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— Si j’ai la pièce qui vous intéresse, que vous importe le reste ?

— Bien sûr…

Elle balaie la fumée qui stagne entre nos visages d’un large mouvement.

— Seulement, l’avez-vous ?

— Je crois que j’ai la possibilité de l’avoir…

— Hum, il y a un distinguo…

— Léger, oui… mademoiselle Muller.

Elle rectifie :

— Madame…

— Ah…

Déjà marida !

— Faites excuse.

— Il n’y a pas de mal…

J’avance un pion :

— Vous êtes la femme de Muller ?

— Pour m’appeler Muller, j’ai épousé un Muller, vous avez trouvé ça tout seul ?

— Et c’est vous qui êtes chargée de traiter ?

— Pourquoi ?

— Parce que j’aimerais parler des chiffres. J’ai toujours été porté sur les mathématiques…

— Parlons chiffres…

Elle écrase sa cigarette à demi consumée dans le cendrier et souffle le nuage bleu.

Le garçon bousculé par l’affluence vient s’enquérir de ma commande.

— Un punch créole !

Il va au comptoir.

Nous attendons qu’il m’ait servi pour reprendre cette instructive conversation.

— Quelles sont vos prétentions ? demande-t-elle.

— Assez prétentieuses… Il me semble que si l’on me lâchait cent mille francs, je deviendrais bavard comme une pie et il faudrait me coller de l’albuplast sur le bec pour me le fermer.

— C’est cher.

— C’est donné. La dame à qui il est arrivé un accident, ce matin, demandait cent mille dollars aux Ricains. Au change, cent mille dollars font dans les cinq cent mille francs… Avec cette somme en poche, on doit se sentir moins seul, non ?

Comme j’ai élevé la voix, elle regarde autour d’elle, vaguement effrayée.

— On ne pourrait pas aller discuter ailleurs ?

— Si vous voulez…

Je flanque un billet sur la table et nous sortons l’un derrière l’autre.

Une fois sur le boulevard, elle me dit :

— Je crois que chez moi nous serions plus tranquilles.

Elle ajoute :

— Ça ne vous tracasse pas ?

— Ça ne m’a jamais tracassé d’accompagner une jolie fille chez elle.

Elle ne répond pas.

— C’est loin, votre nid ?

— J’ai ma voiture.

Sa voiture, c’est une traction avant noire.

Elle me fait grimper à ses côtés.

Je commence à la trouver particulièrement imprudente, cette souris. Je m’attendais à des finasseries, mais elle est allée droit au but avec une impudeur toute féminine.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Mine de rien, je jette un coup d’œil dans le rétro. Je vois le taxi de Castellani qui s’ébranle à son tour.

Nous descendons le boulevard Saint-Germain jusqu’au Palais-Bourbon. Puis nous suivons les quais en direction de l’ouest.

Nous dépassons le Champ de Mars. Le projecteur de la tour Eiffel caresse la nuit de son triple pinceau.

Il fait doux. Ma compagne sent bon…

Ce serait un peu tonnerre si cette balade au clair de lune était une balade sentimentale…

Mais ça n’en est pas une…

Oh non ! Pas du tout…

Sans que j’aie perçu le moindre bruissement, le canon d’un revolver s’appuie sur ma nuque.

— Ne bougez pas, monsieur le commissaire, déclare la voix calme de Muller.

CHAPITRE XIX

CURIEUSE BALADE AU CLAIR DE LUNE

Je ne bouge pas ; que Muller soit bien tranquille à ce sujet.

Le voudrais-je que cela me serait impossible, car je suis littéralement paralysé par la stupeur.

Ça n’est pas la première fois certes qu’on me fait le coup du passager clandestin à bord d’une auto, mais c’est la première fois que je marche à fond. D’ordinaire, mon fameux sixième sens m’avertit des présences cachées… Là, pas de doute, je me suis laissé fabriquer comme le premier peigne-cul venu…

Quelle maîtrise ils ont, ces Muller. Et quel cran ! Faut vraiment que le disque vale la gobille pour oser enlever deux fois un flic en plein Paris en ayant toutes les polices de la République au réchaud !

Je pense à tout ça sans lever le petit doigt.

La femme fait exactement comme si elle ne s’était aperçue de rien et pilote son tombereau à vive allure…

La main de Muller ne frémit pas. Il est en marbre ou quoi, ce zig-là ? Dites voir ?

Mon premier mouvement, si on peut dire est un mouvement d’yeux. Je bigle dans le rétro pour voir si le taxi de Castellani nous file toujours le train.

Oui, il est là… Alors je me sens un peu mieux.

L’homme aux cheveux gris n’osera tout de même pas me farcir l’olive en plein Pantruche ! Donc, j’ai le temps de risquer quelque chose ; je sais que je puis espérer une aide immédiate.

C’est alors que Muller achève de m’époustoufler.

— Mon revolver est muni d’un silencieux, dit-il ; c’est vous dire qu’au milieu de cette pétarade de voitures, sa détonation passerait absolument inaperçue. Comme je tirerais de haut en bas, il n’y a donc aucun danger pour que la balle aille fracasser le pare-brise après avoir traversé votre tête… Vous suivez ces explications, commissaire ?

Je ne réponds rien.

— Par ailleurs, poursuit Muller, au moindre geste, permettez-moi de vous le réaffirmer, je tirerai. N’attendez donc rien de votre collaborateur qui nous suit…

— Nous sommes suivis ? demande la femme.

Elle n’est pas effrayée du tout, ni même inquiète. Curieuse, tout au plus…

Elle se baisse pour regarder dans le rétroviseur.

— C’est ce taxi ?

— Oui… ces messieurs ont fait un petit mic-mac à la Rhumerie… Je suppose que si j’avais été au rendez-vous, c’est l’autre qui serait venu s’asseoir à ma table.

Quand je vous dis qu’il a un peu plus de cervelle qu’une fourmi, cet homme.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demande la femme.

— On les sème dans les petites rues de Grenelle, décide son compagnon.

Ça doit vouloir dire quelque chose pour elle, car elle ne demande pas un iota d’explications…

Elle ralentit l’allure afin d’obliger le taxi qui nous suit à ralentir itou.

C’est ce qui se passe. Puis elle tourne à gauche dans la rue de la Convention, ralentit encore et met la flèche à droite pour faire signe qu’elle va stopper. Comme elle s’arrête juste à un angle de rue, le bolide de Castellani est forcé de nous dépasser et file un peu plus loin en serrant le trottoir. Alors, la belle blonde, qui n’a pas coupé son moteur, fait une brusque marche arrière en braquant, ce qui la remet dans l’axe de la rue de la Convention et elle ne se fait pas prier pour appuyer sur le champignon. Je vous le garantis. C’est du grand art, sincèrement. Le vieux taxi doit s’empêtrer à faire une manœuvre dans la ruelle où elle l’a obligé à s’engager…

Je me souviendrai du truc… Si j’ai jamais la possibilité de me souvenir de quelque chose…

Elle fonce dans les rues, à gauche, à droite, mais sans perdre une orientation précise, en effet ; elle finit par retrouver la Seine, la traverse et remonte l’avenue de Versailles, en direction de Boulogne.

Nous retraversons le fleuve au pont de Saint-Cloud et nous nous engageons sous le tunnel de l’autoroute.

Je regarde avec nostalgie les flics en faction à l’entrée du tunnel, surveillant si les automobilistes ont bien allumé leurs lanternes.

Si je dois tenter quelque chose, ça doit être sous ce tunnel.

Tant pis pour mes os. Ici Muller est comme dans un piège car s’il y a du grabuge, il lui sera impossible de s’échapper de ce tunnel cerné par les bourdilles.