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J’attends, devant la barrière, qu’on appelle les passagers de l’Exekias (c’est exeki) lorsqu’un frôlement… Et puis une main qui s’insère entre mon bras et ma hanche…

Je zieute. Qu’avisé-je ? Je te le loue en mille (toujours donner, merde, ça ne fait pas les affaires !) : Vera ! Oui, la chère exquise et — ô combien — jolie Chilienne est tout contre moi et m’empare l’aileron sans vergogne. Un tel geste, si hardi et si spontané, après le cruel spectacle auquel elle a assisté dans la maison close d’Ephèse. Une telle horreur pour une jeune personne de la jet society internationale ! Non mais do you realise ? Moi, touillant du paf le délicat chaudron de Selma, avec des grâces, certes, des réminiscences, j’en conviens ; mais aussi des trouvailles. Je n’ose la regarder, tant tellement je suis confus, Confucius, tout !

— Si vous me touchez, vous allez vous damner ! soupiré-je.

Elle ne répond rien, mais sa pression se fait plus forte. On attend devant ces sottes barrières qui partout canalisent les bonnes gens, que ça soit pour le boulot, le plaisir ou l’abattoir.

— Car, à vos yeux je suis un démon, n’est-ce pas ? poursuis-je.

Et sais-tu ce qu’elle me répond ?

— Oui.

Tout menu. Un oui de trois lettres, que dis-je, de deux puisqu’en espagnol on dit « si ». En deux petites lettres de rien du tout elle me répute satanique, la môme. « Si », il est démoniaque le señor Antonio. Bon, alors elle pactise avec le diable. Les grands chagrins, ça finit souvent comme ça. Bras d’honneur à la mémoire du défunt. Tu m’excuseras, Dudule, voilà que j’ai le feu au cul, faut que j’appelle les pompelards. Moi, je devine parfaitement ce qui vient de s’opérer en elle. Ce savant coup de bite à arabesques, la Selma déculottée et glapissante de bonheur, son sensoriel a été court-juté, Vera. Elle a été arrachée à son faux veuvage d’adolescente romantique. Elle s’est réveillée, trêve de lamentos : et moi et moi ! Hmmm, y a bon, gros zobinoche ! Par ici la belle bibite bien fraîche.

Si je te choque, change de livre. Mon roman, c’est pas un book, mais un bouc. Tu vas trouver ton bonheur dans la collection Bouffon, avec la vaillante jeune fille médecin qui découvre l’amour sous les palmiers en soignant li pitit noi’ de la brousse blessé par un cocodile, mon yieux ! Elle fait la connaissance d’un beau lieutenant en mission chez le gouverneur de Tumakastré. Le lieutenant est piqué par un serpent à sornettes. La jolie doctoresse n’a pas de sérum antivenimeux, mais suce la plaie. Et ce con de serpent qu’avait piqué le lieutenant en haut de la cuisse droite et à gauche ! Le brillant officier retient son trouble à deux mains. Ils se marièrent et n’eurent pas d’enfants parce qu’elle prenait bien régulièrement la pilule et que les moufflets la faisaient chier. Beau ! Beau ! Beau ! Je t’engage à acquérir la collection complète. Tu trouveras pas un mot plus gros que l’autre. Tout est calibré, passé au tamis. Y a l’estampille de bonne vie et mœurs. C’est recommandé par le ministère de la Santé. Dans certains cas, la Sécu rembourse, alors tu vois ?

Vera, je me décide à lui faire front. Au mitan de la foule, je lui place une exquise galoche.

— Ach ! Bédit bolisson ! écrie une voix féminine ou presque puisqu’elle est allemande.

C’est ma potesse de table, celle qui en veut aussi ! Elle me sermonne du doigt. Je suis cerné, assailli de saillies en puissance. C’est la grande offensive d’été. Elles me veulent toutes ! Je vais plus pouvoir livrer. Me faudra un bon de sortie pour Coquette quand je l’emmènerai licebroquer. Mais qu’ont-elles, ces souris, à me coincer, violer d’autor ?

J’adresse un clin d’œil à la Teutonne, par-dessus l’épaule de Vera, l’assurer qu’elle aura sa part, que j’ai des réserves. L’intendance suit, qu’elle se rassure.

Vera murmure, après avoir récupéré sa délicieuse langue sud-américaine :

— Je suis folle.

Et moi, la parodiant :

— Oui.

Enfin : si. Si, señorita, t’es dingue. Complètement givrée de t’abandonner entre les bras de ce grand queutard impénitent. Mais enfin, une belle tringlée, c’est ce qui peut t’arriver de plus opportun, compte tenu de ta mélancolie, fillette. Laisse qu’on embarque, ma douceur. On ira claper des délicatesses, on boira ensuite du champagne, comme hier, et puis je t’emporterai dans ma cabine. Mon lit est étroit, mais en se mettant l’un sur l’autre, je suis presque certain qu’on pourra y tenir.

— Je meurs d’envie, chuchote-t-elle.

Si je te disais que moi de même !

Il a de la santé, l’énergumène, non ?

Et alors, le reste de la journée est divin. Juste un moment périlleux à la table des deux Allemands parce que la petite grand-mère a une jambe plus souple que du lierre pour l’entortiller après la mienne. Heureusement qu’ils sont boulimiques, ça me permet de les larguer avant la fin.

Je te passe le salon. Le bar. Le champ. Vera est conquise, soumise, docile, dolente.

— Les étoiles d’ici ne sont plus celles de mon pays, me dit-elle.

Et elle rit. Ma métaphore a fait son chemin dans la Voie lactée de son cœur. Elle sait qu’elle va avoir droit à une constellation impec.

Je l’emmène dans ma cabine pour ce faire.

Tout démarre très suavement. Et puis c’est le gros temps, la tempête, le cyclone. Mon voisin d’à côté, un vieux professeur en retraite de l’Université de Milano, se met à cogner à la cloison avec le talon de sa godasse. Comme il a un pied bot, ça fait du raffut. Le sien n’atténue pas le nôtre. Les deux s’additionnent. Ses propres voisins d’à côté cognent également, pour le ramener au silence, et puis leurs voisins d’à côté, et ainsi de suite tout au long de la coursive. On croirait une mutinerie dans un pénitencier. Y a des mesquins qui préviennent les autorités du bord. On lance un appel par la phonie pour nous conjurer, tous, de respecter le sommeil d’autruite et d’autrui. Fume !

Le commandant se déplace en personne et vient nous inviter à faire silence.

La Vera, juste à cet instant, je lui pratique la furia berjallienne, ce qui équivaut au bouquet final dans une manifestation pyrotechnique. Dans la furia berjallienne, je dois te dire que tout entre en action : le gourdin, la menteuse, les dix doigts et le genou gauche quand on est ceinture noire.

Or, JE SUIS ceinture noire !

Le commandant est grec, marié, deux enfants, une maîtresse : son garçon de cabine. Il est jeune et beau, plein d’autorité de partout. Il obtient le silence chez les autres dont les déferlements étaient provoqués, et non spontanés comme les nôtres. Il toque à mon huis. Il me conjure d’arrêter, comme quoi le barlu va prendre de la gîte. Dis, tu te rappelles le Poséidon, Léon ? Vera est chilienne, donc démonstrative. Mais le feu de la cordillère est compensé par l’émoi de sa jeunesse. Y a dualité. Je me sens devenir fou d’elle. La rosée et la braise ! Elle se calme, s’affaisse comme au creux de ses cendres la bûche consumée. O combien elle est sublime, cette fille de feu, si belle, si idéaliste, si portée sur l’amour.

Je la sens abandonnée, en voie de guérison, la belle âme meurtrie. Toute à moi ! Je peux en faire ce que bon me semblera. Mais l’amener dans ma suite truquée du Caire pour « une séance » de ciné cochon, ça, nenni, mon ami. Pas question. Mes « employeurs » mystérieux qui surveillent tout doivent se frotter les mains. Je décroche la timbale rarissime. J’ai la gagne à portée. Qu’ils aillent se faire fourrer cosaque, les bougres ! Et bouge pas, sitôt de retour à ma base opérationnelle, je vais me foutre au charbon, découvrir à quoi rime leur pervers trafic. C’est un don Juan de bazar qui a culbuté Vera, c’est un Roméo de Comédie-Française qui caresse ses cheveux humides.