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Que faire ? Tout ça est très compliqué… Si j’étais certain qu’Angelino ne tient pas à me voir bivouaquer ici, évidemment je resterais. Mais je ne suis certain de rien du tout. Si, d’une seule chose, c’est que s’il se produit un sale coup dans Paris aujourd’hui, ce ne sera pas au 112 du boulevard Rochechouart.

Mireille respecte ma méditation.

— Bon, décidé-je tout à coup ; je me fais la malle. Toi, ma tendre donzelle, tu vas suivre mes instructions à la lettre…

D’un coup sec j’arrache les fils téléphoniques.

— Tu vas rester ici jusqu’à nouvel ordre. Si quelqu’un sonne, n’ouvre pas, à moins que tu sois sûre qu’il s’agit d’Angelino ou de moi. Je suppose qu’Angelino a les clés, donc, en ce qui le concerne, pas de questions ; pour moi, je sonnerai sur l’air classique de ta tagadagada, vu ? Si tu te barres, ton signalement sera diffusé de partout et tu n’iras pas loin, je te ferai coffrer pour meurtre. Si, au contraire, tu suis ma consigne, je verrai à arranger cette histoire de balle perdue. Allez, tchao !

Je l’abandonne avec le cadavre de son jules. J’avoue que ce tête-à-tête manque d’agrément, mais il y a des circonstances où, dirait le grand boss, il faut oublier ses aspirations personnelles pour trela trela soin soin !

Je commence à avoir sérieusement soif, c’est la constatation que je suis obligé de faire en débouchant sur le boulevard. Et cette constatation est d’autant plus cruelle que, comme j’ai l’honneur de vous le dire, il y a un grand café juste à côté.

Après tout je puis bien m’octroyer un glass sur le pouce. J’entre dans le troquet.

— Donnez-moi un blanc !

Le garçon me demande si je le veux dans un petit verre ou bien dans un grand. Je lui réponds que s’il peut me le servir dans une lessiveuse, je serai ravi.

Il sourit. Et il a raison de se marrer parce que c’est la dernière fois que ça lui arrivera.

Dans la glace qui se trouve derrière lui, j’aperçois le mouvement de l’extérieur. Comme je suis un peu tendu, tout mon être est aux aguets. Voilà que j’aperçois une voiture en stationnement au bord du trottoir. C’est une très classique DS noire. Elle est conduite par un solide gaillard au chapeau mou rabattu sur l’œil. Derrière il y a un autre zigoto. Et ce zigoto, je suis prêt à vous parier une bonbonne de fluide glacial contre la crosse de l’archevêque de Paris, que c’est Mallox, mon brave Ricain de Mallox, celui à qui j’ai sonné le couvercle ce matin.

Ces messieurs auraient-ils l’intention de me filer ? Oui, sans doute.

Eh bien, je vais leur faire faire un gentil petit tour…

Le garçon me verse un grand verre de Pouilly. Je le bois, et, tandis que je lève le coude, je vois que les deux occupants de la traction se livrent chacun à une besogne différente. Le chauffeur met le moulin en marche, tandis que Mallox s’empare de quelque chose posé à ses côtés sur la banquette.

Ce quelque chose, c’est une mitraillette. Il la lève et la pointe dans ma direction. La seule chose qui nous sépare, c’est la grande vitre du bistrot. J’ai le dos tourné à l’arme. Comme mes épaules se posent un peu là et qu’il y a moins de trois mètres de lui à moi, on peut estimer — sans crainte de se tromper — que mon curriculum vitae va s’interrompre là. Sous ma théière, il se produit un drôle de turbin. Je sais que le temps de compter jusqu’à trois et il sera trop tard…

Que faire ?

Vite, vite !

Se jeter à plat ventre, il n’y faut pas songer… La vitre descend jusqu’au sol.

Tout ça n’a pas duré un millième de seconde sous mon crâne… J’ai aux lèvres le goût sucré de la frousse et un sifflement aigu traverse mes tympans.

Soudain je vois passer sur le trottoir un couple d’amoureux. Cela recule d’une ou deux secondes le moment où Mallox pourra tirer.

Je n’hésite pas. Tant pis, c’est ma seule chance. Je fais un terrible soubresaut et je plonge pardessus le comptoir.

La salve part comme prévu. La belle glace dégringole. Je sens comme une poignée de cailloux sur mes jambes. J’atterris de l’autre côté du zinc sur un régiment de bouteilles vides. La salve démolit la glace du fond qui m’a été si utile. Elle dégringole une série de bouteilles et perfore le percolateur. Et puis elle finit son demi-cercle en compostant le garçon qui s’abat sur moi en débitant du sang.

Joli travail…

Des gens gueulent. C’est la panique…

Je me penche sur le garçon, il est incroyablement mort. Pour lui, il n’y a plus que Borniol qui puisse quelque chose maintenant.

Je reluque mes guibolles. Mon bénard est déchiqueté. Il s’en est fallu d’un poil que j’aie les deux jambes réduites en bouillie.

Je m’en tire avec une dizaine d’entailles plus ou moins profondes dans les mollets. Heureusement, la rafale est passée un demi-centimètre trop haut. Si je n’avais esquissé ce saut de carpe, je bloquais tout dans le dos et c’était scié pour le fils unique — donc préféré — de Félicie, ma brave femme de mère.

Enfin, des gens se précipitent, faut croire que tout danger est écarté.

Je me lève en geignant. Ma guibolle est un tantinet ankylosée.

Je contourne le comptoir après avoir enjambé le corps du garçon.

Le gérant arrive, en smoking.

— Vous êtes blessé ? fait-il.

— Un peu, appelez un médecin.

Je tiens à ce qu’on m’arrête ce sang qui dégouline dans ma godasse.

— Et Albert ? s’inquiète le gérant.

Il doit s’agir du garçon.

— Il ne servira jamais plus de Cinzano, ajouté-je.

— Mon Dieu ! Quelle histoire ! C’est à vous que les gangsters en avaient ?

— Vous avez déjà vu des gangsters prendre pour cible des percolateurs, vous ?

Je lui montre ma carte.

— Procurez-moi un autre falzar, dis-je. Et donnez-moi l’annuaire du téléphone.

Décidément, l’annuaire des Postes est mon livre de chevet. Police-Secours radine. Je connais le brigadier qui commande la patrouille.

— Eloi ! je crie…

Il s’approche.

— Monsieur le commissaire ! C’est sur vous que…

— Oui…

Je lui fais signe d’approcher.

— Enlevez le cadavre et débarrassez le terrain, je tiens à ce que le secteur soit calme.

— Compris…

Le médecin se pointe. Il examine mes tiges et hoche la tête.

— Vous avez eu de la chance, apprécie-t-il.

— Je sais, dis-je.

Il nettoie mes petites plaies et me fait une piqûre.

— Deux jours de repos et ce ne sera plus rien… Vous pouvez prendre deux jours de repos ?

— Oui, dis-je, mais au mois de juillet.

Il hausse les épaules.

— C’est votre affaire.

Il me colle un double pansement carabiné qui me donne l’impression d’avoir deux plantes grimpantes à la place de mes jambes.

Le gérant radine avec une théorie de falzars qu’il a dégauchis je ne sais pas où.

Je me trisse dans les toilettes pour procéder à l’essayage. L’un d’eux me va potablement. Il a un fond d’une couleur étrangère à celle du tissu de base, mais je n’ai pas le temps — ni le cœur — à jouer les Brummell.

Non…

Angelino veut faire le méchant, il abat son jeu parce que le temps presse. C’était bien pour arranger ce guet-apens qu’il m’a téléphoné tout à l’heure. Il voulait vérifier que c’était bien moi qui opérais dans son appartement. Si c’était moi, cela prouvait que j’étais sur la bonne piste, donc que je devenais dangereux.

Il a voulu mettre un terme à mes fouinasseries.

Méthode Chicago…

Seulement, il y a une chose contre laquelle tous les gangsters de la planète ne peuvent rien, c’est ma chance. Jusqu’ici j’ai le vase.