— Attends, ma libellule, attends, j’ai des projets plus ambidextres pour toi.
— Quoi ?
— L’ commerce, Berthy, t’es douée, t’ l’as toujours été biscotte t’es une personne d’ contact, on peut pas t’y r’tirer. Maint’nant que j’ fais plus partie d’ la Rousse, faut qu’on va s’ démerder aut’ment, chérie.
— Mais quoi, comme commerce ? s’inquiète l’Ogresse.
— Une baraque à la foire du Trône, mon oiselet. T’esposerais ces jeunes filles qui vient d’êt’ orphelines. T’affurerais un maxif d’osier, av’c le bagout dont j’ te connais, ma Berthe. Siamoises, d’puis la guerre de Quatorze on n’en a plus r’vu su’ le marché. J’sus certain qu’ ça plairait. Quand j’ pense qu’ leur vieux accomplissait les pires ordureries pour les faire couper en deux, vieux con ! C’est ça leur capital !
Il se tourne vers moi.
— Mais attention, Sana ! J’ dis : attention ! S’agit pas de les exploiter. On leur ouvrerira un livret de Caisse d’Epargne et é z’auront droit à dix pour cent des recettes ! L’genre négrier, pas chez moi, beau commissaire !
— Et toi ? interroge la Mastarde d’un ton rogue.
— Moi, quoi ?
— Tu feras quoi pendant c’ temps ?
Mister Dodu agite son index.
— J’ai mon plan d’ reconversation, ma belle, espère !
— On peut connaître ?
— T’sais qu’il existe un organiste comme quoi des gens téléphonent à des nanas pour leur raconter leurs fantasques. Cent cinquante pions l’ quart d’heure. Moilliennant quoi-ce, tu peux balancer toutes les gueuseries qui t’encomb’ l’ cigare… Tu dis à la môme comme quoi tu voudrais lui en pousser une de quarante centimèt’ carrés, ou bien qu’ t’aimerais t’ faire lécher les claouis par un lézard, tout, quoi !
Berthe se met à froncer les sourcils.
— T’as d’ la viande sur l’ feu, Sandre ?
— Non, pourquoi ?
— Parce que ça pue la viande brûlée.
— Non, non : rien su’ l’ feu, affirme le Gros. Donc, pour t’en r’venir, partant d’ ce principe, je veux créer un service téléphonique qu’on peut engueuler nos dirigeants. Cent points l’ quart d’heure pour lanc’ment. Les mecs qu’en ont ras l’ bol m’appellent. « J’ veux causer au Premier miniss », y m’ disent. « C’est moi », j’ les réponds. « Ah ! c’est toi, sale bourrique ! C’est toi grand con ! C’est toi, enculé d’ ta mère ! J’ voudrais t’ faire bouffer des étrons, te… » Tu comprends l’ principe, Berthy ? Tous les ceuss qui fermentent, c’te bouffée d’air, d’un seul coup ! Y s’ mettent la bile à jour. Y laissent partir leur vapeur. Y s’ figurent qu’y sont au bigophone l’ miniss des Finances, et même l’ président d’ la République, ou le maire de Paris. Et y crachent leur venin. Quat’ cents balles de l’heure. J’ peux assurerer dix plombes par jour. Moi, pendant qu’ils jaspinent, je me tartine des rillettes, ou j’ fais des réussites. Décontractos, le Béru. Calmos tout plein, tandis qu’ les correspondants m’ disent qu’y voudraient me vitrioler ou m’ filer un tisonnier rougi dans le…
« Oh ! à propos, ma douce, t’as raison : ça chlingue vachement la bidoche cramée, mais rassure-toi, je sais d’où ça vient. »