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Je toussote et j’y vais au bluff :

— Ruti, quand tu t’es pointé avec ton pote ici absent (et, ce disant, je désigne le cadavre du menton), tu n’as pas aperçu des bonshommes à l’air innocent dans la rue ?

Qu’est-ce que je risque, je vous le demande. Des bonshommes à l’air innocent, on en rencontre tellement qu’on est obligé de faire des zigzags pour pas buter dedans.

C’est moi qui lui pose la question, mais c’est à Verdurier qu’il répond :

— Si… C’est vrai…

Il tourne bride et galope comme un perdu…

Je devine qu’il va se précipiter à l’une des fenêtres donnant sur la rue.

De fait, trois minutes plus tard il rapplique, tout pâlot, en respirant du nez.

Verdurier semble gagné par l’inquiétude.

Il fait un petit mouvement du menton qui signifie : « Alors ? »

— Y a un mec, juste en face, avec un journal dans les mains…, balbutie Ruti.

— Et alors, gronde Verdurier, qu’est-ce que ça a de rare un bonhomme qui lit le journal.

Le Rital a la glotte qui joue au yo-yo…

— Je crois bien que je le connais, dit-il.

Je sursaute…

— C’est le mec qui était à la porte ce matin, tandis qu’Angelino discutait avec San-Antonio…

Je pense : Ravier !

Bon Dieu, j’aurais dû me douter que le patron prendrait « mes » précautions. Il a envoyé Ravier aux nouvelles avant de téléphoner à Verdurier. Il ne veut plus risquer de me voir disparaître…

J’éclate de rire.

— Alors, mes canards, vous êtes convaincus, maintenant ?

Ils sont partagés entre la rage et la frousse. Il y a une dominance de rage chez Verdurier et de frousse chez Ruti.

Faut que je frappe un grand coup.

— Parlons net, je fais. Voilà assez longtemps qu’Angelino fait parler de lui. Il a dépassé la mesure. Il voit trop grand maintenant et ça indispose de grosses légumes qui ont décidé d’avoir sa peau… Une planche pourrie, voilà ce que c’est maintenant qu’Angelino, et vous aurez beau dire, une planche pourrie, c’est le dernier truc à quoi s’accrocher lorsqu’on va faire la culbute… Nous sommes au courant de beaucoup de choses, et encore mes chefs en savent plus long que moi. Ce qu’ils pourraient dire des projets de l’Italien ne tiendrait pas sur la place de la Concorde. Saint-Lazare, le buste, tout ça c’est de la rigolade…

J’ouvre ici une parenthèse, histoire de souligner à quel point le bonhomme est gonflé. Je n’ai entendu parler d’un coup à Saint-Lazare qu’à travers les fumées de mon demi-coma et voilà que j’en parle avec assurance comme si j’étais le promoteur de l’histoire…

Eux, ça leur file un coup d’accélérateur dans le trouillomètre. Ruti tourne au vert pomme. Verdurier crispe ses mâchoires de squelette mal nourri.

— Bref, je poursuis, Angelino est cuit comme une rave. Il va se faire arquincher d’ici très peu de temps. Lui et tous ses pieds nickelés. A ce moment-là, ce sera la grande java, les petits, et ça chauffera pour votre matricule, je vous le dis. Y aura sûrement de la casse… Tant pis pour ceux qui essayeront de ruer dans les brancards…

— Ah oui ! gouaille encore Verdurier.

— Faites confiance.

Un petit silence, pour leur laisser le temps d’assimiler. Verdurier avait raison lorsqu’il disait qu’il faut faire manœuvrer l’imagination des gens. Ça leur fait du deux mille tours seconde.

Il est temps, maintenant, de changer de ton :

— Votre situation, à vous, grâce à un concours de circonstances, est privilégiée…

— Pourquoi ? demande Ruti.

— Parce que, je lui dis, vous êtes les seuls de l’équipe à pouvoir tirer vos pieds de la gadoue.

— Ça va, s’écrie Verdurier, avec ses salades, il va essayer de te doubler !

Je continue, sans me laisser démonter par cette interruption :

— Si vous me libérez et me laissez embarquer la petite, on vous ignorera, parole d’homme !

— Parole de flic, oui ! fait le grand sec.

— La ferme ! je gronde. Jusqu’ici on n’a rien de terrible à porter à votre compte. Je ferme les yeux sur la séance de tout à l’heure et on ne parlera même pas de la rue des Eaux dans les rapports…

— C’est votre semaine de bonté ? demande Verdurier.

Il se tourne vers Ruti et lui dit :

— Sans blague ! Tu ne vas pas prendre pour argent comptant ses belles paroles… T’en as déjà vu, toi, des flics qui laissent s’envoler des gars qui lui ont placé un œuf de Pâques pareil sur la tirelire ?

J’interviens :

— J’ai dit qu’on jouait cartes sur table. Les gars, je ne suis pas fiérot de la façon dont j’ai démoli votre copain bien que j’aie été en archi-état de légitime défense, c’est pas que je risque de me faire taper sur les doigts car, dans notre job, tous les coups sont bons, seulement ça ne ferait pas riche tout de même. Alors on s’ignore, si c’est d’accord…

— Tu marches, toi ? demande Ruti à Verdurier.

Ce dernier, chose curieuse, au fur et à mesure que je parlais et trouvais des choses de poids, récupérait. A ses yeux, je vois qu’il ne faut pas compter l’avoir au flan.

— Non, dit-il, c’est un beau parleur et c’est tout. Moi j’ai décidé de jouer la carte Angelino et je la jouerai jusqu’au bout…

Il sort.

— Où que tu vas ? implore Ruti.

— Essayer de joindre Angelino, il trouvera bien le moyen de tous nous sortir du pétrin, lui, t’en fais pas…

Ruti semble indécis.

— Allez, fais-je, trêve de balivernes, ôte-moi ces ficelles, j’en ai ma classe de jouer au saucisson.

— Non, fait-il, des clous, Verdu a raison, je peux pas me déboutonner au moment où ça se complique. Angelino est un fortiche, il a doublé plus de flics que tu n’as arrêté de gangsters.

Il réprime un léger frisson.

— Et, en tout cas, si je lui faisais de l’arnaque, je n’irais pas loin…

C’était bien mon avis aussi. Allons, mon espoir tourne court.

— Tu regretteras de n’avoir pas marché avec moi, Ruti…

— Possible, fait-il.

Il s’apprête à rejoindre Verdurier.

— Hé ! lui dis-je, un bon mouvement : passe-moi au moins une pipe…

C’est, pour lui, une façon comme une autre d’apaiser son inquiétude. Il m’allume une cigarette et me la glisse dans le bec.

Puis il sort en haussant les épaules.

Si la sèche qu’il vient de m’offrir n’était pas une Pall-Mall, mon petit truc ne réussirait pas. Seulement c’en est une, donc il s’agit d’une pipe mesurant un bon centimètre de plus qu’une cigarette ordinaire et c’est de ce centimètre-là que j’ai besoin.

En avançant les lèvres le plus possible et en me courbant aussi bas que mes liens me le permettent, j’arrive à poser l’extrémité incandescente de la cigarette sur un coin du cordon emprisonnant mes mains.

Ça commence à fumer. Une odeur de roussi se répand dans la salle de bains. Je jubile déjà lorsque, crac ! la cigarette me tombe du bec. Elle roule sur mes genoux puis glisse sur le carrelage.

C’est pas de pot ! Au moment où ça s’annonçait bien !

Je tire de toutes mes forces sur mes liens, et j’ai la joie de constater que le cordon s’effiloche à l’endroit de la brûlure. Je renouvelle mes efforts et le cordon cède. Je me masse les poignets. Ouf, ça va mieux…

Je délie les liens qui me maintiennent le buste au dossier. Par exemple, lorsque j’arrive aux pieds, je m’aperçois que je suis bourru, car la ligature est derrière la chaise et je n’ai pas de couteau pour trancher la corde. Je n’ai pas non plus d’allumettes.