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Il le sent bien, le bougre. Décidément il devine tout.

— Ne vous excitez surtout pas, fait-il.

— Je ne m’excite pas !

Au même instant, je décoche un terrible coup de tatane dans les chevilles de la fillette qui se met à hurler et j’écrase alternativement et à toute vitesse le frein et l’accélérateur afin d’imprimer à la bagnole de terribles saccades.

L’auto fait une embardée, se redresse, s’arrête presque, manque caler, repart, hoquette, tressaille, sursaute… Comme, en même temps que mon pied invisible opérait, j’ai plongé en avant, Muller, ballotté, ne peut tirer ! Il jure comme un charetier, lui si distingué ! Les voitures qui nous suivent écrasent leurs klaxons, l’une d’elles, qui arrivait à vive allure, emboutit une aile… C’est le gros badaboum ! Le pastaga maison ! Les bagnoles s’arrêtent… Y a du remue-ménage…

— Fonce ! Fonce ! hurle Muller.

Sa souris a repris ses esprits. J’essaie de lui enserrer les jambes avec mes bras, puisque je suis agenouillé sur le plancher de la guinde ; mais elle est nerveuse comme un panier d’anguilles.

Je m’attends d’une seconde à l’autre à bloquer une praline dans le dos.

Moi qui ai toujours eu peur de ça ! La mort, je la rêvais de face, comme les grands capitaines ! Oui madame…

Mais ça n’est pas une balle que je reçois ; c’est un coup de crosse au sommet du crâne.

Ça craque dans ma tête… Je vois un feu d’artifice somptueux, comme ils n’en tireront jamais pour aucun 14 juillet ! Toutes les cloches de toutes les églises se barrent à Rome en carillonnant comme des paumées !

Dans le fond, c’est assez joli…

Et puis les étincelles de mon feu d’artifice portatif s’éteignent, les cloches deviennent silencieuses et, à leur place, il y a un tintamarre de klaxons…

Je reviens de mon étourdissement comme d’un voyage de noces, épuisé et repu.

— Si vous faites un geste, un seul, hurle Muller, je vous abats comme un chien enragé…

Je me rassieds.

Mes yeux cliquettent comme une bagnole dont l’avance à l’allumage est mal réglée.

Pour me réconforter, Muller me met plusieurs ramponneaux très secs aux tempes.

— Arrêtez le massacre, je lui fais.

Et j’essaie de rajuster mes yeux en face de leurs trous respectifs. J’y parviens tant bien que mal, juste assez néanmoins pour comprendre que nous sommes sortis du tunnel et que nous fonçons à au moins cent trente à l’heure sur l’autoroute.

Derrière nous, une bagnole, celle qui nous a embouti une aile sans doute, pédale à toute volée, son avertisseur bloqué.

Son conducteur n’entend pas être repassé et veut son constat.

A la première dérivation pour Versailles, nous quittons l’autoroute. La fille blonde prend à droite, en direction de Vaucresson, descend la pente rapide conduisant à ce bled et se carre à mi-côte dans l’entrée d’une propriété. Elle remonte la large allée serpentant à travers un boqueteau et stoppe devant une maison cossue, hermétiquement close.

La manœuvre a été si rapide que l’automobile suiveuse n’a pu s’y repérer, et a dû tourner dans la rue avant la propriété…

— Levez les bras ! ordonne Muller.

J’obéis.

— Prends-lui son revolver, ordonne-t-il à la fille.

Elle glisse sa main racée par l’ouverture de ma veste et s’empare de mon arme.

Puis elle descend de voiture après avoir éteint les phares et vient m’ouvrir la portière en tenant mon feu braqué sur ma poitrine.

Décidément, je suis sérieusement contré.

— Descendez !

Je quitte le carrosse.

La femme ouvre la marche tandis que Muller continue à me tenir son feu braqué dans les reins.

Nous escaladons le perron. La môme ouvre la porte et nous entrons dans une maison froide, meublée de façon plus que conventionnelle.

Nous traversons un long vestibule et mon guide ouvre une porte basse. Un escalier est là, que nous descendons. Nous arrivons alors à une cave elle-même fermée par une porte de fer…

Derrière cette porte, il y a une pièce de trois mètres sur deux, religieusement dépourvue de mobilier. Deux chaînes sont rivées au mur comme dans les anciens cachots… A l’une de ces chaînes est fixé un type que je ne puis voir, car il est accroupi.

Il a la tête sur les genoux et ses bras par-dessus. Je sais qu’il vit, car sa poitrine se soulève et se creuse régulièrement.

Assez inattendu comme baraque et comme locataire…

— Fixe-lui son fer ! ordonne Muller.

« Reculez-vous, me dit-il, et encore une fois, ne bronchez pas, ou je tire… »

Je baisse la tête et je regarde la fille blonde me passer un bracelet d’acier aux chevilles.

C’est la première fois qu’un truc pareil m’arrive !

CHAPITRE XX

Y A DE L’AURORE BORÉALE PLEIN CE QUI ME SERT DE CRÂNE !

Muller toussote. Il se tourne vers la femme.

— Laisse-nous, veux-tu ? demande-t-il.

Docile, elle s’éloigne.

Alors Muller recule lentement pour être hors de ma portée et baisse son revolver.

— Je commençais à prendre une crampe dans le bras, dit-il en souriant.

Puis il s’adosse au mur.

Son beau costard commence à être fripé et ses joues mal rasées lui donnent l’air d’un type de la haute qui serait devenu clodo à la suite d’embarras financiers.

Il a une belle gueule, Muller et de la distinction… Même dans cet état de délabrement consécutif à son activité de ces derniers temps.

— Commissaire, murmure-t-il, je vais vous annoncer quelque chose ; mais sera-ce vraiment une nouvelle pour vous ?

Il pèse bien ses mots.

— Vous allez mourir, commissaire.

Je soupire de mon air le plus comique possible :

— C’est dans la condition humaine, hélas !..

Mais lui, impassible, reprend :

— Vous allez mourir et mourir de ma main…

— J’ai déjà entendu ça quelque part…

Il sourit sans haine.

— A quoi bon persifler, commissaire ? Je sais que vous êtes un homme courageux. Je vais vous tuer parce que je n’ai pas le moyen de faire autrement ; personnellement, je n’ai aucune haine à votre endroit… Mais avant, je vais vous raconter une histoire et vous poser une question…

Il se racle le gosier.

Le type allongé contre le mur ne fait toujours pas un mouvement. Je le regarde attentivement : je donnerais bien une thune pour reluquer sa devanture, mais il conserve la tête dans ses bras…

Une lumière crue tombe de l’ampoule électrique nue.

L’homme aux cheveux gris reprend :

— Avez-vous entendu parler de Karl Hollanzer ?

— Non…

Ça a l’air de le choquer profondément.

— Karl Hollanzer était un grand savant, dit-il, professeur à la Faculté des sciences de Berlin. Il avait à son actif de grands travaux patronnés par le Reich hitlérien…

« Lors de l’invasion de l’Allemagne il a été emprisonné par les Russes et, comme il ne voulait absolument pas collaborer avec eux, il s’est pendu dans sa cellule.

Je l’écoute attentivement, pressentant que je vais toucher enfin le fond du probloque.

Muller me regarde presque brutalement.

— C’était mon demi-frère, dit-il.

— Navrant, dis-je, sans préciser si je trouve navrant qu’il soit le frère d’un grand savant ou que ce grand savant soit mort.

— J’ai hérité de ses biens, poursuit-il, car contrairement à mon demi-frère, j’étais antifasciste. Dans sa propriété, il avait aménagé un laboratoire qui a été dévasté ; mais il avait pris ses précautions et caché une invention sur laquelle j’ai pu mettre la main.