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Et puis elle se casse après avoir palpé le bonheur du jour du gars Béru, s’assurer que son pistolet à délices est toujours dans son holster. Il y est. Elle lui prodigue quelques flatteries hâtives et court à sa voiture. Petite folle, va ! Un elfe !

— On va claper, non ? demande Bérurier en désignant le carton de provisions surchoix apporté par sa conquête.

— Je prépare la table, dit Vera.

— Pendant ce temps, je vais descendre la bouffe de nos prisonniers, annoncé-je. Il me faudrait également de quoi écrire.

En furetant, nous trouvons un bloc de correspondance et des stylos bille dans le tiroir d’un bureau.

Le juge me déclare qu’il voudrait aller aux chiches. Je me fouille : zut alors ! J’ai omis de prendre la clé des menottes. Béru l’a foutue loin après m’avoir délivré dans son burlingue. J’ai conservé les poucettes, sans me préoccuper de la carouble. Je traduis mon embarras au juge. Il s’affole, cézigue. Déclare qu’il veut déféquer, c’est son droit le plus absolu. Je lui propose un récipient de plastique, mais il s’indigne que quoi, non mais ça va pas la tête ! Chier devant une femme ! Qui est sa greffière, en sus ! Une nana qu’il doit brosser à l’occasion ! Que nenni. Je lui réponds qu’à la guerre comme à la guerre. La frangine se tournera face au mur. Mais le juge, fume ! Il ira jusqu’à l’occlusion intestinale s’il le faut, mais il ne se videra pas en présence de son avocate (elle l’est presque). Je lui remets la bectance, ce qui ne va pas arranger son problème. On est malheureux, les hommes, sans cesse tracassés. Et les petites misères sont aussi érosives que les grandes, à force.

Je lui tends le bloc.

— Monsieur le juge, je voudrais que vous rédigiez une lettre à l’intention du médecin légiste.

Là, il comprend plus, Césarin. S’attendait à tout, mais pas à une exigence de ce troisième type.

— C’est-à-dire ? demande-t-il.

— Vous êtes toujours saisi de l’affaire du double meurtre que je sache ?

— Jusqu’à preuve du contraire, oui.

— Alors, demandez au médecin légiste de prélever la moelle épinière des victimes et de l’analyser.

— Où voulez-vous en venir ?

— A la vérité, monsieur le juge. Je trouve anormal qu’on ait tué ces malheureuses en les piquant à ce point de leur individu, ce qui nécessite un matériel assez sophistiqué, alors qu’il eût été si simple de leur administrer la mort par voie intraveineuse, voire tout simplement buccale. Cette pratique m’intrigue.

Pour la première fois, il me regarde d’un œil indécis. Le doute, le cher doute, commence à poindre dans sa prunelle.

— Je n’ai pas à vous obéir, déclare-t-il, vous êtes un criminel, le fait que nous soyons entravés dans ce sous-sol, Mlle Rézéda et moi, en est la preuve.

— Vous resterez ici jusqu’à ce que j’aie apporté la preuve de mon innocence ! riposté-je.

— Si vous l’apportez par des moyens criminels, vous ne résolvez rien ! objecte mon prisonnier.

Bien répondu.

Un gargouillis intestinal lui amène une grimace pour publicité de laxatif.

— Ecrivez, juge, et je vous offre un voyage aux chiottes, promets-je.

— Jamais.

— En ce cas, que Dieu ait pitié de votre pantalon et des narines de miss Rézéda.

Je gagne la porte.

— Je vous laisse la lumière pour manger, annoncé-je, mais je n’ose vous souhaiter bon appétit.

Il a un cri :

— Attendez !

Et bon, c’est dans la fouille. Il commence à rédiger, mais en arabe.

— Non, non, juge : en anglais, je n’ai pas le bonheur de lire la langue du Prophète, or je veux pouvoir contrôler.

Docile, il arrache la page et écrit sous ma dictée au docteur Kiflouz.

C’est pile au moment où il signe que ça se produit, le grand malheur. Son pauvre cher sphincter, trop sollicité, se met aux abonnés absents ! La vraie débâcle, mon lapin ! Il était une fois dans l’oued ! Tchlaf, tchlaf, tchlaf… Mais j’insiste pas, qu’après les critiques vont dire l’à quel point je suis scatologique, complaisant avec ce qui est trouduc et compagnie. Tu les connais ?

Je me saisis vivement de la babille.

— Excusez-moi de ne pas tenir parole, monsieur le juge, lui dis-je, mais un sort contraire a rendu une croisière aux chiches superflue.

La Gravosse revient alors qu’on achève de claper le saumon fumé. Tout émoustillée, Dorothy. Elle a profité de son bref séjour à l’hôtel pour se recharger la façade. Maintenant, elle a du violet au-dessus des sourcils, à croire qu’un julot l’a emplâtrée pour insuffisance de comptée, poulette. Et puis elle a affublé des boucles d’oreilles à grand spectacle qui représentent des oiseaux des îles dans leurs cages. C’est un peu lourd, mais elle a la force.

— J’ai le renseignement ! annonce-t-elle, triomphante.

Chérie d’amour, va !

— A la réception, ils ne savaient rien. J’ai cherché dans le bureau de mon mari. Il possède un fichier privé. Je vous ai photocopié la fiche concernant votre suite.

C’est elle qui en a, de la suite. Et dans les idées encore ! On pourrait-il imaginer une chose pareille de la part de cette femme, si grosse, si grotesque et si peu britannique d’aspect ?

Je ligote :

Suite spéciale réservée pour Mohamed Kriss à partir du 8 et pour une durée illimitée au nom de M. A. San-Antonio, de Paris. Sans facturation. Service « privé ».

Le mot privé est souligné à l’encre rouge.

C’est tout.

Mais c’est beaucoup.

Si tu en crois mon petit doigt, le cornac à Dorothy, il doit flirter avec les gens qui me font faire des safari’s girls.

— Tu vas claper un peu avec nous, mon petit bijou ? l’en prie Béru.

L’Anglaise minaude comme quoi elle sort de table, mais quand tu pèses une tonne, t’es capable de faire philippine.

Vera rajoute un couvert. Personnellement je grignote du bout des incisives. On tient du neuf : Mohamed Kriss. Me faut absolument savoir où crèche ce quidam. Pas fastoche. Comment m’y prendre ?

— Votre époux ne revient que la semaine prochaine, n’est-ce pas, madame Trabadjalamouk ?

— Exactement.

— Vous avez son adresse, à London ?

— Il descend au Savoy.

— Vous voulez bien lui téléphoner ?

— Il m’appelle tous les soirs.

— Alors, ce soir, j’aimerais que vous vous arrangiez pour lui demander l’adresse de ce M. Mohamed Kriss dont il est question sur la fiche. Il conviendrait de procéder habilement, comme seule une épouse peut le faire.

Elle demande, avec bonhomie, la bouche pleine :

— Vous soupçonnez mon mari de quelque chose ?

— Juste ciel, surtout pas ! Mais étant surpris par votre question, il risquerait, tant est évidente sa bonne foi, de commettre une imprudence.

— Oh ! yes, I see ! déclare la radieuse créature.

Peu bileuse, la dame. La graisse aide à ne pas approfondir les problèmes délicats. Elle caparaçonne l’individu qui a le privilège de s’en emmitoufler.

— Je pense que vous devrez procéder de la façon suivante, dis-je. Vous déclarerez innocemment à votre époux qu’un paquet vient d’arriver chez vous, au nom d’un certain M. Mohamed Kriss et qu’il y a écrit dessus « A remettre d’urgence ». Annoncez-lui la chose d’un ton détaché, tout à fait à ta fin de votre entretien. Vous voyez ce que je veux dire ?

Là encore : « elle see ».

C’est une seeieuse.