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J’ai aussi des réflexes à la hauteur, et ça, ça aide, comme dit l’autre.

La preuve, je suis encore là, tandis que tous les bourdilles de Paris traquent la traction noire…

Il va faire un sale pif, Angelino, quand il apprendra que son sulfateur diplômé de la faculté de Sing-Sing n’a réussi à démolir qu’un barman et un percolateur…

Moi je vais profiter de la confusion pour pousser un peu plus mon avantage.

L’annuaire vient de m’apprendre que Verdurier habite rue des Eaux, à Passy.

Là-bas il y a de l’urgent pour Angelino, puisqu’on demandait à ce qu’il sonne au plutôt. Et Angelino n’est pas au courant de cet appel puisque je l’ai intercepté.

Ça fait plaisir de trouver une piste fraîche…

Boudiné dans mon pantalon trop étroit, j’entre dans la cabine téléphonique et je fais le numéro du vieux.

— San-Antonio !

C’est sa bouée, à ce cher homme.

— Oui.

— Du nouveau ?

Il a des mots qui prêtent à rire, le boss. Du nouveau ! Y a de quoi s’arracher l’intestin grêle et se le transformer en lanterne japonaise.

— Si, murmuré-je. Mais ce serait trop long à vous raconter ici. Je crois que je tiens un os. Angelino commence à me trouver un peu trop curieux et il vient de m’octroyer une rafale de mitraillette par personne interposée.

— De la casse ?

— Du matériel de bistrot, le barman y compris. Pour moi ça va… Je vais en ce moment faire un tour chez un certain Verdurier, rue des Eaux, 12. Vous me rendriez service en passant un coup de fil chez lui d’ici trois petits quarts d’heure… Vous direz simplement : « Vous m’avez appelé ? » d’un ton bourru, avec un soupçon d’accent italien.

Je lui imite la voix d’Angelino, et il l’imite à son tour très honnêtement.

— Ça collera, je fais. Soyez laconique. Je ne sais ce que ce bonhomme veut dire à Angelino, mais ayez l’air au courant, parlez sec mais d’une façon assez évasive pour qu’il ne soit pas surpris. Il est vraisemblable qu’il vous parlera de moi. Je ne sais encore en qualité de quoi je me présenterai chez lui, tout dépendra de l’atmosphère et de la gueule qu’il a. Dites que vous êtes au courant et qu’il n’a qu’à faire ce que je lui dirai.

— Parfait, admet le boss.

Il toussote.

— C’est tout ?

— Attendez, vous parlez italien ?

— Oui.

— Merveilleux. Pendant que vous téléphonerez, interrompez-vous une ou deux fois pour dire quelque chose en italien à une nommée Alda. Vous saisissez, ça fera plus vraisemblable.

Le grand patron sort une tirade à voix feutrée, en pur rital.

— Parfait. Je pense que ça marchera…

— Avec vous, peut-il en être autrement ?

— Ni fleurs ni couronnes, je ronchonne.

Je raccroche.

Il y a une masse compacte de badauds devant l’établissement. Ces mecs-là ont soif de sensations fortes.

Ils attendent quoi ? Qu’on leur fasse un nouveau Pearl Harbor ?

— Dites donc, je demande au gérant, il doit bien y avoir une issue discrète, non ?

— Oui.

Il me guide à travers les communs jusqu’à une porte qui donne de la cuisine sur la rue.

Un taxi en maraude passe justement par là.

Je le hèle.

Il vaut mieux laisser ma voiture tranquille pour le moment.

CHAPITRE XVI

SURPRISE

Un luxueux immeuble en pierre de taille. Du tapis rouge dans les escadrins avec des tringles dorées comme au Carlton, Verdurier pioge au quatrième. Je m’offre une tournée d’ascenseur pour reposer mes flûtes avariées et je m’explique avec le bouton de sonnette.

Un type étrange vient m’ouvrir.

Il est grand, très maigre, avec l’air tubard ou je ne sais pas quoi. Il a un visage tout ridé, au nez crochu, aux yeux bleuâtres, et ses crins sont taillés en brosse.

— Vous désirez ? demande-t-il.

— M. Verdurier ?

— Oui, c’est moi… Je viens de la part du patron…

— Quel patron ?

J’ai l’impression de marcher sur une planche savonnée avec des patins à roulettes aux pieds.

Au moindre faux pas il peut m’arriver des ennuis.

Je rigole pour gagner du temps.

— Allons, je lui fais, ne me faites pas marcher… Je veux parler du mari d’Alda…

Son visage reste crispé un instant, puis il se décide :

— Entrez…

J’entre. L’appartement est à l’unisson : de la moquette épaisse comme une pelouse des Tuileries, des meubles cossus, des potiches grosses comme une cabine téléphonique… Il pousse une porte vitrée et me fait pénétrer dans un minuscule salon meublé en Louis quelque chose.

— J’attends vos explications, me dit-il.

— Y a pas d’explications, fais-je avec une certaine hauteur. Je quitte Ange… enfin, le patron à l’instant. Il me dit : « Va chez Verdurier, rue des Eaux. Il m’a appelé. J’ai pas le temps de lui téléphoner maintenant… (Il était dans sa bagnole, j’explique.) Mais je me doute de ce qu’il veut. Je vais lui passer un coup de tube tout à l’heure, pour le moment j’ai mieux à faire… »

Je cligne de l’œil.

— Pour avoir autre chose à faire, hein ?

Il reste imperturbable.

J’ai dans l’idée qu’il ne mord pas très franchement à l’hameçon que je brandis sous son blair. Il est comme ces poissons qui suçotent l’asticot avant de l’avaler.

— Qui êtes-vous ? me demande-t-il brutalement. Je ne vous ai jamais vu…

— Rien d’étonnant, fais-je, je débarque d’hier. Vous avez lu le canard ? Le Liberté s’est pointé au Havre hier. Eh ben j’y étais… Lorsque Angelino a quitté les U.S.A., il m’a dit : « Si t’as envie de changer d’air un de ces quatre, amène ton lard à Pantruche. C’est un bled où les gars marles peuvent se faire une situation… » Sur le moment j’y avais pas trop pris garde. Mon truc de racket fonctionnait aux petits pois. Puis j’ai eu un coup dur… Un poulet ! C’est moche. Ç’aurait été n’importe qui d’autre, ça s’arrange. Mais un poulet, c’est pire que tout ; si on y touche, on se fait fricasser…

Il interrompt mon bavardage :

— Vous êtes français ?

— Et comment : Bercy ! Seulement, ça fait un bail que j’étais parti chez les Ricains. Vous avez entendu causer de Mick le Borgne ?

Il me dit que non. Et j’en suis à peine surpris car moi non plus je n’ai jamais entendu parler d’un type répondant à ce surnom.

— C’est avec lui que je suis allé là-bas. Il était sicilien. Vous connaissez la Maffia ? Là-bas il a fait son trou et, comme on était aussi potes que les deux doigts que voilà, j’ai réussi ma pelote itou…

A force de parler, j’ai le gosier sec. Ma parole, qu’est-ce qu’il attend, le grand boss, pour le balancer, son appel téléphonique ? Les trois quarts d’heure doivent être écoulés.

— Bref, vous travaillez avec…

— Oui, dis-je, depuis ce matin, c’est du neuf, hé ?

J’entends le tintement grêle d’une sonnerie. Bon Dieu, elle tombe à pic…

Le Verdurier se lève.

— Excusez, grogne-t-il.

Et il se carapate dans la pièce voisine, laquelle doit être un bureau.

Il ferme la porte. Mais j’ai l’ouïe en radar. Quand je me concentre, j’entendrais une mouche s’essuyer les pattes sur du velours.

Il jette un « oui » très sec. Sec comme lui.

Puis, aussitôt après, il dit, d’une voix radoucie : « Ah bon… » A plusieurs reprises il émet des : « Oui… Oui… Oui… »

— C’est au sujet de la fille, fait-il. Elle a repris connaissance… Je voulais savoir si je dois l’interroger seul ou bien vous attendre…