— Un café ou une douche ? je propose à ma compagne de matelas.
Elle réprime un bâillement et me lâche Coquette pour, néanmoins, mettre sa main devant sa bouche, ainsi que le lui a prescrit M. Pinochet.
— Le café, pour commencer, dit-elle.
— Complet ?
— Nature.
Je tends la main vers le biniou. Chose marrante, l’appareil me devance et se met à ronfler avant que je ne l’aie défourché.
— J’écoute ?
— Deux messieurs demandent à vous parler, m’annonce le concierge.
— De qui s’agit-il ?
— Ils disent que c’est privé.
— Je suis encore couché.
L’homme aux clés dorées et aux hémorroïdes bleu nuit se met à parler en égyptien moderne.
Puis me revient.
— Ces messieurs demandent à ce que vous les receviez immédiatement ; ils sont de la police.
Oh ! que j’aime pas ! Oh ! que ça me défrise les poils sous les bras !
— En ce cas, qu’ils montent !
Je raccroche et saute du lit pour aller décrocher ma robe de chambre et me donner un coup de brosse à cheveux. Puis je vais à la porte de ma chambre afin d’y accueillir mes « collègues ». Quelle n’est pas ma stupéfacteur de constater que le couloir est plein de flics en uniforme, armés de mitraillettes ; à croire que ces gonziers se préparent à soutenir un siège. En m’apercevant, l’un d’eux, un gradé, me crie Hands up, ce qui, dans tous les westerns du monde, même les westerns spaghettis, signifie qu’on doit lever les mains.
Comme les frimes sont peu avenantes et que la racine de leurs cheveux côtoie celle de leurs sourcils, je m’empresse d’obtempérer. Deux mecs en civil, portant de beaux costumes légers, bosselés, pochés, avachis, radinent de l’ascenseur.
« San-Antonio, me dis-je, ton esprit curieux vient de te plonger dans un caca comme on n’en voit même pas à la télé (qui est devenue pour beaucoup, la religion cathodique). A trop vouloir travailler en dilettante tu te prends une gaufrette mémorable. »
Les deux arrivants ressemblent, l’un au défunt président Nasser, l’autre au fils cadet de l’Anatola Comédie. Le premier porte une dent en or et une chevalière de cuivre armoriée ; l’autre une ceinture en crocodile rouge (l’espèce la plus rare). Les deux sont chaussés trop juste et leurs tatanes ont éclaté au niveau des petits orteils. Celui qui ressemble au fiston Comédie a un costar beige constellé de taches sales, celui qui ressemble à Nasser porte un complet blanc plein de taches propres (car il vient d’être lavé). C’est lui le boss. Il entre sans un mot, les deux pouces enfilés dans son pantalon. Son collègue le suit, gardant une main dans sa poche droite, laquelle contient un pétard dont on aperçoit la radiographie grâce à un rayon de soleil. Deux poulets en uniforme les escortent. La porte de ma chambre est refermée. Nasser vient à moi et me palpe. Ensuite il s’assoit dans un fauteuil anglais placé derrière une table-bureau garnie de cuir repoussé. Il dit quelque chose et son collègue auquel se joint un flic armé se met à diriger une perquise en règle de la pièce. Quand ils passent dans celle d’à côté, la môme Vera pousse un cri et se chaste la poitrine, en demandant ce qui arrive.
J’y réponds que je ne le sais pas encore mais que ces messieurs étant des policiers, elle n’a apparemment pas grand-chose à redouter d’eux.
Nasser qui ne jacte pas l’espinglo me crie en anglais de fermer ma gueule. Ce dont.
Pour me donner un genre, je sifflote « Guérilleros et sommier blanc », très jolie chansonnette que modulait jadis le Claveau de Famille. La perquise ne donne rien. Et qu’eusses-tu voulu qu’elle donnât ? Hmm ?
En désespoir d’Ecosse, le petit Comédie junior dépose mon passeport devant son supérieur. Mais celui-ci doit déjà me connaître car il le feuillette sans curiosité et avec une moue qui ne donnerait pas envie d’enchérir s’il passait en salle des ventes ; d’ailleurs, il finit par le repousser d’une chiquenaude.
— Habillez-vous, m’enjoint de culasse-t-il, et prenez un peu de linge de rechange.
— Vous m’arrêtez ?
— C’est ça.
D’un coup d’un seul, me voilà avec un trampoline dans la tronche. Un délire obsidional me biche :
— Hé ! dites, minute ! Vous savez que j’appartiens à la police parisienne ?
— Ce n’est pas mon problème.
— Vous avez un mandat d’arrêt ?
Il sourit et tire de sa poche un document écrit avec des lacets de souliers coupés menu. Mon nom y figure toutefois.
— De quoi suis-je accusé ?
— Le juge d’instruction vous le dira. Faites ce que je vous ai demandé.
Ne me reste que d’obéir.
Je n’ai même pas un caoua dans le corps. Et on me refuse le temps de me raser.
Vera est toujours traquée au creux du lit, les draps remontés jusqu’au menton.
— On vous arrête ? elle demande en anglais, car elle nous a entendus employer ce dialecte indo-européen du groupe germanique.
— Il s’agit d’une erreur ! assuré-je.
Puis, à trac, et en espagnol :
— Préviens discrètement de ce qui se passe au client de l’hôtel nommé Bérurier.
Nasser explose, furieux.
Il se précipite sur moi et me colle un taquet sur la pommette. Puis il vocifère à l’adresse de Vera :
— Que vient-il de vous dire ?
— Qu’il m’aimait et que je devais lui garder ma confiance, répond la gazelle blanche du talc au steak.
Chère petite !
C’est sûrement vrai qu’elle m’aime !
On m’emporte, cadennes aux poignets.
Je te jure que, traverser ainsi un hall de palace, avec une escorte d’argousins équipés par Manufrance, c’est l’affiche !
Fourgon de police, pour y aller à mort dans les gâteries. Le bon peuple en burnous et chéchias ricane en voyant emballer un beau monsieur d’Occident.
La bagnole sent le désespoir dégueulé plusieurs fois. Des senteurs aigres de points-virgules oubliés ; des fragrances de patchouli, c’est la fête à mes narines, olfactif comme je suis !
Le policier qui conduit a appris à piloter sur des stock-cars, ça se reconnaît à la manière dont il tutoie les bordures de trottoir, froisse les ailes des autres véhicules et coupe à gauche dans les sens giratoires, assuré qu’une sirène hurlante, branchée à mort, remplace un permis de conduire.
Nous atteignons pourtant sans encombre l’hôtel de police du Caire. On stationne dans une courette où sont remisés plusieurs tacots hors d’usage. Mes mentors procèdent à mon convoyage par des couloirs couleur loukoum. Me font gravir les marches, me traînent à travers une enculade de pièces (comme dit Béru) avant de s’arrêter devant une porte rébarbative. Nasser va y frapper et disparaît. Son absence dure un bon moment. Je perçois des éclats de voix, mais faut pas s’imaginer quand on ignore la langue ; souvent les sonorités sont trompeuses.
Je commence à les avoir à la caille. Plus le temps passe, plus l’angoisse me tenaille. Je me sens un peu perdu en Egypte, avec une conscience pas blanc-bleu. Mon petit trafic de bite n’a rien de reluisant. Je me suis foutu dans cette équipée à titre privé, sans en référer à personne et ça va sûrement provoquer des retombées.
Au bout de dix minutes, Nasser revient. Il nous fait signe d’entrer et l’on me pousse sans ménagement dans un grand burlingue administratif, semblable à ceux qu’on pourrait trouver dans ce genre d’endroit sous presque toutes les latitudes. Deux bureaux. Derrière le plus grand, j’avise un homme chauve, au teint très foncé, avec des lunettes cerclées d’or. Il est en bras de chemise. Une théière d’argent et un gobelet sont à sa disposition sur un plateau. Des dossiers s’empilent devant lui. Au deuxième burlingue, plus modeste, une fille brune et sévère, à frime de cheftaine, fait des gammes à sa machine à écrire. Elle porte un tailleur de toile grise, très strict, qui fait songer à quelque accoutrement religieux.