On se raconte encore deux trois trucs sans importance avant de raccrocher, et puis je vais rejoindre Selma, laquelle m’attend sagement sur une banquette poisseuse du bureau de poste.
Rappelle-toi que ça n’a pas été de la sucrette ! Pour larguer Vera, y a fallu que je ruse-de-sioux. Elle me quittait plus d’un cil, la jolie Chichilienne. Elle a remis la gomme au rayon passion éternelle, grand amour frénétique, à toi pour la vie !
J’ l’ai espliqué que j’ résidais au Caire, me fallait descendre. J’ai des rendez-vous avec le conservateur du musée, avec l’administrateur des pyramides, le gérant du Sphinx et d’autres personnalités very importantes. Mon livre est attendu par mon nez dites heure. L’événement de la rentrée. Le cadeau-roi pour les fêtes de fin d’année. Les merveilles d’Egypte : pharaons, Ramsès, Néfertiti, Titicaca (non, c’est au Pérou, excuse) Toutankhamon, Nasser, Sadate (vrraoum dans les badigoinsses !). Relié pleine peau de couilles, papier vélin supérieur, numéroté ! The cadeau, te dis-je. Mais qu’elle me laisse son adresse à Santiago, je lui écrirai, j’irai la voir, on se raimera. J’écrirai la vie d’Allende, ou bien de Pinochet, et pourquoi pas des deux ? La façon dont ils ont conquis et perdu le pouvoir tous les deux. Dis, c’est que le Chili c’est un sacré couloir, on peut pas marcher à deux de front, mais ça fait un bout de promenade. Du Pérou au cap Horn, faut pas chialer ses pas. En passant par Valparaiso, good-bye farewell…
Je l’ai étanchée de mon mieux, Ninette. Elle hoquetait. Voulait qu’au moins on se fasse les pyramides ensemble avant de se quitter. Impossible ! Boulot ! Pris. Happé, l’Antoine. Regrette. Je t’adore. A bientôt. For ever, ma Louloute !
Ensuite, je n’ai eu que le temps d’aller ramasser la Selma à la sortie de son barlu. Et maintenant, fouette cocher !
On roule à travers le désert, via Le Caire où se préparent pour ma pomme des choses si terribles que je me demande si je vais avoir assez d’encre dans la voix pour toutes te les raconter.
Les gonzesses, je vais te dire. Baiser, ça va ; mais c’est l’entre-deux-coïts qui est redoutable. Faut vraiment être dingue de leur pomme pour supporter. Moi, je suis un homme de dialogue, mais pas de conversations. J’aime dire ce que j’ai à dire, écouter ce que j’ai à entendre, rien de plus. L’excédent de bagages, je tolère mal. J’ai la patience qui disjoncte, le vocabulaire qui coagule ; je me mets à penser à autre chose.
Selma, je veux bien que c’est la bioutifoule affaire. Pour tout te dire, je me réjouis à la perspective de la faire reluire dans un plumard. L’autre jour, debout, dans le boxif d’Ephèse, ça avait son charme, mais je pense qu’en disposant d’un pieu en cent cinquante de large, on devrait aller à l’exploit, en tout cas tirer la quintessence.
Son dada, la Danoise, en dehors du turlututu farceur, c’est la musique. Elle m’empoigne sur le quatuor de Jéronimus Zobinch, et puis le grand orchestre philharmonique de Ouagadougou, et tout ça ; la fameuse cantatrice allemande Martha Woksifer. Elle me plume à dix livres égyptiennes l’heure, la blonde. Que, merde, ça me démange de l’entreprendre à mon tour sur Virginie Guillet, pour changer de registre. D’autant que ma pomme je suis plutôt du genre mélimélomane. Je couvre tout, d’Yvette Horner à Wolfgang (ster) Amadeus Mozart (de l’Hôtel de Ville). Mais juste la pointe, tu comprends ? Je fais chier personne. Eclectique, quoi : le Beau Danube bleu, la Cinquième, les Feuilles mortes, Sambre et Meuse, Marinella, le Concerto pour deux mandolines de Vivaldoche, le grand air de Carmen ou de Faust, souate, à condition que tu gardes le reste.
La voilà qui me dit, alors qu’on traverse un paysage étonnant, avec des chameaux et des réclames de Coca-Cola :
— Ce qu’il y a d’exceptionnel dans la Truite, c’est la contrebasse, vous ne trouvez pas ?
— Et comment ! je lui réponds.
La voilà repartie, moi je fais gamberge à part. Mon intriguerie grimpe au zénith de ma curiosité, comme écrit Mme Marguerite Duras dans Le Chasseur Français du mois dernier (j’adore citer les grands auteurs, on est certain de pas se tromper).
L’aventure somptueuse que je vis m’époustoufle. Je me dis, in extenso : « Voyons, comment des gens peuvent-ils craquer un flouze pareil pour demander à un gazier de limer des bonnes femmes ? C’est pas amortissable, une telle mise de fonds ! Tout ce blé, madoué ! Ces palaces, ces paquebots ! Et hardi petit, chipote pas, le Grand, trempe ton biscuit où on te dit, sans t’occuper du reste.
Et la Selma qui continue de m’éponger avec l’Anneau des Nibelungen de Richard Wagner (1813–1883).
— Oui, oui, je fais, oui oui. Ah ! ça… Pour sûr… C’est évident !
Un jacteur passionné par son sujet, tu lui tends l’oreille, ça lui suffit. Tu peux aller te balader pendant ce temps. Je suis certain que si Van Gogh s’est sectionné une portugaise, c’était pour la laisser à une personne qui lui cassait les claouis, qu’elle puisse causer pendant qu’il allait se faire peindre ailleurs.
Mais enfin, bon, tout arrive, y compris Le Caire lorsqu’on fonce à sa rencontre.
Selma m’annonce qu’elle meurt de faim et qu’elle aimerait bien claper un peu avant que je lui fasse le gag de la cigogne emmanchée d’un long cou. Je partage entièrement son sentiment et nous pénétrons dans la salle à manger du Néfertiti. Bérurier trône au milieu du vaste espace. Il paraît célébrer la messe. C’est plein de chauffe-plats devant lui, de vaisselle surchargée de bouffe en Gevacolor. Tu dirais la couvrante d’un livre de cuistance.
Faut le voir aux prises avec un gigot en croûte qui n’a rien d’égyptien, l’apôtre. Un magnum de Cheval Blanc est à sa droite, sur une table d’appoint. Il déferle du gosier, le groin au ras de sa bauge.
S’il m’a vu, il n’en laisse rien paraître. Bon, on commande un délicat déjeuner, la blonde et moi. Ces détails te paraissent peut-être superflus, et qui sait, fastidieux, malgré la vivacité de mon style, mais ils vont avoir leur importance d’ici pas longtemps, je te promets.
La souris demande un verre de lait avec son coq au vin, ce qui va de soi quand on est danoise. Elle est choucarde dans son jean blanc, avec son T-shirt que ça représente Mme Mickey Mouse en train de faire le pied de nez. Ses roberts dardent là-dessous comme les batteries d’un contre-torpilleur. J’ai grande envie de lui faire pin-pon, comme avec les avertisseurs des autos médiévales, mais dans cet univers select, ça serait pas correct. Alors je refrène. Heureusement, elle gomme le dessert. Café seulement. On souffle dessus pour le rendre plus vite buvable. Je signe la note.
Bérurier, héroïque, s’est arraché pour gagner son poste. Nous montons dans ma suite royale.
Dis, j’ai donné mon récital d’adieu à Vera, ce morninge. En ce moment je paie de ma personne. Si je continue à ce rythme endiablé, faudra que je prenne des vitamines.
Pourtant, tout se passe somptueux. Sitôt que je la vois à loilpé, la belle, avec son exquis dargif pommé qui me fait risette, je lui adresse des signes d’amitié avec Popaul. Très noble partie de plaisir, indeed !
Je te jure que la cueillette des fraises au Groenland, c’est rien à côté, question sensations fortes. Mais enfin, je vais pas te pondre un book rien que sur l’oignon et ses dérivés, parce que ton bulbe à toi n’y résisterait pas. On va finir par déliquescer, toi et moi. S’abîmer dans les extases frelatées.