l’oreille. Je leur dis qu’ils envoient ce qu’il faut au 4, de la rue, pour le ramassage d’un ou peut-être deux macchabées…

Je rengaine mon soufflant et je reviens à ce que les journaleux en délire appelleront incessamment la maison tragique.

La concierge est au premier, acagnardée à la porte en train de regarder le cadavre de Banski, lequel se vide de son sang comme un tonneau ouvert. Je la prends par les épaules et elle pousse un glapissement d’effroi.

— N’ayez pas peur, mémère, je suis de la police, les agents vont rappliquer et emporter ces bonshommes…

Elle est grise comme une matinée de Toussaint, la pauvre.

— Cet appartement appartient à qui ?

— Hein ?

Elle s’arrache péniblement à son horrible extase…

— Ah… L’appartement… A M. Muller.

— Depuis longtemps ?

— Deux ou trois mois…

— Il l’habite seul ?

— Oui… Mais rarement, il était toujours en voyage, il est représentant.

Le terme me fait sourire. Représentant !

C’est le cas de le dire.

Je vois d’ici la carte de visite du mec.

« Muller, représentant en détonateurs. »

— Dites-moi, Muller, c’est bien l’homme aux cheveux gris qui fuyait tout à l’heure ?

— Oui…

— Il n’a pas d’autre adresse à Paris ?

— Je ne sais pas…

Je m’approche du corps de Banski et je le fouille. Je trouve une carte d’identité à son nom, du fric, un briquet, une lime à ongles et une clé d’hôtel.

Je chope la clé.

Sur la carte d’identité, à la rubrique « Domicile » il y a marqué : Marseille.

Pas grand-chose à espérer de ce côté-ci.

Il se fait un vaste remue-ménage dans l’escalier et une nuée de journalistes radinent en brandissant des appareils photographiques.

C’est toujours le moment que je choisis pour m’esbigner en loucedé ; moi, le style matamore, c’est pas mon fort.

Vous me verrez jamais tartariner devant du magnésium en prenant l’attitude de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’os. Aussi, je les mets sans plus attendre…

Attablé devant un double rhum blanc, je songe mélancoliquement que je suis presque au point mort.

Les gars qui pourraient éclairer ma lanterne clabotent comme par enchantement les uns à la suite des autres, et maintenant les hommes eux-mêmes se mettent à lâcher la rampe.

Comme le chef doit ronger son coupe-papier, je lui relate ce nouvel incident…

— Bravo, me dit-il.

— Ah oui, vous trouvez ?

— Vous aviez vu juste en ce qui concerne le garçon de l’ambassade. Vous progressez. Je vais vous apprendre quelque chose, moi aussi…

— Sans blague !

Il ne relève pas l’ironie.

— Mme Fouex est morte empoisonnée, dit-il.

— Bon… donc, c’est bien à l’ambassade que la chose a commencé. C’est la mère Fouex qui a reçu Muller lorsque ce dernier est venu proposer le détonateur. Elle en a référé à son chef direct : le rouquin. Alors, l’un ou l’autre a eu l’idée de s’approprier l’invention et de la vendre pour son propre compte…

— A moins que l’un et l’autre ne travaillent pour le compte de quelqu’un d’autre ?

— Oui, c’est possible…

« La mère Fouex a fait appel à son neveu. Et à mon avis, elle s’est adressée à lui parce qu’il était comédien… Pourquoi ? J’aimerais le savoir…

— Vous le saurez bientôt, tel que je vous connais, dit le chef d’un ton prometteur.

S’il se met à me passer la brosse à reluire, je suis bon pour faire les pieds au mur.

Je poursuis mon raisonnement, plus pour moi que pour lui.

— Et puis ça n’a pas cadré du côté du neveu, soit qu’il les ait doublés pour passer à l’ennemi, soit qu’il ait eu un avatar. Quel clan a supprimé la mère Fouex ? Pourquoi Gerfault s’est-il suicidé ?

Il ne répond rien, le boss, car il sait que le fil d’une idée est plus fragile que celui d’un ballon rouge… Si on le casse, le ballon s’envole…

— Non, je m’écrie, ça ne tient pas : si le rouquin de l’ambassade avait doublé Muller, il n’aurait certes pas été en cheville avec lui ce matin…

— Qui sait, objecte le chef, les renversements d’alliance existent, vous savez…

— D’accord. En tout cas, pour nous résumer, il existe toujours deux groupes : l’un qui possède le disque et sur le compte duquel nous ne savons rien, l’autre qui est représenté par Muller et qui tue les gens à tort et à travers pour se l’approprier… Lequel pour nous est le plus intéressant ? Le premier, sans aucun doute, non ?

— Vous pouvez remonter à lui, en passant par le second.

— Oui… Encore faut-il retrouver Muller…

— Il le faut ! dit le patron avec force.

« Muller tient trop au disque pour disparaître comme cela…

— Excusez-moi, boss, je dis précipitamment. Je raccroche…

Une étincelle vient de se produire… J’attrape l’annuaire des téléphones et je cherche le numéro du canard que je lisais ce matin.

— Allô ! passez-moi la publicité !

Muller ! Disque ! Muller ! Disque ! Les deux mots m’ont remis dans les yeux l’annonce du matin…

— La publicité ?

— Oui…

— Ici police, je voudrais savoir à quel moment on vous a remis l’annonce « Amateur disques achèterait cher pièce rare… »

Le type me répond sans hésiter :

— Je me doutais que ça n’était pas normal, fait-il.

— Tiens ! Tiens !

— Oui, la personne a apporté l’annonce au moment de la mise sous presse, en fin de journée… Nous lui avons dit qu’il était trop tard pour la publication dans l’édition en cours, mais elle a beaucoup insisté…

Je comprends qu’il y a eu un pourliche pharamineux à la clé.

— Comment était cet homme ?

— Ce n’était pas un homme, mais une jeune fille.

Je suis déconcerté…

— Une jeune fille ?

— Oui…

— Comment était-elle ?

Le type hésite.

— Très jolie, dit-il sourdement.

Si ce gnaf n’a pas eu la grande secousse, je veux bien être pendu par les précieuses !

— Hum, c’est vague, dis-je.

— C’est pourtant ce qui la qualifie le mieux, reprend le gars.

— Vous avez son adresse ?

— Une personne qui se fait écrire Poste Restante n’a pas l’habitude de distribuer sa carte de visite.

J’encaisse sans sourciller. Il n’est pas bête, au fond, ce mec.

— Merci…

Je retourne m’asseoir.

— Garçon !

— Voilà, monsieur…

— Remettez-moi ça et apportez-moi de quoi écrire…

Je vide le glass. Décidément, ma congestion est conjurée et mon fameux choc n’est déjà plus qu’un souvenir.

Je trempe la plume dans l’encrier boueux, hésite un instant et me décide :

Monsieur,

Suite à votre annonce parue ce jour, je puis vous aider à trouver certain disque de valeur. Un disque pratiquement étonnant (ou plutôt détonant).

Je ricane, très satisfait de ce jeu de mots à double sens. Si le gars qui recevra cette lettre est franco, il ne doutera pas un instant d’avoir affaire à un jobré.

Je continue :

Au cas où vous seriez intéressé, trouvez-vous ce soir à huit heures, à la Rhumerie Martiniquaise. Ayez un disque avec vous afin que je vous reconnaisse.