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Tu crois qu’elle est anesthésiée par sa peine, ma Juliette ? L’Antonio se sent mochement Roméo de pacotille. Babiole pour souks, à marchander. Je mets le grand développement, la pressant contre moi, donnant carte blanche à mes deux paluches expertes. Marmoréenne ! Elle fait un blocage, la gosse. Sa fidélité post mortem à son vieux julot lui cisaille les sens. Tu parles d’un emplâtre, ce gus ! Il se serait pas flingué, c’est elle qui laissait quimper pépé, un jour de bientôt. Bye-bye, l’ancêtre, pour les rhumatismes, t’as Abano Thermes, mon grand ! Mais en se butant, il est devenu jeune pour toujours. Irremplaçable. Quelle pommade ! A quoi ça te sert de vivre, quand un pauvre mort te dame le pion ? Te ridiculise ? T’es là, tu t’efforces, tu déploies, tu te lances. Et t’as qu’un glaçon infondable dans tes bras, un bloc de cristal de roche. Y a de quoi se la peindre en vert pour la mettre au milieu d’un bouquet. Je voulais dire tout ça à M. Claude Mauriac qu’écrit des choses si gentilles sur mon compte.

Cette mignonne, je sacrilège en lui secouant le sensoriel, kif une tirelire, pour faire sortir une pièce.

Un léger bruit me désunit d’elle, comme l’écrit si brillamment je ne sais plus quel cadémicien qui porte un habit vert à baleines pour quand on l’emmène académier.

Un clic. Voire un déclic.

Je regarde alentour, mais le pont est tranquille, avec des lumières, des ombres géométriques. Les flonflons de la musique continuent de nous parvenir. Cette fois c’est l’endiablement d’une danse collective. Les passagers qui se prennent par la pogne pour faire la ronde, cheniller à travers le grand salon, des bribes de serpentins dans la tignasse, en gambadant sur cet air de tatsoin tatsoin tatsoin, tatsoin tilala tatsoin… qui va si bien aux cons.

Elle se complaît dans sa détresse, la si jolie. Ma potesse teutonne doit s’en donner à cœur joie, elle, va lui falloir essorer sa culotte.

— Je vous déçois, n’est-ce pas ?

Elle a un air infiniment triste, Vera. Elle paraît vachement paumée sur cette mer aimable, la première du monde, berceau de la civilisation et je t’en passe.

— Vous me peinez, Vera. Vous vous embaumez dans votre chagrin et c’est mauvais. L’encens est un parfum funéraire. Vous êtes si belle, si jeune…

— Je vous fais envie ?

Et alors moi, tu vas voir, bouge pas : l’électrochoc !

— En toute franchise, non, Vera. Je fais l’amour dans un lit, pas sur une pierre tombale.

Chapitre VI

TOUT DANS L’ÉPHÈSE

La phonie du bord caverne pour annoncer que, bon, voilà, on va accoster dans une demi-heure à Kusadasi d’où on prendra des cars pour Ephèse.

J’arrête le bourdonnement de mon rasoir. Je ne connais pas Ephèse, mais j’en ai entendu causer : le temple d’Artémis, l’une des merveilles du monde, détruit par Erostrate, ce fumier. On est plein de réminiscences. Des bribes de ceci cela, poésies, citations, qui composent une mosaïque de culture et vous différencient du nœud volant.

Je n’ai pas retenu de biftons d’excursions, vu mon embarquement en catastrophe, mais la vie m’a appris la vertu des dollars dans la civilisation actuelle. Même les gens superstitieux qui ont peur du vert font une exception en faveur de ces banknotes d’aspect pourtant mélancolique, qui sont la chierie des aveugles. Alors, bon, en route pour Ephèse !

J’achève de me sabouler en touriste charmant, dans les blancs et les bleus, lorsqu’on frappe à ma lourde. Et c’est, tu l’as deviné, la dame germanique d’hier qui, fidèle à son sous-entendu prometteur, vient me rendre visite pendant que son mironton se fait une ceinture abdominale capable de contenir ses déferlements de cassoulets ou de choucroute.

Je lui virgule un sourire accueillant et lui roule la pelle Colgate du morninge.

Elle porte une jupette bleue, fendue comme il faut, de manière à découvrir sa cuisse de temps à autre, et une espèce de casaque pas gênante où la main de l’homme peut entrer comme chez elle pour aller traquer la loloche.

— Vous descendez à Kusadasi ? je demande lorsque j’ai récupéré ma langue et assez d’oxygène pour l’investir dans une conversation.

— Oui, me dit-elle, c’est dommage, n’est-ce pas ?

Tout en parlant, elle me contrôle les avant-postes, s’aperçoit que la sentinelle est sur le qui-vive, prête à tirer un coup sur tout ce qui bouge.

— Les plaisirs différés sont les plus ardents, riposté-je en songeant que je devrais noter ça pour l’offrir comme possible exergue à notre Jean Dutourd national qui a bien eu raison de s’inscrire au P.C. depuis le temps que ça le démangeait.

Elle continue de me pétrir (en lyonnais : pitrogner) le cartilage de conjugaison. Elle en est au plus que parfait du subjonctif lorsque je juge sa manœuvre dommageable pour la nature en général et mon bénouze en particulier (ou parti culier). Je lui supplie d’interrompre la manœuvre d’accostage et de laisser la priorité au commandant.

Le barlu est à quai. C’est plein d’autres paquebots dans le port, bien pimpants, dégorgeant des flots d’appareils photos tenant des cons en laisse.

Soleil, bruits, lumière, maisons blanches, toits ocre, nature aride, et puis horde, horde, horde. Ils sont venus, ils sont tous là, ceux de Stockholm et de Bruxelles, ceux de Boston, de Montevideo (que Béru appelle « Montez vite et haut », ou « Montez vider l’eau », selon ses humeurs), de La Garenne-Colombe, de Roma ou de Montréal. Là, bien là, frémissant de cette pellicule vierge qu’ils vont souiller, voulant tout capter, tout emporter, rien laisser, Attila de croisière, brûleurs de terres. Qu’après eux, l’herbe ne repousse plus, les ruines grandioses tombent en poudre d’escampette, le soleil s’éteigne, la mer devienne noire comme avant le début des débuts…

Qu’ils sont venus, n’ont pas vu mais ont filmé. Tout emmagasiné. Sont repartis en assumant la préservation des splendeurs passées. Sont détenteurs d’elles, que maintenant la réalité peut crever puisqu’ils en possèdent les archives.

Et sur le quai fangeux de tous ces sacripants, qui donc ? Elle : Vera, encore et toujours en blanc ; ce qui est le deuil des reines. Belle et menue. Sombre et irradiante pourtant. Je l’aperçois en descendant l’Ezéchiel de coupée. Je démène des coudes pour la rejoindre, me placer à sa hauteur. Elle me vaguement sourit, murmure un bonjour qui vient d’un étrange ailleurs. Je ne sais que lui bonnir. On marche à coups de pompes dans la cohue. On passe par la douane où personne ne s’occupe de nous, juste le portrait verdâtre de Mustafa Kemal Atatürk qui nous regarde déferler sévèrement sous sa toque d’astrakan.

L’air sent la friture, le poisson et d’autres odeurs orientales moins identifiables pour mes narines parisiennes.

Des ânes trottinent entre les cars brûlants.

On s’engouffre. Mais comme j’ai pas de tickets, personne ne me veut, et mes beaux dollars, je peux me les foutre au fion.

Je me rabats alors sur un taxi. Une Mercedes noire d’une quarantaine d’années qui a dû tourner dans un film où l’on avait besoin qu’une bagnole défonce un parapet et plonge dans un gouffre de trois cents mètres. Ses pare-chocs tiennent avec du fil de fer, il lui reste un phare et un morceau d’aile arrière.

Au moment où je parlemente avec le chauffeur une dame se pointe pour fréter le carrosse. « Trop tard », répond le driver. « Jamais ! » riposté-je, puisque la darne est seule, très blonde, mieux que jolie et dorée jusque sous les bras. On parlemente peu. Elle va à Ephèse, je vais à Ephèse, donc nous allons à Ephèse. Le taximan tente de réclamer double course puisque nous sommes deux. Je lui demande des nouvelles de sa saur, l’aînée, celle qui fait ses aubergines à l’huile d’olive. Ça s’arrange. On part. Le bord de mer est féerique. Comme ça grimpote un brin, la Mercedes produit un bruit de bateau à aubes sur le Mississippi River ; mais on s’en tamponne. Ma compagne vient de débarquer du Tire-Komédon de la Compagnie Pakkès. Elle est danoise, elle parle allemand, anglais, un peu de français et de bulgare à cause de sa maman qui est née à Sofia. Se prénomme Selma. Elle porte un short blanc tellement short qu’on distingue sa moulette comme je te vois. Un T-shirt jaune paille. Pour tout bagage, elle trimbale un sac de toile grand comme deux fois mes couilles. Son âge ? Quel âge tu lui donnes, toi ? Vingt-huit ? Adjugé, on va pas faire un documentaire là-dessus.