— Non, fait son copain, par ici la bonne soupe !
Et il m’oblige à monter les étages.
Angelino est bien le gars organisé que je croyais.
Il s’est choisi un immeuble aux pommes. On grimpe tous les étages, on pousse une petite porte conduisant au grenier, puis, là-haut, on suit un étroit couloir.
Tout au fond, nous pénétrons dans une chambre de bonne. Une fois que la porte en est refermée, Mallox déplace un meuble, dévoilant ainsi une étroite ouverture qui fait communiquer la petite pièce avec une autre chambre de bonne située dans l’immeuble voisin…
A nouveau, nous arpentons des couloirs. Puis on redescend deux étages. Une porte s’ouvre sans que nous ayons à en actionner la sonnette. C’est la jolie Mireille qui vient ouvrir…
Elle a un sourire fielleux en m’apercevant.
— Saleté de flicaille ! me crache-t-elle au visage.
— Enchanté, je fais, moi c’est San-Antonio…
Mallox me flanque un coup de genou dans le pétrousquin, ce qui a toujours obligé la victime de cette facétie à presser l’allure.
Mireille nous guide au fond de l’appartement.
Je débarque dans un de ces salons bourgeois dont Angelino raffole. Et il est là, paisible, débraillé, avec la mère Alda dans un fauteuil, qui tricote comme si elle était aux pièces, avec une bouteille de chianti à portée de la main ; avec sur toute sa bouille grasse cet air de vieille canaille cordiale et sans ambition.
— Ah ! soupire-t-il, voilà mon grand ennemi intime… Comment allez-vous, commissaire ?
— Bien, mais vous n’y êtes pour rien, assuré-je.
Il a un gros rire d’homme heureux.
— Toujours plein d’allégresse…
Et à Alda :
— Je te jure qu’il me plaît, ce type… Il en a dans le ventre et dans le crâne…
Alda arrête une demi-seconde ses aiguilles…
— Oui, c’est dommage, murmure-t-elle.
Je ne sais pas à quoi s’applique cette exclamation de regret. Qu’est-ce qui est dommage : que je sois de l’autre bout ou bien que je disparaisse, car, cette fois, je pense que mes chances sont faiblardes…
— Quoi de neuf ? demande Angelino.
— Des morts, lui dis-je. Des morts… Des morts… Je suis une espèce de nécropole ambulante…
— Vous n’avez rien à me dire, avant de… avant que nous prenions congé…
— Peu de choses, fais-je, mais vous, vous pouvez éclairer ma lanterne avant que… Avant que nous prenions congé…
— Vraiment ?
— Pour quoi faire, ce buste de plastic, au Louvre ?
— Vous agissez vite, fait-il. Bigre…
Il est sympa, ce bonhomme, au fond… Un besoin de jacter me prend, je lui dis en détail tout ce que je sais de l’affaire, je lui raconte comment tout s’est passé, toutes mes fausses et mes bonnes manœuvres…
— Commissaire, dit-il, cette enquête aura été, pour vous, l’enquête des coïncidences…
— Expliquez-vous…
— Eh bien, voilà : c’est une coïncidence une fois de plus si le buste se trouve sous la salle des pierres précieuses. Il n’a rien à voir avec l’affaire de la collection Vool… Il ne devait… agir… que la semaine prochaine. Vous savez qu’un homme d’Etat étranger vient en France en visite officielle. Il désire visiter le Louvre, tout particulièrement les sculptures… Je dois toucher la forte somme si… Dommage que mon histoire de buste soit grillée, il va falloir trouver autre chose… Ça va être coton à mettre au point maintenant, d’autant plus que je n’ai plus beaucoup de personnel sous la main, depuis que vous vous êtes mis en travers de ma route…
— Merci, murmuré-je. Franchement j’ai été heureux de me bagarrer contre vous, Angelino… Et je voudrais vous demander une faveur… Si je dois disparaître ici, je voudrais que ce soit de votre main…
Il y a une sorte de tendresse cruelle dans ses petits yeux de cochon frileux. Son tempérament latin, amoureux du panache, reprend le dessus…
— Entendu, dit-il.
« Mallox ! Passe ton feu… »
Mallox s’avance et tend son arme, poliment, en la tenant par le canon. Comme l’autre, le chauffeur a remisé la sienne, je décide que je dois y aller encore de mon numéro. Jamais passé vingt-quatre heures aussi chargées ! Le spectacle est permanent…
Je plonge… Mes détentes ! Ce sera leur fin aux gangsters dont je m’occupe du destin.
J’arrache l’arme comme un joueur de rugby arrache le ballon des bras de son adversaire.
Il ne s’agit pas de jouer au mec chevaleresque.
Je ne l’ai pas plutôt dans les mains que je tire sur Mallox, puis sur l’autre, le chauffeur…
La culbute continue. Ils s’effondrent, emplissant toute la pièce…
Je saute derrière la chaise de la vieille Ritale pour esquiver le poing de son homme.
— Calmez-vous, Angelino, fais-je sèchement. Si vous avez le malheur de remuer le petit doigt, j’envoie votre vieille haridelle rejoindre les cigognes débiles et les chèvres faméliques dont elle est forcément issue.
J’attrape sa bouteille de chianti et je la balance par la croisée…
— Voilà, il n’y a plus qu’à attendre…
Angelino essuie son visage d’un revers de main…
— C’est bon, fait-il. Je suis possédé. La France ne me vaut rien, je changerai d’air après mon évasion…
CHAPITRE XXIV
MIREILLE A DES IDÉES
Tout s’est bien passé. Les petits copains ont fait vinaigre pour une fois. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part, j’aimerais mieux garder un troupeau de tigres affamés plutôt qu’un zèbre comme Angelino.
Lorsque la meute de flicards s’annonce, je leur dis d’emballer le Rital et sa vieille.
Ce qu’il peut tenir à sa morue, Angelino, c’est rien de le dire… Je suis certain que c’est à cause d’elle qu’il n’a rien tenté. Il me le dit du regard, positivement. Si je n’avais pas tenu le canon de mon feu contre la nuque de la vieille, je pouvais m’attendre à un coup de la part du gangster ; ça n’est pas l’homme à se laisser arquincher comme un demi-sel de troisième zone. Il a hésité. Seulement il a préféré se laisser cloquer les poucettes plutôt que de voir la cervelle de son Alda faire un valdingue sur le napperon brodé de la table. Donc, ça s’est bien passé et me voici peinard.
Lorsque mes sbires ont voulu sucrer la môme Mireille qui avait assisté à tout ce badaboum, dans un coin de la pièce, je leur ai fait un petit signe de dénégation.
Et ils l’ont laissée.
Nous voilà seuls, elle et moi ; face à face comme deux serre-livres.
Elle est plus belle que jamais dans ses attitudes de fille terrorisée. Ses cheveux sont défaits, son visage est en feu, ses yeux brillent comme une cassure d’anthracite et ses roberts s’agitent comme si elle avait fourré une nichée de chats dans son giron pour les réchauffer.
Elle me regarde, les lèvres serrées, d’un air plein d’épouvante, de soumission et d’espoir.
Elle attend.
Elle se dit que ça n’est pas normal que je l’aie conservée ici et que ça cache quelque chose.
Et elle se demande quoi, si c’est bon ou si c’est mauvais…
Eh bien, au risque de vous paraître le plus locdu de tous les flics de la terre, je vais vous avouer encore une chose : moi aussi je me demande pourquoi la Mireille n’est pas en train de s’agiter le postère sur le banc de bois d’un panier à salade.
Comme toujours, j’ai agi avant de calculer, suivant cette méthode qui m’est chère.
Au moment où on l’embarquait, une petite voix, la voix fluette de mon subconscient a chuchoté « Non ! » Et, docilement, j’ai répété : « Non ! »
Ce qui fait que, maintenant, je suis en face d’elle exactement dans l’attitude d’un Esquimau qui vient de trouver un cadran solaire.