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Moi, je prends le parti de ramper pour me dégager de Mme Tas-de-Chair. Je m’extirpe de sa fesse droite, puis de son sein gauche qui est passé par-dessus son pote. Me reste plus que son bras de cinquante-six kilos en travers du burlingue. Je le saisis délicatement, comme une paire d’haltères, ho hisse ! L’arrache de ma personne et le dépose sur le plancher.

Me voici debout. Je vois rouge, flou, bizarre. Une sarabande de cons hilardit à mon entour. L’intermède les met en fête, ces globuleux !

Qu’alors, tu sais quoi ? J’avise la jolie Vera à l’écart, riant aussi, à gorge d’employée, comme dit le Gros. Elle est jeune, faut la comprendre. Chilienne, ce qui explique son manque de motifs à rigoler. Mais là, parole, elle s’en offre une tranche, miss Hernandez. Cette fois, le miracle s’est opéré : elle me voit ! Et ce que n’avaient pas réussi mes langourances, la grotesquerie l’obtient. Elle pouffe en me défrimant. Faut dire que je dois payer, tout chiffonné, le nœud pap’ en forme d’hélice (amour et orgue qui prennent un « s » au féminin), la tignasse façon punk, la chemise amidonnée (amis, donnez !) hors du bénoche. Sant-Antonio, priez pour moi.

Je lui souris niaisement, ce qui redouble son hilarance. Qu’à cet instant précis, un grand diable calamistré, beau comme un étui de longue-vue, me frappe (fort) sur l’épaule. C’est le chevalier servant (ou le serveur chevaliant) de la mastodontina. Il la ramène comme quoi je suis un butor, un pettine-zizi, un triste sire, un…

Il n’a pas le temps d’en dire davantage.

Il n’est pas près de raconter la fin.

Ce grand fifre vient de se bicher un coup de marteau compresseur à la mâchoire qui le condamne à la purée mousseline jusqu’à la fin de la croisière. Il file en arrière, à l’horizontale si tu peux imaginer. On le flasherait (t’es pas flashé ?) dans cette posture, tu ferais croire ensuite à un numéro de lévitation (lévite à Sion). Il va s’abattre sur sa morue triple zéro. Elle n’a pas l’habitude qu’il la grimpe aussi brutalement, c’est pourquoi elle le refoule d’un coup de genou dans les frangines. Luigi devient verdâtre et dépose sur la piste : sa salade de homard, ses spaghettis à la vongole, son médaillon de veau aux morilles et sa poire Belle-Hélène.

Je me tourne vers dear Vera.

— Allons prendre un jus de raisin au bar, lui fais-je péremptoirement et en espagnol naturalisé français, je sais faire encore des tas de trucs plus marrants, vous verrez.

Elle reste immobile, son sourire s’efface.

T’ai-je dit que je détestais qu’on se foute de ma gueule ? Je t’en avais pas encore causé, sans blague ? Eh ben, sache-le : je peux pas supporter. Alors, faire le guignol façon Bérurier devant une horde de crêpes en délire en compagnie d’une énorme rombière couverte de diams et de cellulite, ça va un bout, mais je fatigue vite. De plus, me laisser rebuffer par une pécore belle à faire sous soi qui finit par jouer les mijaurées insupportables, là encore, y a des limites.

— Vous m’avez expédié au tapis, dis-je froidement, ridiculisé, vous me devez bien quelques minutes de conversation, non ? Je ne suis ni contagieux ni échappé d’un asile. J’ai trente-deux dents, quelques menus diplômes, assez d’argent pour ne pas avoir à épouser la fille d’un trafiquant d’armes ; je suis catholique, il n’existe aucun membre de ma famille qui soit décédé d’une maladie vénérienne, je n’ai pas de promoteurs immobiliers dans mes relations et je suis rigoureusement célibataire, toutes les conditions me paraissent donc requises pour que vous acceptiez l’invitation d’un passager embarqué dans la même galère que vous. Non ?

L’aurore !

Elle rerit.

La jouvence !

Elle sourit.

Puis-je chanter victoire ?

— Vous êtes français ? soupire-t-elle enfin.

— Oui, dis-je à voix basse, mais que ça reste entre nous.

J’ai un geste tout ce qu’il y a de spontané : je lui saisis la main. Elle l’a fraîche, nerveuse. Ne se débat pas.

Me suit.

L’étui à longue-vue achève de se dépêtrer de sa partenaire. Mon taquet au maxillaire lui a verrouillé le clapet.

Je le contourne en compagnie de Vera. Nous gagnons le bar voisin. Le barman se plume derrière son rade. Juste un ivrogne international, rouge comme une muletta de toréador, écluse du long drink dans le virage de la main courante.

Nous prenons place derrière la petite table, sous le hublot de bâbord.

— Une bouteille de Dont Pérignon rosé ! dis-je au serveur en spencer tracy blanc, à épaulettes d’or.

Vera proteste :

— Vous aviez parlé de jus de raisin !

— Qu’est-ce que le champagne sinon du jus de raisin, mademoiselle ?

— Vous avez un mouchoir ? questionne-t-elle.

Je lui en tends un, immaculé, avec mes initiales taillées dans la masse.

— A votre service.

— C’est pour vous. La grosse dame vous a mis du rouge à lèvres sur la joue en se débattant.

— Ciel, quelle horreur ! Vous voulez bien me débarrasser de cette souillure ?

Elle hésite, puis me frotte la joue gauche (celle où tu reçois une deuxième mandate quand tu as affaire à un pégreleux qui n’a pas lu la Bible).

— Vous ne considérez pas toujours cela comme une souillure, fait-elle en rougissant.

La divine ! Ainsi c’était de la jalousie ! Elle a été choquée par les entreprises de la guide teutonne du bus !

Je lui susurre :

— Voyez-vous, mademoiselle, il existe deux sortes de femmes : celles que l’on subit et celles qui vous attirent.

— Vous subissez avec beaucoup de stoïcisme, note la perfide enfant.

Bon, c’est parti. Ensuite elle me dit son nom, que je fais semblant d’ignorer, œuf niçois (avant, je disais œuf corse, mais il est temps de le rapatrier, ce pauvre œuf, maintenant que l’île de Beauté nous envoie chez Plumeau) ; puis elle m’apprend sa nationalité, me révèle qu’elle est étudiante en droit. Ses parents ont une grosse situation et la laissent voyager à sa guise. Et encore des bricoles… Pas bégueule, une fois lancée, elle pompe son Dom Pérignon sans paille.

Dans le grand salon, la soirée bat son plâtre. Les ziziqueurs en sont au slow, ça strangerizenailleguette dans le suave, avec des boulouliloula au saxo qui te démangent sous les couilles. L’heure devient enchanteresse, ni plus, ni moins. On est comme des algues au fil du courant, tu sais ? Boulouliloula, c’est mieux avec Sinatra, mais au saxo ténor c’est très convenable quand même. Alors, bon : on boulouliloulate.

Le vague à l’âme, à deux, c’est important. Ça transcende ; l’espace d’une fumée tu es persuadé d’être devenu meilleur. Toujours ça de pris. Tout de suite après tu retombes avec la gueule de bois ; mais ouichtre !

Je songe qu’avec cette Chichilienne, faut y aller mollo, en prudence veloutée. Elle me paraît un peu à part, la gosse. Pas du tout sautozob. Pas romanesque non plus. Au contraire : plutôt froide et attentive, avec un petit côté tranchant et un regard sceptique.

— Ça va mieux, quand vous voyagez ? je questionne.

Elle a un sursaut.

— Qu’est-ce qui va mieux ?

— Votre peine ?

— Quelle peine ?

Tout aux forceps. Elle aime pas trop qu’on la débusque de son gîte car elle a horreur de se sauver. Le lièvre est conditionné pour. Pas la demoiselle. Une demoiselle, ça se renferme quand la vie la déçoit, mais ça ne se met pas à cavaler en zigzaguant.