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Je n’ai pas quitté Maud Lancier. On a échangé des points du vue pertinents. Elle me plaît bien, cette jeune fille. Doucettement, je fais dévier sur sa vie. Ses parents étaient séparés, elle a été élevée par son père, un prof d’histoire, déjà ! Il est mort il y a trois piges (l’alliance qu’elle porte à son cou). Elle vit seule. Là, elle rougit, parce qu’elle a probablement un julot pour la féerie des sens. Son métier est dur. Trop d’élèves, et ces mômes sont de plus en plus fumelards ! Elle en chiale plus souvent qu’à son tour.

La colonne abrutie des touristes part à l’assaut des bus.

— Ah ! non, dis-je, on ne va pas encore se taper ces gens pleins de vinasse et de sommeil ; il est trop tard : ils sentent mauvais. Venez, nous allons prendre un taxi.

Elle accepte en souriant. Je lui inspire confiance. Un mec ayant mon physique, ma « culture », mes exquises manières, tu t’en méfierais, toi, Ninette ? Un mec capable d’en dérouler deux cents mètres sur la Néfertiti et le culte d’Aton, merde, si tu lui fais pas confiance c’est que t’es trouillarde comme une truite, ma gosse.

Elle suit sans objecter, Maud. Alors je la drive à la station de taxis.

— Delta Hotel, dis-je hypocritement.

Et, tel Satan dans les films, qu’on montre volontiers sous les traits d’un vieux glandeur sarcastique, Fouad apparaît.

— N’est-ce point votre guide ? dis-je.

— Si, répond Mlle Lancier.

— Il faut le prévenir que vous rentrez par vos propres moyens, sinon il va passer la nuit à vous attendre en recomptant ses ouailles ; ça aussi, c’est la plaie des voyages en groupe : d’être sans cesse compté et recompté comme du bétail.

J’interpelle le dabuche :

— Je vous signale que mademoiselle rentrera à l’hôtel directement.

— Entendu.

Toujours son ineffable regard de Michel Simon dans Marguerite de la nuit.

Le bahut déhotte.

— Ouf ! dis-je, dans ces conditions, la solitude fait l’effet d’un bain.

— C’est vrai, acquiesce la jeune fille en se renversant sur la banquette.

Et tu ne sais pas ?

Elle pose sa tête contre mon épaule.

Moi, je sais tout de la vie, sauf ce qui me reste à en apprendre. Et ce genre de petite surprise, je l’avais pas arrimée solide dans mon caisson. Je ressens un sentiment tout drôlet dans lequel entre un chouïa de déception. Cette ravissante môme, si pure, si sur son quant-à-soi… Et la voilà contre ma pomme, en moins de rien. Quelques néfertitianes entre nous, « Son et lumière » sur la gueule renfrognée du Sphinx (du fait de ce sultan azimuté) dans les tons vert, rouge, indigo… Et puis, sans que j’aie seulement placé un brin de madrigal, le moindre vanne accrocheur, mam’selle Lancier m’est livrée pour l’emballage final.

Oh ! dis donc, moi je laisse pas chômer. Faut en avoir le cœur net. Je pose ma dextre doucement sur sa joue gauche, sans me presser ; la lenteur faisant partie de la cérémonie. Et puis je me penche dans un ralenti diabolique. Je perçois sa respiration. Mes lèvres se frottent imperceptiblement aux siennes. Ça dure. Elle s’énerve, son souffle devient saccadé, alors j’y vais à la galoche grand veneur. Bouffage de gueule gastronomique. Maud perd les pédales. Je continue de la pratiquer savamment. La v’là qui se tortille vachetement mieux que la danseuse tout à l’heure qui faisait du morse avec son nombril. Elle peut pas retenir un léger gémissement. Je largue ses labiales pour mordiller le délicat ourlet de sa portugaise droite. You youïe, l’effet que ça lui produit ! Cette eau dormante, cette sainte nitouche, tout la porte à l’incandescence. Je lui lirais l’article de fond du Monde, à cet instant, elle prendrait son peton, mam’selle.

J’arrête de lui glouber le lobe pour chuchoter :

— On passe à mon hôtel, n’est-ce pas, chérie ?

Un « mfffouifff mfouifff » produit plus avec le nez qu’avec la bouche est sa réponse.

Je l’estime affirmative.

Pas toi ?

Si bien que nous voilà à cul d’œuvre dans ma luxueuse chambre. Néfertiti peut aller changer de slip, abolir le culte d’Aton, elle en a plus rien à branler, Maud Lancier.

Rien de plus sensuelles que ces filles réservées au maintien impec. Une fois dans ma turne, c’est le gros déchaînement, la bourrasque. A mon avis, son voyage lui a affûté le sensoriel comme une lame de rasoir. D’être transbahutée ainsi, d’avions en bus, avec des bestiaux humains, et puis la chaleur, la griserie du dépaysement, et aussi les pyramides, le Sphinx, le musée du Caire, tu comprends ? Mine de rien, ça te surmène la chatte. Pour finir un mec de rêve (t’inquiète pas pour mes chevilles, je porte des bandes velpeau sous mes chaussettes) vient l’entreprendre, lui cause de ce qu’elle aime, lui susurre dans l’oreille. Non, crois-moi, elle a des excuses, la petite prof ; lui jette pas la pierre : tu te foulerais le poignet. C’est l’apothéose de son voyage. Petite déesse de rêve, amenée dans cet appartement supra-luxueux. Champagne. Fleurs exotiques. Eclairages merveilleux, juste un grand projo au-dessus du lit pour qu’on puisse nous filmer convenablement, qui donc résisterait à cet enchantement, hein, Pipette ? Pas toi, en tout cas, espèce de petite friponne.

Il pleut des culottes, ma toute ! C’est la fête à Moncul ! La grosse kermesse du Radada, bien mieux réussie que celle de l’Huma. On adopte des figures bizarres. On charivarise comme pas concevable. On ne sait plus qui est elle, qui est moi. On se repère aux poils pour récupérer nos jambes. On se consomme en entier, c’est tout bon.

On vibruse, gapatouille, s’électronise. Ça gueule, ça plainte, ça râle. Ils en ont pour leur argent, mes « employeurs ». Note que je ne suis pas pour ce genre de pratique, mais si je veux aller au bout de mon propos, je dois en passer par là. Maud, c’est du sens dessus dessous permanent. Il arrive même qu’on tombe du plumard malgré qu’il soit grand comme le jardin des Tuileries. Comme quoi, au plus y en a, au plus qu’il en faut, comme dit Béru. Vite, je la ramène sur le pucier, pas qu’on se décadre, à moins qu’ils disposent du grand angulaire, ce qui est probable.

La séance s’éternise. Ma pédagogue n’a pas touché ses allocations de retard ; elle veut tout, il lui en faut. Et même verser des acomptes. Quand on a fini une première salve, on picole une coupe de Dom Pérignon, on essuie notre noble sueur. Deux trois papouillettes et ça repart.

Combien de temps on fait durer le plaisir ? Impossible de te le préciser ; heureusement que tu t’en fous. Il y a des intensités démentielles, et puis des plages de repos. Des moments où l’on tutoie le sommeil, mais sans y sombrer, y en a toujours un des deux qui se ranime et rebranche l’autre avec la mano ou la menteuse.

Tout de même, à force d’à force on finit par se disloquer complètement. L’amour a ses limites. Nous nous abandonnons au flot bienheureux de l’épuisement, et il nous emporte, lentement, lentement au large de la dorme, vers les contrées fabuleuses du néant.

Chapitre IV

ON NE CHÔME PAS

Une tambourinade à ma porte m’arrache.

Je bande mes forces pour soulever mes paupières. Bonjour, bonjour, Le Caire ! Bonjour, la lumière qui force les rideaux ! Bonjour, Maud !

Ah ! non : elle n’est plus là. Le creux à mon côté est un creux à elle, le parfum subtil qui flotte dans le lot, c’est son parfum à elle, mais il ne reste même plus de Canada Dry auprès de moi. Je me mets sur mon cher séant. Je suis accablé encore par une fatigue exquise. J’ai des goûts plein le clapoir, délectables, beaux restes, indeed !