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Pas marrant d’attendre… Surtout de ne pas savoir ce qu’on attend !

De l’autre côté de la cloison, mon mec attend toujours lui aussi et, pour tout dire, il paraît plus nerveux que moi. A chaque instant, il se lève, marche dans sa carrée et va boire un verre de flotte dans la salle de bains voisine.

Il a essuyé le fard empâtant ses joues et sa peau couverte de sueur brille comme celle d’un nègre sous la clarté crue du globe électrique.

A un moment, j’aperçois ses yeux. Ils sont luisants comme des yeux de fauve et ils contiennent je ne sais quel indicible effroi.

Je sens qu’il se passe quelque chose dans le crâne de mon bonhomme. Quelque chose de vaste, d’immense… Quelque chose comme une tempête intérieure…

A un certain moment, il va s’étendre sur le lit et enfouit sa tête dans l’oreiller. Puis il pique une crise et tape les montants du lit, frénétiquement, avec son pied…

Il est à bout.

Oui, c’est un homme à bout de patience, à bout de nerfs qui trépigne sur ce lit d’hôtel.

Presque un pauvre homme, avec sa tenue de fausse gonzesse et sa gueule de clown, mal démaquillée.

Sa nervosité me calme, moi. Elle est l’indice que le cas de cet homme ne manque pas d’intérêt… Elle apaise mes remords.

La sonnerie du téléphone !

Je me précipite.

— Allô ?

— Quelqu’un demande Mme Fouex…

— Au téléphone ou en personne ?

— Au téléphone.

— Y a-t-il possibilité de me brancher en même temps que le 214 ?

Cette question doit être une vache hérésie car c’est d’un ton presque courroucé qu’elle me fait.

— Mais non, voyons !

— Bon. En tout cas vous pouvez écouter, vous ?

— Oui.

— Vous connaissez la sténo ?

— Oui.

— Alors, tâchez de prendre la communication en sténo, n’est-ce pas ?

— Bien.

Elle coupe… J’entends la sonnerie dans la pièce voisine. Le type se rue littéralement sur son biniou. Il parle vite en faisant des gestes.

Puis il se tait, il écoute longuement, passionnément. Il ne prononce plus un mot… Il laisse tomber son bras tenant l’écouteur, ce n’est qu’au bout d’un instant qu’il se décide à raccrocher. Il retourne se jeter sur le lit. Il paraît groggy comme un boxeur qui vient de s’empaler sur le gant de son adversaire.

Je décroche à mon tour.

— Allô ! vous avez noté ?

— Non.

Je trépigne :

— Mais, nom de Dieu de m…, qu’est-ce que je vous avais dit !

D’une voix sèche, la standardiste me répond.

— Je ne comprends pas le langage qu’ils employaient.

J’aimerais pouvoir me flanquer des coups de pied aux fesses ! Je n’avais pas pensé à cette possibilité.

— C’était quelle langue ?

— Je ne sais pas… Une langue nordique, je crois… Mais je n’en suis pas certaine. Je parle l’allemand, l’anglais et l’italien outre le français, je crois que c’est à l’allemand que cette langue ressemble le plus.

— Merci. D’où venait l’appel ?

— D’un poste automatique de la ville.

— Impossible d’en trouver la trace ?

— Non.

Me voilà marron, marron comme un Sénégalais, comme un médecin avorteur, comme un banquier véreux.

Je soupire :

— Tant pis…

Et je retourne à mon minuscule look-out !

Décidément, les choses se précipitent. Mon type pose ses fringues de souris. Le voilà bientôt en maillot de corps et petit calbard.

Il retourne la jupe qu’il portait naguère et récupère une pochette de toile qui y est épinglée.

Il vide le contenu de la pochette sur la table. Celui-ci se compose d’un revolver et d’un petit disque de métal de la taille d’un gros pion pour jeu de dame.

Il saisit ce disque et regarde désespérément autour de lui.

Je le vois s’emparer d’une chaise. Il la traîne au pied de l’armoire, grimpe dessus et glisse son disque tout au haut du meuble. Puis il redescend, va prendre son revolver et se tire une balle dans le citron.

CHAPITRE III

MON SUBCONSCIENT SE REMET À FAIRE DU SURVOLTAGE

Je mets un sacré moment avant de récupérer.

Je m’attendais à n’importe quoi sauf à cette issue !

Vous avouerez qu’il y a de quoi s’arracher les vertèbres cervicales pour s’en faire des cure-dents !

On n’a jamais vu ça sur cette sacrée planète à surprises ! En tout cas, moi, je n’ai jamais assisté à un meurtre de ce genre. Car ne nous gourrons pas : c’est d’un meurtre qu’il s’agit. Ma fausse dame d’un certain âge a été tuée… tuée d’un coup de téléphone. C’est un truc peu courant, vous en conviendrez.

Je retourne au téléphone.

— Existe-t-il un détective attaché à cet hôtel ? je demande à la standardiste.

— Oui.

— Envoyez-le-moi d’urgence…

— Bien, monsieur.

Elle doit se demander quel micmac je fais, la poulette. Je n’ai pas le temps de méditer sur les réactions d’une standardiste suisse devant les agissements d’un flic parisien.

Le détective frappe à ma porte.

Sa devise, ça doit être « célérité avant tout ». Pour la discrétion, y a qu’à renoucher sa bouille pour comprendre qu’elle est garantie sur facture.

C’est l’image du Suisse moyen. Il n’est ni grand, ni petit, ni gros, ni maigre, ni beau, ni moche, ni gland, ni malin. Il porte le costar anonyme de votre courtier d’assurances et ses yeux sont joyeux comme le jour où il pleuvait tant.

— Vous désirez ? demande-t-il.

Je procède par ordre, c’est-à-dire que je le fais entrer, que je lui montre ma carte et qu’enfin, je le rencarde sur les événements de ces dernières minutes.

Il fronce le sourcil. Sa bouche prend un pli amer.

Ce genre de pastaga ne lui dit rien qui vaille. Lui, c’est la catégorie détective de salon : c’est-à-dire que son boulot consiste à examiner les registres d’entrée pour vérifier si par hasard un ennemi public ne s’est pas fait inscrire, et à téléphoner aux banques pour savoir si les chèques des clients sont provisionnés.

— C’est effroyable, dit-il, du ton que prend votre belledoche pour affirmer que vos petits fours sont délicieux.

— Vous avez un passe-partout, je suppose ?

— Oui.

— Alors, ouvrons la chambre.

— Je dois tout d’abord avertir la police.

— C’est juste, mais ce client m’appartient davantage qu’à la police suisse. Il n’a commis aucun délit en territoire helvétique. J’entends l’examiner immédiatement. Pendant ce temps, prévenez les flics.

Il fait un signe d’assentiment, car, excepté une borne kilométrique, il n’y a rien de moins contrariant que lui.

Il sort un trousseau de clés de sa poche et nous gagnons la pièce voisine.

— Monsieur le commissaire, me dit-il, avant de pousser la porte, puis-je compter sur votre discrétion ? Pour le bon renom de notre établissement, je…

— Ça va, je fais, vous ne pensez pas que je vais réveiller tous vos clients, pour leur dire qu’un type vient de se flinguer dans l’hôtel.

Il ouvre.

Mon zouave est allongé en travers du lit.

Il est plus mort qu’un steak au poivre. La balle tirée à bout portant lui a fracassé le côté droit du bocal. Il est clamcé sur le coup.

J’examine attentivement ce qui reste de sa tirelire… Non, je n’ai jamais vu ce portrait. Méthodiquement, je fouille ses fringues. Je suis certain que la pochette de toile contient autre chose que le revolver et le petit disque. En effet, pour passer la frontière, il a dû montrer des papiers. Il y a une poche intérieure à sa robe. Cette poche contient du fric : une superbe liasse de billets de 100 francs, en tout trois mille francs… Au milieu de la liasse est une carte d’identité délivrée à Germaine Fouex, 12, rue de la Pompe, Paris. Née le 3 janvier 1900, à Nevers. Le revolver est un revolver courant, comme on en trouve chez tous les bons armuriers de France et de Navarre.