Je lui joue donc mon grand air de « Chope ça, avant de partir » ; paroles de Tumlapran, musique de Tumlaskou, orchestration de Tumlastique. Le tout arrosé de champagne, accompagné de vociférations fouetteuses. Le grand art, quoi. Le grand Dard (avec un « D » majuscule c’est encore plus intense).
M’est avis que mes « employeurs » en ont pour leur blé.
Quand l’heure fatale de la séparance est venue, j’escorte la Danoise (la guenon, le singe et la Danoise) jusqu’à la lourde de l’établissement, lui affrète un taxi-auto auquel je cloque de l’artiche pour qu’il la drive à « son et lumière » sur les pyramides où elle va retrouver les autres naufragés de sa Méduse.
Puis, diligent, je pars à la recherche du Gros. Le trouve à l’étage supérieur au mien, vêtu d’une gandoura, coiffé d’un fez, chaussé de babouches. Il promène un plumeau sur tout ce qui se présente, allant même jusqu’à épousseter le crâne d’un vieillard qui sort de l’ascenseur, appuyé sur des cannes anglaises.
Je reste à l’orée de l’escalier et Alexandre-Benoît vient me rejoindre innocemment.
— Du nouveau ? m’enquiers-je.
— Ballepeau. L’appartement au-dessus de la tienne est occupé par deux vieilles gougnes qu’ont pas le style à manigancer dans le ciné porno. Elles sont françouzes, d’alieurs.
— Continue d’ouvrir l’œil.
— Je.
On se sépare.
Mécontent, je regagne ma turne qui fleure bon la troussée non ventilée.
Que je t’annonce : j’avais laissé la clé sur la porte. Je n’ai rien à cacher, rien à voler. Mon blé se trouve dans un coffiot privé de l’hôtel.
J’entre donc dans ma résidence pafeuse. Il reste du champ’ dans la boutanche. Je le vide. Conférence au sommet. « Et maintenant, commissaire ? Vous allez-t-il continuer de baiser des dadames à la demande et d’engranger des dollars ? » m’interpellai-je. J’éprouve une sale impression ; un sentiment confus d’inquiétude. Je me dis que tout ça ne va pas déboucher sur la Baie des Anges.
Comment aller de l’avant ? Depuis le début de cette époustouflante équipée, je me montre d’une totale passivité ; obéissant aux ordres comme un toutou de cirque. Cette fois, y en a class, va falloir que je mette le grand braquet, comme disaient les coureurs cyclistes, jadis. Mais comment « remonter » la filière du zob ? That is the question. Je songe à Babha Alakrem dans sa Rolls, passant, indifférent, devant les débris du car, à Jérusalem. Et puis à la gamine malingre m’abordant, un peu plus tôt, pour me déconseiller de suivre le gros homme. Une formidable toile d’araignée m’entoure. Je sais qu’on épie mes plus humbles gestes.
Un léger bruit me fait bondir : il provient de ma chambre à pieuter. On dirait un gloussement. Je bondis. Vera est nue dans le lit défait, les mains derrière la tête, les jambes croisées.
— Je te demande pardon, fait-elle : je ne peux plus vivre sans toi.
— Mais comment as-tu su où… ?
— Je t’ai suivi.
Je m’enhontis.
Elle m’absout d’un sourire.
— J’ai attendu mon tour, tu vois comme je suis raisonnable.
Passant outre mon ébahissement, elle poursuit :
— Tu es une forte nature, mon amour, ce qui rend tout très simple. En ta compagnie, j’ai compris qu’il était passionnant de vivre l’instant, seulement l’instant. Et j’entends connaître encore beaucoup « d’instants » avec toi.
Elle me tend les bras.
Moi, je me dis que cette fois, mes réserves sont à peu près épuisées et que je vais être en rupture de stock.
— Beaucoup d’instants ? fais-je. Mais, ta croisière ?
— Elle continuera sans moi. Je prendrai l’avion quand tu ne me voudras plus.
— Merveilleux, me retiens-je de grimacer, mais je dois t’avertir que mes occupations…
— Je saurai être incolore, insonore et inodore, promet la jouvencelle.
Tu veux répondre quoi, toi ?
Et c’est le lendemain matin que tout se déclenche. C’était pourtant exquis. On s’était fait grimper un délicat souper que nous avions dégusté entièrement nus, elle et moi. T’as jamais pris un repas à poil avec une fille, devant une table sophistiquée chargée de belle vaisselle, de bons flacons, d’argenterie opulente ?
T’es là, balloches au vent, à lui servir gravement les œufs aux truffes sans quitter des yeux ses deux admirables mamelons. Temps à autre, tu te penches par-dessus les ris de veau pour baisotter sa bouche en cerise ; c’est féerique. Ou bien tu te lèves pour aller derrière sa chaise pétrir son juteux fessier entre les barreaux. Braouou ! J’en frissonne de remémorance.
Or, donc, nous prîmes un souper aux chandelles. Puis nous fîmes ce que le commun des mortels appelle sottement l’amour, comme si on faisait l’amour ! Tas de cons ! L’amour, on l’accueille, on ne le fait pas. On le soigne, car ça fait mal. Du reste, ne dit-on pas que l’on « tombe » amoureux ? Tomber, ça contusionne.
Et puis, après que je me sois essoré à fond les génitoires, nous nous sommes engloutis, elle et moi, dans un sommeil tellement dense, profond, total, qu’il devenait le cousin issu de germain de l’anéantissement.
Le chant d’un canari nous réveille. Il est midi. En fait, ce n’est pas un canari qui gazouille mais une poulie sur un chantier voisin.
La petite pionce toujours dans une très belle attitude. A plat ventre, une jambe repliée, un bras allongé. On dirait qu’elle escalade une paroi à pic et cherche des points d’accrochage. Sa frimousse est tout juste visible. Adorable. L’innocence, la confiance. Elle est repue d’amour.
Je me demande si Félicie serait bottée par cette nana ? Sûr certain qu’elle ne me ferait aucune réflexion, m’man, mais elle a en elle, et malgré elle, ce vieux fond de racisme qui pousse les mères de chez nous à redouter des conjoints étrangers pour leurs enfants. Et puis son béguin va à Marie-Marie. Elle attend toujours que je plonge une bonne fois et que j’embarque la Musaraigne à l’autel, via la mairie. Marie-Marie idem attend ça. Comme ça ne vient pas, elle escalade les degrés du savoir pour passer le temps. Je ne sais plus où elle en est de ses examens, la môme. Docteur en quelque chose et ça continue. Si je la laisse mijoter encore dix piges, elle deviendra ministre de l’Instruction publique pour peu que la gauche prenne ses aises, car elle est socialo une fois pour toutes.
Par instants, un élan me saisit pour décrocher mon tubophone et l’époustoufler d’une seule réplique, genre : « T’aurais pas un samedi de libre qu’on se marie ? »
Et puis je me retiens. Le goût exquis de la liberté.
Après le plongeon, il sera coinçaga, le beau commissaire à ses grosses deux. Maintenant qu’elle est femme savante, Marie-Marie, je ne lui trouve plus le même agrément. On a de moins en moins de choses à se dire. C’est un peu tristet, l’existence, franchement. Il y flotte toujours des écharpes de mélancolie. Se marier, s’atteler, avoir des chiares, louer des maisons de vacances, s’acheter une résidence secondaire, changer de bagnole… Et puis tu te réveilles un matin dans un autre plumard, quelques diables t’y ayant poussé. Divorce : la femme garde les enfants, l’homme garde le pognon.
Non, c’est pas encore la jolie Vera que j’épouserai. Après, je risquerais de ne plus me ravoir, comme dit le cosaque Béru, celui qu’on a surnommé Tarass Poulbot.
Je remue. Elle ouvre un œil.
Sa main cool coule sur mon badigeonneur de fréquence. Oh ! divine surprise. Regardez ce que mister Dodo m’a fait. Un gros braque tout neuf, paré pour de nouvelles péripéties.