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Croyez, etc.

Je signe Durand, ce qui est une façon comme une autre de conserver l’anonymat.

Je vais poster ma bafouille en pneumatique, et je m’engouffre dans un cinéma.

Ça peut vous étonner que j’aille mater une toile en ce moment, mais j’ai besoin de m’aérer un peu la caboche. Besoin de ne plus penser à toutes ces giries ! Besoin de m’anéantir un peu dans la touffeur moelleuse d’un fauteuil d’orchestre.

Le film est épatant pour un type qui ne veut pas se casser le tronc. Ça vaut un massage de matière grise.

C’est l’histoire d’une souris qui est foutue comme l’as de pique et qui en rote à taper à la machine pour le compte d’un patron autoritaire.

Le bagne, quoi !

Seulement, elle a le béguin pour le fils du patron, un jeune gland qui fait du cheval et pilote des Mercedes-Benz, l’amour la titille tellement qu’elle devient coquette, ôte ses lunettes, se fait faire une permanente chez Georgel et devient la plus sensationnelle pin-up de la création.

Le militaire qui est assis à mes côtés en a des frémissements dans la fourragère…

Je sais pas comment finit le film car j’en écrase avant la deuxième bobine, mais je vous parie le grand cañon du Colorado contre un lapsus linguae de M. Jean Nohain qu’elle va se marida avec le fils du patron ; c’est dans la poche, que dis-je ! dans l’alcôve !

Je me réveille lorsque l’ouvreuse me flanque un esquimau dans l’œil en le tendant à mon voisin le militaire.

Je regarde le cadran lumineux fixé à droite de l’écran. Six heures…

Juste le temps de passer à la grande turne avant mon rencart.

Je suis heureux d’y retrouver Castellani. C’est un petit gars de l’espèce chien fidèle, qui est bigrement utile à un type comme le gars San-A.

Il ouvre la bouche en me voyant.

— Que vous est-il arrivé, monsieur le commissaire !

— Je te raconterai ça une autre fois. Tu es libre ?

— Je préparais mon rapport sur l’affaire des timbes portugais…

— Laisse choir ta philatélie et amène-toi !

Il me suit, tout frétillant.

Chemin faisant, je lui explique ce que j’attends de lui.

— Ecoute, j’ai rencart avec quelqu’un à la Rhumerie Martiniquaise. Je ne sais pas avec qui. Signe de ralliement : un disque de phono.

« Il se peut que la personne en question soit un homme aux cheveux gris. Il me connaît et tout serait fichu. En ce cas, tu l’aborderas en lui disant que tu as des nouvelles du disque et que tu étais un copain de la fille butée ce matin devant l’ambassade, tu me suis ?

— Oui, monsieur le commissaire.

— Parfait. Tu diras que tu veux bien lui donner d’autres tuyaux, mais contre argent. Sois très cupide, très gourmand.

— Bien, monsieur le commissaire.

— Débrouille-toi pour sortir avec le gars. Une fois hors de l’établissement, je lui sauterai sur le poil, à ce moment-là, tu lui passeras les poucettes, il faut y aller vivement, c’est un dur.

— Comptez sur moi.

— Bon. Ceci est prévu, je te répète, dans le cas seulement où la personne au disque serait un type aux cheveux gris. Dans le cas contraire, après l’avoir repérée, tu viendrais me le dire et c’est toi qui resterais dehors avec mission de me suivre…

— D’accord.

J’ajoute :

— Il se peut aussi qu’il n’y ait personne au rendez-vous.

Il ne comprend pas, mais c’est un type discret qui ne s’étonne jamais lorsqu’on lui dit qu’un curé est habillé de blanc et que les émissions de l’O.R.T.F. sont géniales. Du moins lorsque c’est un de ses supérieurs qui le lui affirme.

Nous marchons jusqu’à la Concorde, nous passons le pont et allons à pied jusqu’à Raspail. Là, j’emprunte un taxi car je préfère me dissimuler pour attendre. Justement, le chauffeur est un gars que je connais. Il me cligne de l’œil d’un air engageant et dit qu’il est à ma disposition.

Il nous mène à la hauteur de la Rhumerie, prend un large virage et vient s’arrêter à l’angle de la rue de l’Echaudé.

Castellani descend et fouinasse à la terrasse d’hiver. Puis il entre.

Je suis un peu anxieux…

— Tu as une cigarette ? je demande au chauffeur.

Il me tend un laxompem de gauloises. Mais je n’ai pas le temps de l’allumer. Castellani est déjà de retour.

Je suis un peu déçu, car j’espérais en secret que le Muller de l’annonce serait le même que le mien. Je m’étais enfoncé dans le crâne que deux Muller ne pouvaient pas s’intéresser à des disques rares…

— Alors, fiston ?

— Il y a quelqu’un avec un disque, en effet, mais ça n’est pas un vieux…

— Qu’est-ce que c’est ?

— Une chouette môme, monsieur le commissaire.

Et il rougit comme un collégien qui vient de se faire choper avec une revue porno.

CHAPITRE XVIII

DES CHEVEUX D’OR ET UNE BALADE AU CLAIR DE LUNE

La fille au disque, c’est ainsi que je l’appelle d’emblée, a en effet tout ce qu’il faut pour amadouer un gardien de la paix lorsqu’elle a laissé sa bagnole en station devant une porte cochère.

C’est une superbe jeune personne d’une vingtaine d’années aux cheveux de couverture de bouquin d’amour, d’un jaune paille à reflets d’or. Si après cette tirade vous trouvez que je ne suis pas l’émule de Lamartine, vous n’êtes qu’une bande d’empêchés !

Elle a la peau légèrement bronzée avec une constellation de minuscules taches de rousseur. Ses yeux sont gris foncé et sa bouche bien charnue.

Quand elle sourit, vous pensez à je ne sais pas quoi de captivant suivant vos aspirations intimes.

Pour le baraquement, oh pardon ! Les stars d’Hollywood peuvent se faire inscrire au chômage, moi je vous le dis. Et si je vous le dis, c’est que ça doit être absolument véridique !

Elle porte un pull gris à bord roulé qui ne cache rien de ses rondeurs et un pantalon noir qui les exagère.

Elle se tient sagement assise devant un verre de punch blanc, un disque de phono posé devant elle.

Je ne puis m’empêcher de penser que ça serait vraiment farce si cette môme était une coïncidence.

Je m’approche d’elle et me découvre.

— Mlle Muller ?

— Oui.

Elle me regarde rapidement. Son regard est incisif comme un poignard. Il plonge en vous et vous jauge à toute allure.

— Vous permettez ?

Je m’assieds après qu’elle a battu de ses longs cils.

Je la regarde et c’est une chose pas fatigante du tout. Je voudrais passer ma vie à faire ça, étendu dans un rocking-chair.

Je me chuchote :

« Cré nom, ce qu’elle est bath ! »

Et tout haut, je questionne :

— Vous avez reçu ma lettre ?

— Croyez-vous que je serais là, sinon ?

Bing ! Je bloque la riposte.

— Il faut bien amorcer une conversation, je fais, je trouvais ça, à tout prendre, plus original que le temps.

— On pourrait parler du disque, dit-elle. Qu’avez-vous à me proposer ?

Je la regarde encore, ou plutôt je regarde ses yeux pour essayer de comprendre ce qu’elle pense. Mais elle est fermée comme un mur de prison.

— Qu’aimez-vous comme musique ?

— La musique détonante, fait-elle en souriant.

— En ce cas nous sommes sûrement faits pour nous entendre…

Elle allume une cigarette, exhale la fumée par le nez et me demande :

— Au fait, qui êtes-vous ?

— Un amateur de disques…

— Mais encore ?

— Cela doit vous suffire.

Je juge prudent de revenir au personnage que j’ai décidé d’adopter.