Je cramponne mon revolver, et, d’une voix brutale, je demande :
— Vous avez perdu votre bouton de jarretelle, mademoiselle ?
Elle est debout en un éclair. Elle me regarde, pousse un cri terrible et ses yeux s’écarquillent tellement que ses roberts vont dégringoler sur le plancher.
Comprenez bien ce qui se passe dans son cabochon : elle ignore que je suis le flic français. Pour elle, je suis le type somme toute mystérieux qui est venu lui demander dans la nuit des nouvelles de Mme Fouex. Et ce type mystérieux tient un revolver !
Je pense qu’elle doit avoir davantage les flubes devant un gangster que devant un policier…
J’aurais fait un excellent comédien car j’entre illico dans la peau des personnages que je veux interpréter.
Je m’approche de la môme terrorisée et je lui flanque une double mornifle en aller-retour.
— Ceci pour t’apprendre à ne pas mentir à des types comme moi, ma beauté.
Elle tremble comme un feuillage en automne.
Elle doit sentir venir sa dernière heure.
D’une bourrade, je la pousse à la renverse sur le paddock.
— Pourquoi m’as-tu bourré le mou ? je lui demande.
Elle se met sur un coude et me regarde sans répondre.
Je m’assieds à ses côtés sur le lit.
— Ecoute, poulette. Je ne sais pas ce qui me retient de te saupoudrer au plomb ! Quelque chose me dit qu’un morceau d’acier manque à ton genre de beauté et ferait bien dans ton crâne. Tu m’écoutes ?
— Oui. Mais je n’ai rien fait…
— Si.
Elle détourne son regard.
— Dans la soirée d’hier, quelqu’un a téléphoné à la soi-disant bonne femme qui occupait cette pièce, c’est vrai ?
— Oui.
— Qui était-ce ?
— Une femme, dit-elle.
— Tu as écouté leur conversation ? Oui.
— Qu’ont-elles dit, ces chéries ?
Elle la ferme.
— Je ne sais pas si tu es empêchée du cervelet, mais je crois que n’importe qui l’ouvrirait à ta place. Je vais t’aider à accoucher, mignonne… Dans la conversation, il a été question d’un objet de valeur que l’occupante de cette pièce devait cacher ici. Et tu es une petite fille cupide, mon ange… Tu t’es dit, comme ça, bêtement, que si tu pouvais mettre la main sur le magot, ça te ferait une dot.
Je fais sauter mon revolver dans ma main.
— Allons, parle ! Qu’ont dit les filles au téléphone ?
Elle murmure.
— La femme de cette chambre n’était pas une vraie femme.
Je souris.
— Tiens, tu as découvert cela toute seule ?
— Oui, la femme l’appelait Georges… et il avait une voix d’homme !
— Alors ?
— La demanderesse a dit : « C’est toi, Georges ? »
« Il a répondu oui. Alors elle a dit : « Tu as réussi ? »
« Et il a dit « oui », à nouveau…
« Elle s’est mise à pleurer et a dit : « Malheureusement, il est trop tard… ».
« Il y a eu un grand silence… L’homme a murmuré : « Bon, je sais alors ce qui me reste à faire… Je vous dis adieu… » Elle a crié « Non ! Non ! Pas ça !.. »
« Il y a eu un nouveau silence. L’homme a murmuré : « Vous comprenez bien qu’il n’existe pas d’autre issue ! »
« Il a ajouté : « En ce qui concerne ce que j’ai sur moi, je vais le cacher dans ma chambre ici. J’occupe le 214… Il est inutile de laisser échapper une telle fortune… Peut-être pourrez-vous le faire récupérer… »
« La femme n’a rien répondu, mais elle a raccroché brusquement et l’autre aussi…
C’est tout ce qu’elle a à me dire. Le reste, y a pas besoin d’être champion du monde de mots croisés pour le deviner.
La souris, en entendant ça, s’est dit qu’elle serait vraiment locdue d’affranchir le flic français. Une telle fortune ! avait dit l’occupant du 214 ! Elle a donc inventé cette histoire de langue étrangère.
— L’appel venait d’où ? je lui demande.
Elle me fait cette réponse qui me stupéfie plus que tout le reste :
— De Paris !
De Paris ! Tout a démarré de Paris et l’affaire m’y fait retourner…
Curieuse aventure que celle-ci.
La môme me considère du coin de l’œil. Elle ne sait plus que penser de mon attitude. Elle n’ose espérer…
Je rengaine mon feu et je lui prends la tête dans mes mains. Elle a les yeux froids et les traits durs de la plupart des Suissesses. Ses lèvres sont minces… C’est quelque chose dans le genre d’un glaçon, mais d’un glaçon qui aurait son contingent de formes.
Ah, ces rondeurs !
J’entreprends une caravane de reconnaissance à moi tout seul et je la paluche un peu. Elle ne dit rien.
Je pousse un peu mon avantage et je vois que ce glaçon ne demande qu’à fondre.
Je lui fais alors une gentille séance de mains à mains comme vous n’en verriez jamais dans les meilleurs music-halls.
Elle pousse des petits râles qui me fouettent les sangs. C’est drôlement agréable de faire une séance de dressage avec une panthère comme ma miss Téléphone.
Lorsque je l’abandonne, elle est étendue en travers du lit où quelques heures auparavant s’est suicidé le fameux Georges.
Elle est presque dans la même position, seulement elle est tout ce qu’il y a de vivante… Je viens d’en avoir la preuve.
Je me redresse.
— Ecoute, ma poulette, on se reverra peut-être un de ces quatre matins… Ce sera toujours avec le plus grand plaisir. Mais avant de tirer ma révérence je vais te donner un conseil : ne cherche jamais à doubler un policier français.
Je lui montre ma carte. Elle est absolument sidérée.
— Ils ne sont pas faciles à posséder, les gars de la grande taule, ma jolie, ne les prends pas trop pour des gardes champêtres.
J’éclate de rire et je la laisse à sa stupeur.
L’un des flics genevois de la nuit m’attend à l’aéroport. Il tient une grande enveloppe sous le bras.
— Voici les photographies, monsieur le commissaire, j’espère que vous les trouverez bonnes.
— Merci, vous êtes gentil.
Un haut-parleur appelle sur l’aire de départ les voyageurs pour Paris. Je serre la dextre du collègue et je me trotte.
J’étais parti les mains vides et je rentre vingt-quatre heures plus tard avec les photos d’un mort, une carte d’identité qui doit être fausse, le souvenir d’un bon moment passé avec une souris, un disque mystérieux qui a, paraît-il, de la valeur et, planté au milieu du crâne, le plus gigantesque point d’interrogation qu’on puisse imaginer.
CHAPITRE V
JE PRENDS OFFICIELLEMENT LES CHOSES EN MAIN. ELLES NE S’ÉCLAIRCISSENT PAS POUR AUTANT
Le chef écoute mon rapport sans broncher.
Au fond, ça n’est pas d’un rapport qu’il s’agit car j’ai agi de ma propre initiative et, dans cette affaire, je n’ai de comptes à rendre à personne.
Seulement ce truc qui, au départ, était une espèce de divertissement de flic en vacances, prend des proportions qui me dépassent.
Le chef, je vous ai souvent parlé de lui, est un grand mec entre deux âges, mais plus près du second que du premier. Il est grand, élégant, racé et chauve comme un flan à la vanille.
Il passe fréquemment sa main fine sur son massepain et ses yeux bleus se diluent dans l’infini.
Enfin il me regarde, semble prendre conscience de ma présence et sourit.
— San-Antonio, dit-il, je n’ai jamais vu un garçon comme vous. On dirait que les aventures les plus extraordinaires naissent sous vos pas.