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J’avise le corps du bigleux, de plus en plus immobile à mes pieds. Je me penche sur lui et je le fouille consciencieusement. Je trouve son revolver. Dans mon cas, il vaut mieux trouver un Walter 7,65 qu’une pépite géante.

Juste comme je m’en empare, voilà mes pieds-plats qui réapparaissent.

Je sais qu’il faut faire vite. La réussite appartient à ceux qui appuient les premiers sur la détente.

Je m’offre celui qui est le mieux à main, c’est-à-dire Ruti.

Il prend la balle dans le ventre et se casse en deux. Il gueule comme jamais un humain n’a gueulé avant lui. Verdurier, lui, a tout compris d’un coup d’œil. Rapidement il a fait un saut en arrière si bien que la dragée que je lui destinais enlève seulement un morceau de plâtras gros comme une tortue.

Il faut que je me dépatouille de mes dernières entraves, et prompto, because ça va chauffer.

Alors, aux grands maux les grands remèdes. Je place l’orifice du canon contre le cordon et je presse la détente.

La balle tranche net l’attache et écaille un carreau.

Me voici libre… de bouger.

C’est pas le salut, mais c’est mieux que rien.

Le grand bouzin va commencer. Prière de numéroter ses côtelettes pour plus de prudence.

Je ne perçois pas le moindre bruit. Nulle trace de l’existence de Verdurier. De deux choses l’une : ou bien il a profité de la confusion pour se prendre par la main et s’emmener promener, ou bien il est allé chercher une arme dans son bureau et, embusqué derrière une console, il attend que je me montre pour m’envoyer dans la terre glaise.

D’après ce que je connais maintenant du zigoto, je serais plutôt enclin à considérer comme la plus valable la deuxième hypothèse…

J’ouvre la crosse de mon arme afin de vérifier le chargeur. Il ne reste que deux balles dans le magasin.

Je fouille le cadavre de Ruti, mais je ne sais pas s’il a accroché son flingue à la patère en entrant, toujours est-il qu’il n’a sur lui qu’un ya à cran d’arrêt.

J’ai jamais aimé les cure-dents, néanmoins j’empoche celui-ci, car, comme dit un de mes amis, dans la conjoncture présente, il ne faut pas faire la fine bouche.

Maintenant, que je vous rencarde sur la topographie de l’appartement, afin que votre petite cervelle d’écureuil puisse piger la suite.

La salle de bains où ces gnafs m’ont transbahuté se trouve au fond d’un court vestibule qui donne sur le hall. Si Verdurier est toujours dans la taule, j’ai tout à redouter. Car lui sait que je me trouve au fond de ce terrier en cul-de-sac, tandis que j’ignore, moi, son emplacement. Il n’a donc qu’à attendre que je débouche dans le hall pour me canarder.

De plus, je n’ai que deux balles alors que lui doit avoir, très certainement, une vraie panoplie à sa disposition.

Pour commencer, je me mets à plat ventre et je rampe en direction du hall.

Parvenu à l’angle, je m’arrête… Tout est silencieux, je ne perçois pas le moindre bruit…

Que faire ?

J’attends ainsi, deux minutes, en réprimant ma respiration. Puis, comme je ne suis pas le type à attendre que des champignons lui poussent sous les pieds, j’ôte délicatement une godasse et je la glisse légèrement en avant, de façon à ce qu’elle apparaisse dans le hall.

Rien ne bouge. Si Verdurier est toujours là, il sait maîtriser ses nerfs, le mec !

Je passerais bien vivement ma tête histoire de voir où nous en sommes, mais, ce faisant, j’ai peur de bloquer un atout dans les badigoinces. Alors, il me vient une autre idée… Je retourne à reculons dans la salle de bains. Je relève le corps de Ruti et je me le plaque contre la poitrine. Je le porte contre moi, en passant mes bras en boucle sous ses bras.

Je reviens vers le hall, ahanant sous le poids de cet étrange bouclier.

Puis j’avance en terrain découvert.

Deux balles claquent, sèches, brèves !

La première pénètre dans la poitrine de Ruti, m’égratignant le dos de la main, la seconde passe au-dessus de nos têtes.

Compris, cette fois. Verdurier est à gauche. Ça n’est pas marle de sa part car la porte de sortie se trouve à droite. Il a dû choisir ce côté du hall car il s’y trouve, je m’en souviens, un meuble derrière lequel il a dû se tapir.

Donc, je peux lui couper la retraite…

Juste en face de mon étroit vestibule se trouve la salle à manger, aux portes vitrées de petits carreaux. Et, dans l’axe de ces portes vitrées, la fenêtre donnant sur la rue… Cette rue où le père Ravier promène sa grande gueule derrière un France-Soir qu’il fait semblant de lire.

Il n’a pas dû percevoir les coups de feu. Personne, du reste, ne paraît les avoir entendus, et le fait s’explique, car ils ont été tirés dans les couloirs de l’appartement, ce qui feutre considérablement les bruits. Par ailleurs, le métro, qui devient aérien à la station Passy, roule à moins de vingt mètres, ce qui constitue un fond sonore absorbant tous les autres bruits plus modestes.

Il y a enfin un feu rouge, à l’angle de la rue et du quai, et les pétarades des bagnoles stoppées qui redémarrent ne sont pas rares…

Je vise soigneusement la fenêtre, à travers l’un des carreaux des portes, en prenant bien soin que ma balle ne soit pas stoppée ou déviée par l’un des montants de bois.

Je tire !

Ma doué ! On dirait que deux chiens enragés se filent une avoinée chez un marchand de verrerie. Les petits astucieux de noces et banquets qui vont acheter la blague du carreau brisé chez les marchands de farces-attrapes ne peuvent obtenir de meilleurs résultats.

Ce bruit de vitre pulvérisée me plonge dans le ravissement.

— Vous avez entendu, Verdurier ? je crie. J’ai gagné la pipe en terre ! Dans quatre minutes mes collègues seront tous ici, au grand complet, et ce qu’ils vous mettront dans le portrait en guise de châtaignes ne sera pas racontable.

Il grommelle quelque chose d’indistinct, mais que je soupçonne ne pas être gentil pour moi.

Et alors, mon sixième sens se met à vibrer fortement. Je sens qu’un truc inattendu va se produire.

Et il se produit.

Ça a débuté par un glissement : Verdurier a rampé dans ma direction. Puis un petit quelque chose passe par-dessus ma tronche. Le petit quelque chose tombe à un mètre de moi. Je regarde et mes cheveux se mettent en tire-bouchon comme si on leur jouait le Beau Danube Bleu.

Le petit quelque chose, c’est une grenade.

Je vous raconte les choses bien posément, mais je vous jure que je les développe instantanément dans mon photomaton portable.

Si je reste deux secondes ici, la grenade explose et vous trouvez la bonne viande de San-Antonio étalée par terre en petits morceaux pas plus gros que des grains de caviar… Ou alors je m’évacue du vestibule, et le Verdurier de mes choses s’en donnera à cœur joie.

On n’échappe pas à une grenade lorsqu’elle éclate sous vos fesses… Mais on peut ne pas basculer quand un mec vous tire dessus avec un pistolet.

Je me rue hors du vestibule comme un garenne traqué par un furet.

Faites chauffer la colle !

Les coudes au corps ! Comme il fallait s’y attendre, Verdurier fait fonctionner sa crémerie.

Seulement, il y a une chose qu’il n’a pas prévue — on ne peut jamais tout prévoir — sa grenade explose et les morcifs voltigent un peu partout dans un nuage de fumée noire. Cette explosion ôte toute efficacité au tir du gars. Déjà je suis dans la salle à manger…

Celle-ci possède deux portes : une à chaque extrémité… Je cours à l’autre et, par un brusque renversement de la situation, je prends Verdurier à revers.