— Parfait.
— …
— Entendu… Bon…
Et il raccroche.
Je le vois rappliquer, le visage détendu.
— C’était le chef, murmure-t-il.
Je me compose une figure satisfaite.
— O.K. Il vous a affranchi sur mon compte ?
Il a un mouvement affirmatif.
— Parfait.
Je dis presque innocemment :
— On va s’occuper de la gerce, alors ?
— Oui, suivez-moi.
Il semble rassuré. Son attitude s’est totalement modifiée. Sans être à proprement parler cordiale, elle est du moins polie.
Il m’entraîne dans un dédale de pièces jusqu’à une chambre à coucher exiguë, située au fond du couloir. Pour pénétrer dans cette pièce, il sort une clé de sa poche, car la lourde est hermétiquement bouclée.
Nous entrons. La petite piaule ne comprend qu’un lit de cuivre. Et dans ce lit je vois ma pauvre petite môme de Versailles.
Elle a changé depuis cette nuit. Elle a le visage exsangue, le teint cireux, le nez pincé, les yeux mi-clos…
A travers ses longs cils, je découvre un pauvre regard fiévreux et faible, mais conscient.
En m’apercevant elle ouvre un peu plus les yeux. Ses lèvres remuent.
Je mets un doigt sur mes lèvres.
Elle n’est pas au courant de ce qui lui est arrivé, la pauvre petite Claude, j’entends depuis son opération. Elle ne peut savoir qu’elle a été enlevée par ces foies-blancs. Si elle peut jacter elle va m’appeler par mon nom ; ce serait la fin des haricots.
Verdurier s’incline au-dessus d’elle.
— Vous vous sentez mieux ? demande-t-il.
Elle bat des paupières affirmativement.
— Allons, mon petit, ça ne sera rien, poursuit-il.
J’ai pigé sa tactique. Afin de la mettre en confiance, il lui laisse croire qu’elle est dans une clinique et il joue au médecin-chef comme dans « l’Hirondelle du Faubourg ».
— Voulez-vous parler ? demande le grand sec.
Elle fait un effort et exhale dans un souffle :
— Oui.
— Parfait, parfait, murmure Verdurier. Alors vous allez pouvoir répondre aux questions que va vous poser ce policier ?
Je sursaute, mais, quand je découvre qu’il est de bonne foi et qu’il me donne ce titre, croyant bluffer la gosse, j’ai sérieusement envie de me gondoler, malgré la gravité de l’heure.
Je m’approche.
— Je suis commissaire de police, dis-je avec un nouveau clin d’yeux à son adresse. Pouvez-vous me dire plusieurs choses : par exemple, savez-vous qui vous a tiré dessus ?
Elle fait un geste négatif.
Cette question n’a pas l’air de plaire à Verdurier. Il m’écarte d’un mouvement autoritaire.
— Connaissiez-vous l’homme qui était avec vous ?
Elle le regarde, puis, très lentement, ses yeux se tournent vers moi.
Pour la première fois depuis notre entrée, on y décèle de la surprise…
— Commissaire, souffle-t-elle.
— Oui, le commissaire San-Antonio, fait le grand type maigre, nous savons. Vous lui avez parlé du buste, n’est-ce pas ?
Elle ne répond rien. Cet interrogatoire doit lui sembler inexplicable, étant donné ma présence.
— Répondez ! fait sèchement Verdurier.
Elle murmure « oui ».
Il fait claquer ses doigts avec agacement.
— C’est tout ce que vous lui avez dit ?
— Oui…
— Lui avez-vous révélé autre chose au sujet de ce buste ?
Elle secoue la tête.
— Non.
— Pourtant, le commissaire a déclaré qu’il avait une information sensationnelle. Sensationnelle ! Vous entendez ?
Elle semble sur le point de défaillir.
— Rien dit, murmure-t-elle.
Et elle tourne de l’œil proprement.
— Elle ne tient pas le choc, fais-je. On y reviendra…
— Inutile, décrète Verdurier. Elle n’a pas dû parler, et elle n’a pas parlé pour la bonne raison qu’elle ne sait rien de plus. Du moins n’a-t-elle pas réalisé l’importance du détail… Maintenant il faut nous débarrasser de cette fille…
Un mec qui nage, qui nage comme un poisson champion de sa catégorie, c’est le zig San-Antonio.
Maintenant, je sais pourquoi on a enlevé Claude de l’hosto : on voulait se rendre compte de ce qu’elle m’a dit avant qu’on ne la descende. Ça ne les trouble pas outre mesure qu’elle m’ait parlé ; ce qui les tracasse, c’est un certain détail dont elle aurait pu m’entretenir relativement à ce buste, détail qui doit être diablement important. Mais il faut croire que Claude n’a pas réalisé l’importance dudit détail, ce qui est surprenant.
Le goudron continue à ruisseler sur cette affaire avec le débit du Niagara un jour de crue.
Nous sortons de la chambre.
— Voilà ce que nous allons faire, me dit Verdurier. Nous allons achever cette fille et la mettre dans une grande corbeille d’osier. Je vous aiderai à la descendre et vous vous en arrangerez…
Je ne suis pas chaud pour souscrire à ce programme. Inutile de vous le préciser, n’est-ce pas ?
Je fronce le sourcil et je biche mon attitude la plus Terreur de Chicago.
— J’aime pas beaucoup véhiculer les macchabés dans des paniers. J’aime mieux descendre la souris dans les brandillons comme si elle était tombée en digue-digue et aller la balancer au tas ainsi…
— C’est ça, ricane le grand maigre, pour que les voisins la repèrent, ou bien les passants… Sans parler de la concierge…
— Comment l’avez-vous rentrée, ce matin ?
— Corbeille…
— Ah oui ! C’est une manie ?
Je me dis que la pauvre gosse doit être bigrement solide pour avoir résisté à ce coltinage en corbeille d’osier après une opération comme elle en a subi une.
Les choses vont se gâter, car je suis obligé de faire le méchant pour sauver la mise à Claude.
Voilà qu’une nouvelle sonnerie téléphonique retentit. Verdurier retourne à son bureau. Je voudrais bien le suivre, mais c’est trop risquer. Il reste fort peu de temps parti. Je tripote la crosse de mon pétard en l’attendant, car, si jamais par malchance cAngelino qui lui parle, ce qui va se passer ne sera pas racontable…
Lorsqu’il revient il est très calme.
— On a toujours des ennuis avec les femmes, bougonne-t-il.
D’où je conclus qu’il vient d’avoir un patacaisse soi-soi avec sa gerce.
Me voici rassuré.
— Alors, me dit-il, vous voulez vraiment la coltiner à bras ?
— Je préférerais, oui.
— N’oubliez pas que son signalement est donné. C’est risquer gros, je ne crois pas que le chef serait d’accord.
Il me sourit.
Curieux comme il est revenu à de bons sentiments, soudain. Il y a moins de deux minutes, il me parlait avec autorité, et brusquement il devient sirupeux comme de la grenadine. Ma surprise n’a pas le temps de se développer davantage. Verdurier sort de la poche intérieure de sa veste une matraque en plomb gainée de cuir et m’en distribue un coup sur le cocotier. J’essaie de parer du bras, mais mon geste arrive trop tard.
Je pique une tête dans la piscine aux anges.
CHAPITRE XVII
DES MOTS
J’en ai pris un bon coup sur la tabatière car lorsque mon entendement revient, il y a plusieurs personnes autour de moi.
Je ne les vois pas, car je n’ai pas la force d’ouvrir les yeux, mais je les sens grouiller autour de mon visage.
Des pieds… Des jambes…
— Et alors, fait la voix de Verdurier, j’ai reçu un coup de fil d’un type qui a prétendu être le patron. Il avait l’accent… Enfin, sa voix… Il s’est interrompu pour dire un mot en italien à une certaine Alda… Il a dit : « Mon petit copain n’est pas chez vous ? » Je lui ai répondu que si.